On a toutes vécu la scène au moins une fois. Un frère, une soeur, un cousin, une amie proche nous annonce la naissance de son divin enfant. On se précipite le lendemain à la maternité, champagne et bouquet de fleurs à la main, impatiente à l’idée de découvrir – enfin – le visage de ce nouveau-né. Naïve et insouciante, on ne s’est pourtant pas préparée à ce qui pouvait très probablement arrivé : le nourrisson, bien qu’en parfaite santé, n’a pas vraiment été gâté par la nature, dévoilant sous nos yeux des traits peu angéliques pour ne pas dire ingrats et diaboliques.
“Ma nièce est vraiment très laide mais je n’ai jamais osé rien dire”, nous confie Fernand*, 33 ans, qui a préféré se taire plutôt que de se montrer vexant. À l’inverse, Victoria, 20 ans, a joué la carte de la franchise face à son petit neveu qu’elle compare allègrement à Shrek. “J’en ai parlé à mon frère, qui était d’accord avec moi, mais quand j’en ai discuté avec sa femme, la mère de l’enfant donc, ça a tout de suite été plus compliqué…”, raconte-t-elle, l’air embêté.
Un bébé moche ne l’est finalement qu’à travers le regard des autres et pour les autres
Et pour cause, dans nos sociétés contemporaines gouvernées par de multiples injonctions de réussite, la perfection physique des nouveaux-nés s’impose comme un nouvel objectif à atteindre… et à exhiber. “Aujourd’hui, on se doit d’avoir le travail le plus intéressant, le mieux payé, avoir le plus bel appartement, être le plus cultivé et bien entendu être le plus beau”, commente la psychopraticienne Aurore Le Moing** qui rappelle que le bébé, n’existant pas psychiquement avant quelques mois, peut être seulement jugé sur son physique selon des critères propres à chacun. “Un bébé moche ne l’est finalement qu’à travers le regard des autres et pour les autres”, ajoute-t-elle.
Certes, on pourrait établir des critères physiques qui seraient plus ou moins objectivement rédhibitoires comme la tête aplatie, les oreilles décollées ou le fait d’avoir encore des croûtes de lait dans les cheveux (true story), le bébé Pampers et autres égéries publicitaires aseptisées faisant – encore – office de références en matière de beauté infantile. Mais globalement, on peut difficilement ne pas admettre que l’attrait physique d’un individu – qu’il est 30 ans au compteur ou simplement 30 petites heures – relève de l’appréciation subjective de tout à chacun. En bref, bébés comme adultes, on est tous le moche de quelqu’un.
Problème : qu’en est-il quand cette appréciation un brin condescendante porte directement sur notre propre progéniture ?
Projection et culpabilité
S’il est facile d’improviser quelques esquives face aux parents d’un enfant que l’on est amené à croiser trois fois par an, Halloween compris, comment réagir quand le fruit de nos entrailles se révèle un tantinet disgracieux, pour ne pas dire repoussant ? Déjà, pas de panique, cela arrive à tout le monde et cela ne dure généralement que quelques jours. En effet, le visage d’un bébé peut connaître de nombreuses transformations dans les heures, les jours qui suivent la naissance, ses fontanelles étant encore mouvantes ou ses os en cours de consolidation. “Quand mon fils est né, il était tout poilu : on aurait dit un petit singe ! Tout le monde le trouvait moche, moi compris, sauf sa mère bien entendu”, me lance alors Jean*, sans honte, ni reproches, avant d’admettre que son garçon s’était progressivement débarrassé de son pelage pour retrouver une pilosité de bébé dite “normale”.
Par ailleurs, inutile de plonger dans la culpabilisation à outrance ou l’auto-flagellation : trouver son enfant moche, cela ne fait de vous ni une mauvaise mère, ni un monstre incapable d’amour envers sa propre descendance. “Cela signifie juste qu’il existe un sujet, une émotion conflictuelle qui aboutit à ce résultat”, relativise Aurore Le Moing. Selon la psychopraticienne, ce phénomène peut particulièrement toucher les femmes en situation de dépression post-partum : le bébé étant notre prolongement, l’union de deux personnalités, il se peut que cette impression de laideur soit simplement le reflet d’une situation qui ne nous convient pas.
À l’inverse, une femme peut accoucher d’un enfant que le commun des mortels jugera laid tout en le considérant elle-même comme le plus beau bébé du monde, n’éprouvant en son fort intérieur aucune émotion conflictuelle.
Les choses peuvent se compliquer toutefois si ces sentiments se prolongent ou s’ils apparaissent au contraire plus tard, à l’adolescence par exemple, alors que notre enfant a constitué sa propre personnalité. “Est-ce que la laideur reflète un malaise dans notre relation avec lui ? Ou bien, est-ce que notre enfant pourrait refléter une attitude, un comportement qui fait écho en nous et de ce fait, pour nous protéger, nous trouvons une excuse consciente qui se situe dans l’aspect physique de notre progéniture ?”, prévient la psychoclinicienne, qui incite les parents à s’interroger sur les causes potentielles de ce jugement négatif, d’autant plus que le principal concerné peut ressentir cette forme de dénigrement implicite qui peut altérer son développement personnel.
Des cas relativement rares certes, mais qui peuvent facilement faire l’objet d’un accompagnement auprès d’un psychologue ou tout autre professionnel du bien-être mental.
* Le prénom a été changé
**Aurore Le Moing, psychopraticienne basée à Asnières sur Seine, en Ile de France.
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