"Je suis tombé en amour avec l'Afrique" : Jean-Jacques Annaud raconte son combat pour réaliser son premier film "La victoire en chantant"

Le réalisateur Jean-Jacques Annaud est l’invité exceptionnel du Monde d’Elodie toute cette semaine. Cet amoureux du Septième art et de l’Histoire revient sur ces moments d’exception vécus avant, pendant et après les tournages de ses films. Si certains ont défini Jean-Jacques Annaud comme un réalisateur « sauvage », on pense à L’Ours (1988) et au Dernier loup (2015) qui mettaient en avant son amour du monde animal, d’autres l’ont surnommé le réalisateur « rugissant », eu égard notamment à son engagement et sa volonté d’aller dans chaque film encore un peu plus loin, de nous emmener ailleurs.  

A l’occasion de la sortie, le mercredi 20 juillet, en DVD, Blu ray et Blu ray 4K de son dernier film Notre-Dame brûle, une superproduction consacrée à l’incendie de la cathédrale, retour sur images, avec lui, sur presque 50 ans de carrière.  

franceinfo : Le réalisateur, producteur et scénariste que vous êtes, semble ne jamais avoir perdu ses yeux qui brillent. Est-ce que ça veut dire que le cinéma, c’est votre vie ?

Jean-Jacques Annaud : Oui, c’est ma vie. Ça m’amuse énormément. Tous les aspects de mon métier sont incroyablement rigolos. Je passe évidemment six mois, un an à faire de la recherche sur les sujets. Après, il y a l’excitation de l’écriture, les repérages, le casting où on rencontre plein de gens. Suivent le tournage avec toute cette troupe à diriger et la post-production qui est fascinante, le montage, les effets spéciaux numériques. Chaque jour, je me réveille, je suis content. J’ai eu beaucoup de chance parce que j’ai eu ma première caméra à onze ans, mon premier appareil photo à sept ans. Quand j’étais petit garçon, je n’aimais pas aller jouer avec les copains, je rentrais à la maison pour faire mes petits montages.

Je n’ai été que réalisateur dans ma vie, je ne sais rien faire d’autre, même pas la cuisine.

à franceinfo

Vous allez suivre l’enseignement de l’école Louis-Lumière et en sortez major puis celui de l’Institut des Hautes Etudes Cinématographiques (IDHEC) dans la section réalisation. C’était important pour vous de, déjà, maîtriser les choses, d’apprendre ?

On m’a reproché parfois d’être un bon technicien, comme si on disait à un écrivain : « C’est la grammaire et la syntaxe« , et bien ça aide ! C’est-à-dire qu’une fois qu’on a maîtrisé la technologie, on peut virevolter. Quand j’ai écrit le scénario, tout de suite après, j’écris le découpage technique où je demande le matériel dont j’ai besoin. Si je ne sais pas à quoi ça sert, le matériel, je ne peux pas l’écrire. Et si je ne l’écris pas, personne ne le commandera. Et si personne ne le commande, on aura un film banal parce qu’il n’y aura pas le matériel adapté.

J’ai l’impression que de maîtriser tout ça, d’avoir travaillé vous a, surtout, permis d’aller chercher votre indépendance.

Comme j’étais très gamin, on m’a proposé des films de gamins, c’est-à-dire des films publicitaires. J’en ai fait 400. Mais ce qui était très bizarre, c’est que je ne voulais pas faire de films publicitaires. Je disais : non à tout. J’avais un truc, je disais : non, je ne suis pas libre avant le mois de novembre, mais ça ne fonctionnait pas alors, j’ai carrément dit : non parce que votre truc est nul. Mais là, on me répondait : « Ah oui ! Qu’est-ce que vous verriez sinon ? » Alors, je disais un peu ce qui passait par la tête, « Ah bon, c’est très bien, faites-le« . Du coup, je me retrouvais avec la patate chaude, mais en ayant ma liberté de faire le film que je proposais. Et j’ai quand même fait sur 400 films, j’en ai bien fait 300 en toute liberté.

Vous avez suscité un intérêt auprès des autres. Comme celui de François Truffaut qui va vraiment s’intéresser à vous, qui va aimer votre façon de travailler. C’est lui qui va vous présenter Claude Berri et ça va donner naissance à La victoire en chantant (1976). C’est votre premier « bébé » et au début, ça ne va pas être simple, mais vous n’avez rien lâché. Vous aviez l’intuition qui c’était une partie de vous et vous allez retravailler ce film, retravailler la bande-son aussi.

C’est un film qui me ressemble beaucoup. Comme j’étais très jeune élève à la Fémis, le ministère de la Coopération cherchait un coopérant cinéaste pour démarrer le cinéma camerounais. Et moi, on vient me voir et on me dit : « Est-ce que tu veux être soldat ou est-ce que tu préfères être en coopération ? Tu n’auras pas l’uniforme etc… » Je dis : oui, parce que c’est dans trois ans, quatre ans. Puis ce jour vient. Je croyais que j’allais détester et j’avais décidé de mal me conduire pour être éjecté. Figurez-vous que la porte de l’avion s’est ouverte. Je suis tombé en amour avec l’Afrique. Tous les jours, pendant un an, je me disais mais ce n’est pas croyable ce que je vis. J’ai rencontré là-bas des gens qui ne parlaient pas ma langue, et je les comprenais mieux que mes camarades de classe de la Fémis.

Ce film a aussi été une leçon d’humilité parce qu’il vous a montré que, même si vous aviez des convictions au départ, le résultat n’était pas forcément l’accueil souhaité du public. Mais vous êtes allé chercher cet accueil, vous êtes allé chercher autre chose.

On me disait : ‘Mais tu nous emmerdes avec ton film. Les films qui parlent de l’Afrique et des blacks ne font aucun succès, on s’en fout’. Et moi je disais : non, ce que je veux faire, c’est ça. Et je me suis battu pendant sept ans pour faire ‘La victoire en chantant’.

à franceinfo

J’étais tellement reconnaissant envers l’Afrique que je me suis dit : si j’ai la chance un jour de faire un long-métrage, il faut que je fasse un long-métrage qui soit fait en Afrique, à propos de l’Afrique, bien sûr. Et je n’en ai pas démordu. Je me disais : je veux faire ce film qui parle de cette petite histoire de la guéguerre entre les Allemands et les Français par Africains interposés.

Résultat : un Oscar ! Comment l’avez-vous vécu ?

Complètement inattendu. D’abord, c’est la Côte d’Ivoire qui l’a présenté, ce n’est pas la France. On m’avait dit : « Ne viens pas là-bas parce que les gens croient que tu es black et ils vont être déçus de voir que c’est un Français qui a fait ce film présenté par la Côte d’Ivoire« . Et puis en fait, à l’époque il n’y avait pas franceinfo et donc j’attends les premières infos à 6 h du matin. Et là, j’entends sur France Inter : « Déception pour la France. Ce n’est pas Cousins, cousines qui a gagné l’Oscar, mais un obscur film de Côte d’Ivoire« . J’ai fait « Youpi ! » dans ma tête !

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