- "J’aimerais tellement exercer votre métier"
- De retour sur les bancs de la fac à 33 ans
- "Au lieu de faire des enfants, j’ai fait médecine"
- Travailler de manière acharnée dix ans durant pour réaliser son rêve
- Au bout de la reconversion, le métier-passion
« J’ai grandi dans une famille ni riche, ni pauvre, en Seine-et-Marne. Mon père travaillait chez Air France. Faire de très longues études avant de trouver un emploi n’était pas forcément une idée très répandue chez nous. Mais il se trouve que j’avais des facilités au collège, puis au lycée.
Après le bac, j’ai étudié deux années en classe préparatoire Maths Sup Maths Spé dans un grand lycée parisien. J’ai ensuite intégré une école d’ingénieur, mais au terme de mon stage de fin d’études de six mois, j’ai décidé de me réorienter vers le marketing.
Ça n’avait rien d’évident : les entreprises préféraient les candidats issus d’écoles de commerce mais j’avais tout de même reçu une réponse positive sur les soixante candidatures que j’avais envoyées. Finalement, j’ai très vite été embauchée.
« J’aimerais tellement exercer votre métier »
J’ai ensuite travaillé dans de grands groupes de l’agroalimentaire pendant dix ans. J’ai été cheffe de produit, puis cheffe de groupe, j’ai beaucoup aimé ce travail, ça marchait très bien pour moi. Je pense pouvoir dire que j’ai effectué une belle carrière, les revenus étaient confortables, le métier était valorisé socialement.
Il y avait chez eux cette idée que médecin n’était pas un métier accessible pour leur fille.
Nous décidions quels nouveaux produits nous allions développer, puis commercialiser et mettre en rayon, on s’occupait aussi de la publicité, en bref, de tout de A à Z.
Pourtant, depuis l’adolescence, j’avais un rêve : faire médecine et devenir psychiatre. Mes parents pensaient que ce projet était trop ambitieux pour moi, avec un trop grand nombre d’années d’études. Il y avait chez eux cette idée que médecin n’était pas un métier accessible pour leur fille.
Mais moi, les gens qui n’allaient pas bien m’intéressaient, cette médecine disons de la santé mentale m’attirait de par sa dimension médicale, humaine et scientifique. L’idée de devenir médecin ne m’a ensuite jamais totalement abandonnée. J’en parlais à ceux que je consultais, je leur disais : ‘j’aimerais tellement exercer votre métier’, mais eux cherchaient toujours à m’en dissuader, répondant systématiquement que j’aurais tort de changer de voie professionnelle, que si eux le pouvaient, ils chercheraient, à l’inverse, un autre métier.
À leurs yeux, il fallait que je me débarrasse de cette idée totalement fantaisiste : entamer dix ans de médecine à mon âge… C’était d’ailleurs l’opinion partagée par tout le monde autour de moi : mon copain de l’époque, mes amis, ma famille, tout le monde sauf une collègue, qui a été la seule à me soutenir. Car cette idée continuait à me trotter dans la tête, comme une porte de secours. Je me disais : ‘on verra bien, si ça ne marche pas, je ferai médecine’. Ou encore : ‘si c’était à refaire, je ferais médecine’…
De retour sur les bancs de la fac à 33 ans
Un jour, j’ai moi-même commencé une analyse avec un psychanalyste. Lors d’une séance, je lui parle de mon projet et là, il me répond quelque chose d’extraordinaire : « et pourquoi pas ? ». C’était la première personne au monde à me dire cela.
Cette réponse a changé ma vie. Le lendemain, j’ai pris ma décision, j’ai entamé une rupture de contrat conventionnelle avec mon entreprise et je suis partie.
Mon petit ami m’a quittée, il m’a dit : ‘je ne t’aime plus depuis que tu fais médecine’.
Avec le recul, si on m’avait dit à l’époque qu’aujourd’hui je serais psychiatre et psychanalyste, j’aurais trouvé cela complètement fou. Je me souviens parfaitement de mon premier jour sur les bancs de la fac de médecine. Je m’étais remise à niveau en mathématiques durant l’été. Nous étions huit cents étudiants, j’avais 33 ans. Nous étions quatre sur huit cents à avoir plus ou moins mon âge, mais ça n’avait pas d’importance. Je me suis sentie parfaitement à ma place dès la première heure de cours, même si les gens autour de moi continuaient de ne pas y croire.
On me répondait : ‘ah bon ? Non mais tu ne vas pas le faire…’. On ne me prenait pas au sérieux. Quand ils ont fini par comprendre que c’était parti, que j’étais vraiment étudiante en médecine, ça a été la sidération.
J’ai perdu beaucoup de gens autour de moi à cette époque. Mon petit ami m’a quittée, il m’a dit : ‘je ne t’aime plus depuis que tu fais médecine’.
« Au lieu de faire des enfants, j’ai fait médecine »
Je partais pour dix années d’études, dont six sans salaire, à un âge où, autour de moi, il était plutôt courant d’avoir un ou des enfants, ce qui n’était pas mon cas. Je n’en avais pas envie mais je ne savais pas trop comment le formuler.
En réalité, le fait de me lancer dans ce projet a été une bonne excuse pour ne pas devenir mère. Au lieu de faire des enfants, j’ai fait médecine. Dès le premier jour, j’ai sympathisé avec ma voisine, qui avait quinze ans de moins que moi. Je lui ai fait un compliment sincère sur ses chaussures et on est devenu copines au point de faire notre première année de médecine ensemble.
Mon père ne pensait pas qu’il était possible que sa fille devienne médecin.
Plus tard, j’ai changé de ville et donc d’université mais j’ai toujours réussi à me faire des ami·es, malgré la différence d’âge qui était énorme. J’avais une copine qui était née l’année où j’avais passé le bac… Les années se sont enchaînées et je me suis peu à peu sentie confortée dans mon choix. Ça m’a fait un bien fou, j’étais soulagée et poussée par une énergie positive que je ne connaissais pas.
J’ai aimé mon stage en gynécologie obstétrique mais cela n’a pas remis en cause mon choix de devenir psychiatre. J’ai donc fait comme tout le monde : six années de tronc commun et quatre de spécialité. Au bout de ces dix années d’études, j’ai été diplômée en médecine à l’âge de 43 ans, l’année dernière. On a fait une grande fête. Les gens autour de moi étaient pour la plupart revenus, sauf évidemment mon copain de l’époque… Mon père était très fier, il me l’a dit, il ne pensait pas qu’il était possible que sa fille devienne médecin.
Travailler de manière acharnée dix ans durant pour réaliser son rêve
Rien n’a évidemment été facile. Il m’a fallu beaucoup travailler. Quand vous êtes externe à l’hôpital, vous êtes aussi placée tout en bas de l’échelle. On m’a appelée ‘ma grande’, ‘pupuce’, les chefs de clinique étaient plus jeunes que moi… C’était vraiment très compliqué à vivre, à ce niveau-là, on est vraiment maltraitée. Mais je savais que c’était le jeu. Alors j’ai fermé ma bouche, j’ai patienté.
La motivation était toujours là aussi, j’avais toujours autant envie de soigner les maladies pour lesquelles j’étais formée. Une fois diplômée, j’ai travaillé six mois à l’hôpital, mais j’ai vite arrêté car j’ai réalisé que les conditions de travail au sein des hôpitaux publics ne me permettraient pas de tenir.
Certains rêvent de gravir l’Everest, moi c’était de devenir psychiatre.
Je me suis donc installée en libéral, comme médecin psychiatre et psychanalyste. Ça a vite bien marché, et aujourd’hui, un an après, mon cabinet est comble, le bouche à oreille a bien fonctionné. Je me suis souvenue de ma plus grande source de fierté, non pas le jour de mon diplôme mais quand j’ai réussi le concours de première année et que je me suis dit : j’y suis vraiment, je vais y arriver ! Aujourd’hui, ce qui est génial, c’est que je suis ma propre cheffe, je m’organise comme je l’entends, je maîtrise mon temps.
Je savais de toute façon qu’un jour ou l’autre je devrais me réorienter car dans les métiers du marketing, il est dur de tenir sur la durée. On est vite embêtée à cause de l’âge, obligée de se reconvertir, il n’y a pas beaucoup de personnes qui exercent mon ancien métier à 50 ans. C’était mon rêve, et je l’ai réalisé. Certains rêvent de gravir l’Everest, moi c’était de devenir psychiatre.
Au bout de la reconversion, le métier-passion
Aujourd’hui, ce que je vis est passionnant, je ne vois pas le temps passer, j’adore mon travail, il me plaît infiniment.
Je suis tellement heureuse mais je sais que j’ai pu y parvenir grâce au fait d’être accompagnée. D’être suivie, de disposer d’un espace de parole, tout ceci a été très important.
Bien sûr que ce que je vis dans mon cabinet, les maladies, les témoignages de mes patients, constituent quelque chose de très dur, la confrontation à la vie est brutale mais j’arrive à faire la part des choses. Leurs souffrances restent au cabinet quand je le quitte. Mais il y a aussi de très belles histoires de vie. Quand vous soulagez quelqu’un de ses souffrances, cela n’a pas de prix ».
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Témoignage publié dans le magazine Marie Claire n°848, mai 2023
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