« Je connais Julien, pas Jul »… dit-on du rappeur dans sa cité d'enfance

  • Jul réalise le rêve de nombre de Marseillais : remplir le stade Vélodrome pour un concert.
  • 20 Minutes a retrouvé certains de ses amis d’enfance, voisins et connaissances de son quartier de Saint-Jean-du-Désert.
  • Générosité, timidité, infatigable travailleur, anecdotes et absences, ils livrent leurs souvenirs de Julien Marie, le rappeur français qui vend le plus de disques.

« Je le vois encore partir dans sa twingo faire l’agent de sécurité. Parfois, il travaillait au stade Vélodrome et palpait les gens à l’entrée. Samedi, ce sont des dizaines de milliers de personnes qui vont se faire palper pour aller voir son concert », met en perspective Michel. A 55 ans, Michel a bien connu Jul. C’était son voisin d’immeuble. Même bloc, le 21, lui au 3e, Jul, son frère Mat’ et leur mère Nat’ au premier. « Enfin, moi je connais Julien, pas Jul… » Comprenez l’enfant, l’ado et l’homme qu’il est devenu ; pas l’artiste. En arpentant les petites rues de son ensemble HLM Louis Loucheur, dans le quartier de Saint-Jean-du-désert, une vingtaine de petits blocs de quatre étages bien tenus avec une jolie alternance de façades blanches et ocre, Michel rembobine ses souvenirs.

« Il rendait fou », « la vérité, il manque »

Voilà cinq années maintenant que Julien Mari, le rappeur plus gros vendeur de disque français, a quitté son quartier pour une villa qu’on imagine cosy sur les hauteurs de La Ciotat. « La vérité, il manque à la cité ; il apportait. Pas que lui, sa famille aussi, son frère, sa mère… », regrette Michel qui avait pour habitude d’entendre l’apprenti artiste depuis sa fenêtre. « Il rendait fou, mais j’ai toujours dit à sa mère, qui craignait pour son avenir, qu’il avait un don. » Tous, ici, le décrivent comme un énorme bosseur, poli et aimable, discret, réservé et d’une timidité quasi maladive. « Franchement, un gars bien », résume Marie-Claude, 75 ans, ancienne présidente de l’association des locataires de cette cité des quartiers sud de Marseille où il fait encore bon vivre. Dans son téléphone, la dame recherche et affiche quelques photos du génie du quartier. Elle comprend qu’il soit parti ailleurs. « Ça devenait ingérable. Des filles venaient dormir devant la porte de son bloc », affirme Marie-Claude. « D’autres entraient et sonnaient à tous les étages », ajoute Michel. « Et puis, c’est comme quand tu gagnes au loto. Le premier truc qu’on te dit, c’est de partir. Mais je suis sûr qu’il en souffre. Au début, il revenait parfois dormir seul dans l’appartement qui était toujours loué, mais que la famille n’occupait plus. Il avait besoin de ça. »

Plus loin dans le quartier qui a gardé son âme d’ancien village collé à Marseille un temps prisé des bourgeois et des industriels, les riverains de la place de l’église se souviennent de Jul et sa team faisant « le òaï » (le bazar en provençal). « Je suis de nature grande gueule et ne me gênais pas d’aller lui dire », raconte Michèle, une habitante de 85 ans dont l’appartement fait l’angle avec la place. « Même un jour je lui ai dit : ‘arrête avec tes pétards – il était en train d’en faire un – tu t’empoisonnes là’ », rigole la Marseillaise. « M’enfin il est toujours resté poli, il me klaxonnait gentiment quand il me voyait en journée. »

Les minots du quartier aussi ont leur lot de souvenirs. Marlon, 15 ans, fait faire des tours en scooter aux petits en ce mercredi après-midi en attendant de partir au foot. « Il venait à chaque fois avec des grosses voitures, genre Lamborghini. Une fois, il s’est ramené chargé de plein de cartons de vêtement de son label, d’Or et de Platine. Il a tout déballé sur la place et a appelé tout le monde pour qu’on se serve. » Cette générosité, cette attention, a aussi marqué Michel. « A chaque nouveau disque, il en glissait un dans les boîtes du quartier. Quand il tournait ses clips ici, en fin de journée, il régalait tout le monde en pizza », cite-t-il en exemple.

« Y’a plus de Jul ici »

Des témoignages au passé qui montre que le rappeur a définitivement tourné la page de son quartier. Un fait qui laisse un goût doux-amer à ses anciens amis d’enfance. « Y’a plus de Jul, ici », coupe court « Microb ». Attablés en cette fin de journée au bar du coin avec leurs limonades-grenadines, « Microb », « Karim de Saint-Jean », « KTS » et « Azdin » ont fait partie du premier cercle des débuts de Jul. « On a été là pour lui donner de la force au début, maintenant Julien est parti, il fait sa vie, tant mieux pour lui », commentent-ils sobrement. Pour autant, l’équipe est restée soudée. En 2018, l’année suivant le départ de Jul, la troupe a monté son propre label : La Puenta records (tiré du surnom du quartier : Saint-Jean-la-Puenta). Avec en fer de lance Mehdi YZ, rappeur de la génération juste en dessous de Jul, qui connaît aussi un relatif succès avec deux albums et une dizaine de millions de stream sur Spotify. « C’est la team Mehdi à présent », sourit-on.

Nécessairement, on comprend en filigrane que dans le quartier Jul n’a pas toujours eu que des amis. « Jul la p*te », peut-on encore lire dans un discret tag au feutre réalisé il y a, semble-t-il, bien longtemps sur le panneau qui signale l’épicerie du quartier. Avec le dernier mot rayé par le même marqueur qui a écrit ces lettres, quoique encore devinable. Mais personne ici ne parle mal de lui. « En vrai, ça reste un gars du quartier qui a réussi et qui est un modèle. Même s’il ne vient plus », conclut-on. Amour, gloire et souvenirs, voilà ce qu’il reste à Saint-Jean-du-Désert de Julien Mari. Jul, lui, écrit son histoire.

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