"J’ai refusé la garde de mes enfants"

Après seize ans de mariage, Lisa a demandé le divorce et décidé de laisser ses trois enfants à son ex-mari. Une décision mûrie, qui lui a permis de reprendre une vie professionnelle et redonner l’espace dont elle se sentait privée depuis trop longtemps.

Après des études d’architecture réussies, j’avais fait le choix de mettre ma carrière en pause, avec l’idée de reprendre lorsque les enfants seraient plus âgés. Je souhaitais les voir grandir tout en permettant à Arnaud, mon mari, de s’épanouir dans sa carrière d’architecte. Je l’avais décidé sans trop de regrets : ma mère, comme toutes les femmes de sa génération, avait fait passer la maternité avant ses ambitions professionnelles. J’avais toutefois mis sur pied une activité à mi-temps qui me donnait le sentiment de ne pas avoir renoncé à tout épanouissement professionnel : je créais des luminaires qui se vendaient plutôt bien.

Tout semblait donc aller pour le mieux, mais pourtant, en coulisses, je m’éteignais. Coincée dans une existence étriquée, j’étais devenue la psychologue et la gouvernante d’Arnaud, et lui, mon banquier et mon frère. Car, au lit, il ne se passait plus grand-chose. J’avoue que cela ne me tourmentait pas : ni l’un ni l’autre n’avons jamais eu un gros appétit sexuel. Bref, notre couple suintait l’ennui, et seul le quotidien avec trois enfants nous réunissait et nourrissait la conversation autour de la table. Une cohabitation routinière et confortable, comme dans beaucoup de couples, tandis que ma peau se couvrait d’eczéma. Mon homéopathe me répétait que c’était une alerte que m’envoyait mon corps. Je ne voulais pas entendre et me bornais à prendre de la cortisone, prescrite par mon dermatologue. Nous aurions pu continuer à cohabiter encore longtemps comme ça, jusqu’à ce jour, à la caisse du supermarché. Mon chariot rempli à ras bords, je regardais les étiquettes défiler lentement devant le scanner. D’un coup, j’ai vu cette scène comme le symbole de mon présent et de mon avenir, un quotidien sans surprise : un  bip, bip, bip continu.

Mon mari a catégoriquement refusé la garde partagée  

Vingt ans de couple, seize ans de mariage, mais je devais y mettre fin. Pour annoncer ma décision à Arnaud, j’ai attendu que nous soyons seuls, les enfants partis au ski pendant les vacances scolaires. J’avais répété l’échange mille fois dans ma tête, et j’ai enfin fini par articuler : « Je veux divorcer. » Arnaud est resté très calme, presque inexpressif. A aucun moment, ni alors ni dans les semaines qui ont suivi, il n’a tenté de me retenir ni ne m’a dit : « Reste, je t’aime encore. » C’était la preuve que j’avais pris la bonne décision. En revanche, lorsque je lui ai proposé la résidence alternée pour les enfants, il a été catégorique, il y était férocement opposé : « Ce serait trop déstabilisant pour les enfants. »

A Arnaud les moments de détente et de complicité, à moi la casquette de gendarme

Les discussions à couteaux tirés sur le mode de garde ont duré pendant des jours. Pour lui, il n’y avait que deux solutions : la garde à plein temps, pour moi ou pour lui. Sauf que je l’imaginais mal se transformant du jour au lendemain en papa poule. Je sentais surtout chez lui une volonté de contrôle, une façon de reprendre la main sur une situation que je lui imposais. Anna et Léo étaient en pleine adolescence, ils avaient à l’époque respectivement 14 et 13 ans, et Jules était encore si petit, il n’avait que 7 ans. Pour ne pas les plonger dans l’incertitude, nous avons décidé de ne rien leur annoncer tant que nous ne nous serions pas mis d’accord sur leur mode de garde. Le ping-pong par avocats interposés a commencé. Arnaud ne me faisait pas de cadeaux. Il était âpre en affaires, et il n’a pas fait d’exception avec moi. Heureusement, mon avocate avait du répondant.

Pendant toute cette procédure, Arnaud a brillé par son absence à la maison, alors que Léo, en adolescent provocateur, devenait insolent, ingérable. Je passais mon temps à m’époumoner en vain, et les rares fois où Arnaud voyait les enfants, il était accueilli comme le sauveur. Certes, mon avocate n’arrêtait pas de m’assurer que j’aurais la garde des enfants à coup sûr, mais je savais de moins en moins ce que je voulais. Car je commençais à entrevoir le futur de mère divorcée qui me guettait : à Arnaud les moments de détente et de complicité, à moi la casquette de gendarme, le linge sale et la rancœur de Léo. J’allais devoir tout gérer, tout le temps, toute seule. Une véritable injustice.

J’avais reproduit le schéma de la mère au foyer 

En fait, au bout de six mois, je réalisais que mon problème n’était pas le refus par Arnaud de la résidence alternée, mais mon choix initial d’avoir mis ma vie sur pause, de ne pas faire les choses pour moi. Avec la caution des études, de mon atelier de luminaires, des week-ends avec mes copines, je m’étais crue différente des femmes de la génération de ma mère. Alors que j’avais reproduit, à quelques variantes près, le schéma de la femme au foyer. Certes, j’avais adoré pouponner, mais au fil des années mon choix s’était transformé en piège. Si j’obtenais la garde des enfants à plein temps, je prenais le risque de devenir une mère célibataire épuisée, aigrie. Tout le contraire de ce que je voulais. J’ai décidé que je ne verrais mes enfants qu’un week-end sur deux et durant la moitié des vacances scolaires.

Puisqu’Arnaud me proposait tout ou rien, je choisissais rien

Mon avocate, qui n’avait jamais envisagé qu’on ne se batte pas pour la garde, m’a prise pour une folle le jour où je lui ai annoncé ma décision : puisqu’Arnaud me proposait tout ou rien, je choisissais rien. A lui la garde des enfants. Je le renvoyais à son ultimatum. Je ne voulais plus lutter, me cogner la tête contre les murs, je voulais l’apaisement. L’ensemble de mon entourage a crié à la folie. Le divorce avait déjà surpris tout le monde, mais partir sans mes enfants… Ceux qui me voulaient du bien me serinaient que j’étais inconsciente ou en burn-out. Pour d’autres, j’étais la méchante mère qui abandonnait ses enfants. Ma sœur passait tour à tour d’un camp à l’autre. Elle pouvait me dire : « Pense à toi d’abord », puis se contredire juste après en essayant de me raisonner : « Ce n’est pas toi cette fille-là. » N’en pouvant plus d’avoir à me justifier, j’ai fini par lui répondre : « Oui, j’ai changé, je suis devenue égoïste. »

J’avais passé des années à essayer de rendre tout le monde heureux sans écouter cette petite voix intérieure qui me disait que j’avais d’autres choses à vivre et à donner, que je ne me résumais pas à la figure maternelle. J’avais besoin de me consacrer enfin à moi. Les jugements de mes proches me blessaient profondément, d’autant que je ne les avais pas attendus pour culpabiliser. Je n’avais pas pris ma décision à la légère. Loin de là. J’avais pleuré pendant des mois, terrorisée à l’idée de faire souffrir les enfants, de les perdre. J’ai d’ailleurs regretté de ne pas leur en avoir parlé plus tôt. Tout leur tombait dessus d’un coup.

Refuser la garde des enfants et réapprendre à vivre seule 

Leur annoncer mon départ n’a pas été facile, et faire mes cartons, encore moins. Pourtant, je ne partais pas loin, et je n’ai pas cessé de le leur dire. Ils m’ont aidée à décorer mon appartement – un deux-pièces avec une chambre pour eux, je me suis installée dans le salon. Petit à petit, un rythme s’est installé. Aujourd’hui, deux ans après, Anna me sidère par sa maturité. C’est plus compliqué avec Léo, qui m’en veut, refuse de communiquer. Je lui fais comprendre que je suis là et je lui laisse le temps. Quant à Jules, qui va avoir 9 ans, il me fend le cœur car j’ai l’impression qu’il se fait du souci pour moi parce que je vis seule. Il n’aime jamais trop ce moment où il est l’heure de se séparer. Le soir, je me sens particulièrement vulnérable. Les enfants me manquent beaucoup. Je pense à Jules et à notre rituel du coucher, quand il me parle de ses copains et que ça se termine en câlin. Je culpabilise de nous priver de ces moments-là. Et je compense le plus possible, lorsque nous nous retrouvons, pour rattraper le temps perdu.

Je ne quitte pas le navire, je reprends la barre

Moi qui me plaignais du vacarme permanent, j’apprends à apprivoiser le silence qui, les premiers temps, m’angoissait beaucoup. Du coup, la radio est souvent allumée, c’est comme une présence, et je suis devenue accro aux séries télé. Je les regarde, un plateau-repas sur mon lit. Avec Anna, on s’adresse plusieurs SMS par jour. Elle m’envoie des photos, me raconte ses histoires de cœur, je reste sa confidente attitrée. Alors qu’on habite à quelques rues l’une de l’autre, j’ai l’impression qu’on ne s’est jamais autant parlé. Ainsi, elle m’a appris qu’Arnaud avait une amoureuse – rien d’officiel. Je sais qu’elle rêverait de ne plus me savoir seule, mais ça n’est vraiment pas à l’ordre du jour. Je ne suis pas prête, je ne me sens pas disponible, encore trop centrée sur moi-même.

Arnaud se débrouille plutôt bien en père célibataire. Certes, certains détails laissent à désirer, mais j’ai appris à garder mes critiques pour moi, afin d’éviter de m’entendre répondre : « C’est moi qui ai la garde. Il ne fallait pas partir. » Même si nos rapports sont à peine courtois, nous sommes capables de trouver des arrangements, pour accompagner Jules au judo ou à une visite médicale. C’est aussi un moyen pour grappiller un peu de temps. Et, évidemment, je continue à donner mon avis sur leur éducation et les grandes décisions les concernant. Je n’ai aucun regret, je sais qu’il était temps que je m’écoute. Moi qui avais l’impression de m’éteindre à petit feu, de stagner dans l’eau tiède, je me sens comme réveillée, en ébullition ! J’ai des projets, je suis plus curieuse des autres et souris davantage… Je n’ai presque plus d’eczéma ; mon corps, lui aussi, s’est apaisé. Mes luminaires continuent à bien se vendre. Je démarche pour trouver des nouveaux clients, j’apprends à m’affirmer, à me faire entendre. J’avais toujours laissé Arnaud gérer notre argent.

Maintenant que je dois défendre mon bifteck toute seule, je me découvre des talents de négociatrice. Je n’abandonne pas mes enfants, mais je ne veux plus gérer le quotidien, être la servante de la maison. Je veux m’occuper de moi. Je ne quitte pas le navire, je reprends la barre.

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Témoignage publié dans le magazine Marie Claire, avril 2017

  • Peut-on trop aimer ses enfants ?
  • Comment trouver le bon équilibre entre vie pro et vie perso ?

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