Le romancier historique change de registre en s’accordant une parenthèse amoureuse. Une réussite totale pour cet opus choral et contemporain.
Nul besoin de nier une certaine appréhension au moment de venir à la rencontre de Romain Sardou au bar du Royal Monceau à Paris. Bêtement, le dicton « tel père, tel fils » trottait dans ma tête. Or, comme souvent, l’adage a menti, tant l’écrivain de 49 ans a su réussir dans un tout autre domaine que celui de sa célèbre lignée. Entretien avec un spécialiste du Moyen Âge qui se révèle aussi un fin observateur des désirs de nos contemporains. Une autre manière élégante d’appréhender La Maladie d’amour si bien chantée par son père, dont le fils se réjouit d’ailleurs du retour à la chanson…
France Dimanche : C’est juste une parenthèse dans votre carrière ou vous en avez terminé avec les romans historiques ?
Romain Sardou : Non, non, ce n’est certainement pas terminé ! Mais ce roman a quand même un rapport direct avec mes précédents, dont ceux qui se passent durant le Moyen Âge, une période où est né le roman courtois. C’est vraiment le début des codes amoureux tels qu’on les pratique encore aujourd’hui. Des couples mythiques apparaissent alors, tels Tristan et Yseult. On y retrouve déjà les thèmes de l’attente, du désir, de l’abandon. Tout ce qui fait que l’amour a pris une telle place dans nos vies. J’ai donc voulu savoir si un couple avait la chance de tomber dans ces codes de conte de fées, est-ce que ça marcherait encore aujourd’hui ? Eh bien, oui !
FD : Comment pourriez-vous résumer ce roman ?
RS : En premier lieu, c’est l’histoire d’un couple hétéro trentenaire, Camille et Camille, qui se sont rencontrés par hasard. Ils ont cette chance folle d’avoir justement toutes les chances dans leur histoire. Rien ne pollue leur relation, tout s’enchaîne bien. C’est très médiéval ça ! Et à côté de cette rhapsodie souriante, ils rencontrent des gens et des amis qui font face à des obstacles qui contrecarrent leurs histoires d’amour et occasionnent des mini-drames. Comme une pièce de théâtre. À travers ces multiples anecdotes, je voulais surtout réveiller les souvenirs des lecteurs.
FD : Comment et où trouvez-vous cette inspiration ?
RS : Ce livre s’est construit avec ma vie, petit à petit. En vivant, en entendant des choses, en en imaginant d’autres.
FD : Vous n’auriez pas pu l’écrire à 25 ans ?
RS : Impossible ! Il fallait traverser la quarantaine…
FD : De quel personnage vous sentez-vous le plus proche dans ce roman ?
RS : Je ne me suis pas projeté, mais j’aime bien le degré d’imagination du couple formé par Camille et Camille. Je peux avoir ce côté provocateur de mise en scène.
FD : À l’instar du titre du livre, vous dites facilement « je t’aime » ?
RS : Facilement oui, mais pas tout le temps !
FD : Comme l’un de vos personnages l’affirme, le discours a changé. Aujourd’hui, c’est la sexualité qui est le discours dominant ?
RS : J’ai l’impression, oui. Avant on disait longtemps l’amour avant de le faire. Aujourd’hui, cela semble s’être inversé avec le rapport physique, qui est devenu plus naturel et plus facile. Mais en revanche, le « je t’aime » prend une vraie dimension d’engagement.
FD : Êtes-vous d’accord avec cet autre personnage qui dit qu’il y a « des amours heureuses mais pas d’amour facile » ?
RS : Complètement ! Tout comme il n’y a pas d’histoire d’amour sans histoires. Mais aimer, ça s’apprend, comme disait Ovide. Il y a tout un travail d’adaptation à l’autre…
FD : Vous croyez à l’amour « éternel » ?
RS : Oui. Il n’y a aucune raison pour qu’un amour s’arrête, sauf toutes les raisons qui vont lui tomber dessus. On ne peut pas maîtriser la chance…
FD : Et comme vous l’écrivez, sur la durée, il est plus facile d’aimer que de désirer…
RS : C’est quelque chose de nouveau : le désir prend la place de l’amour dans le summum du bonheur. Cela a changé au cours des siècles lorsque l’on sait qu’à l’époque gréco-romaine, la relation ultime était l’amitié. Pour eux, une société faite que d’amours passionnées était ingouvernable ! Cela contraste avec notre société qui se nourrit d’excès.
FD : Vous pensez toujours qu’il faut être un peu fou pour tomber amoureux ?
RS : Oui, on accepte de se perdre… dans une véritable aventure ! Beaucoup d’histoires d’amour ne perdurent pas, faute de courage.
FD : Et pour durer, vous écrivez aussi qu’il ne faut jamais tout se dire…
RS : C’est nouveau aussi, car la parole a pris une telle place qu’on multiplie les chances de malentendus. Notamment avec les textos… Et on a trop tendance à vouloir se dévoiler tout de suite, en délaissant une part de mystère. Le secret fait partie du jeu amoureux.
FD : Vous êtes un défenseur acharné du mariage ?
RS : J’aime beaucoup l’idée, mais il n’y a pas de règle. Moi-même, j’ai été marié-divorcé. Mais à chacun son jeu…
FD : Plus jeune, ou aujourd’hui encore, vous aviez un modèle de couple ?
RS : Non, pas vraiment. Même si, comme pour tout le monde, les modèles de couple sont ceux qui durent le plus longtemps. Mais sont-ils vraiment les plus heureux ? Et plus on a de modèles, plus c’est casse-gueule.
FD : Votre perception est peut-être différente en tant qu’enfant de divorcés ?
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RS : Sans doute, même si j’ai eu la chance que mes parents aient divorcé quand j’avais 25 ans. Il n’y a pas eu vraiment de trauma. Mais c’est vrai que l’exemple des parents est toujours marquant.
FD : En parlant de vos parents, que pensez-vous du retour à la chanson de votre père, Michel ?
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RS : Je trouve que c’est une très bonne idée ! Je ne pensais pas qu’il reviendrait mais, en tout cas, il travaille énormément.
FD : La scène est une drogue, non ?
RS : C’est certain que soixante ans de carrière ne peuvent pas s’effacer comme ça. Sans compter que beaucoup de gens lui demandaient pourquoi il avait arrêté et voulaient qu’il revienne.
FD : Cela ne doit pas être évident de vivre avec une telle figure paternelle.
RS : Non, ça va parce qu’on ne fait pas la même chose. Cela a été vécu assez simplement, parce que lui-même est un enfant de la balle. Il y a quelque chose d’assez dépassionné dans notre famille.
FD : Il lit vos romans ?
RS : Bien sûr, mais ma première lectrice est ma compagne.
FD : Avec ce roman d’amour, elle a dû être très attentive !
RS : Tout à fait, oui. Plus que pour un roman historique !
FD : Ce roman est aussi une déclaration d’amour à Paris…
RS : J’adore cette ville, il y a tant d’endroits sublimes ! Avec une telle histoire. Et ce n’est pas pour rien la ville de l’amour. La dimension géographique est hyperimportante dans les histoires d’amour. Nos souvenirs au bout d’un moment deviennent des lieux, c’est très étonnant !
FD : Quels sont vos projets à venir ?
RS : Je prépare un conte de Noël pour le mois de novembre. Et côté roman, je suis sur deux sujets historiques. Il va falloir que je me décide d’ici à cet été. Mais je retournerais aussi un jour sur cette thématique de l’amour contemporain. J’ai encore des choses à dire !
Propos recueillis par Yves QUITTÉ
Je t’aime, de Romain Sardou, XO Éditions, 20,90 €.
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