Interview de Laurent Richier : “N'achetez jamais de viande en supermarché !”

Écœuré par les méthodes de la grande distribution, cet ancien boucher part en guerre contre un scandale sanitaire.

France Dimanche : Traditionnellement, la boucherie a toujours été un métier noble. Mais le portrait que vous en dressez est proprement glaçant…

Laurent Richier : Malheureusement, depuis mon apprentissage, quand j’avais 15 ans, je peux dire que partout où je suis passé, je suis toujours retombé sur les mêmes pratiques. C’est d’ailleurs pour ça que j’ai écrit ce livre, afin d’alerter les Français sur cette crise sanitaire qui s’ourdit dans notre dos.

FD : Vous évoquez l’hygiène déplorable régnant en ces milieux, mais était-ce mieux avant ?

LR : Ce n’était pas mieux avant, mais ça ne s’est pas arrangé depuis. Et chaque fois que j’ai demandé des contrôles d’hygiène, les services concernés ne sont pas venus. Le problème, c’est que ces services sont souvent internalisés, et on voit mal comment ces « contrôleurs » pourraient contrarier ceux qui les payent… Quant aux services relevant de l’autorité publique, ils demeurent tout aussi passifs. Et c’est là que nous avons affaire à un véritable scandale ! Deux millions d’intoxications alimentaires par an, ce n’est pas rien, et cela ne risque pas de s’arranger.

FD : On savait déjà que dans les grandes surfaces, la viande n’est pas toujours très fraîche. Mais à vous lire, on serait encore en dessous de la réalité…

LR : Vendre de la viande ayant depuis longtemps atteint la date de péremption est quasiment devenu la norme : tout doit disparaître ! Mais le pire, ce sont encore les saucisses, transformées en véritables bennes à ordures dans lesquelles on case tout ce qui est définitivement invendable. Je me suis vu préparer des merguez avec de la viande couverte de moisissures qui était restée dans des bacs plus de quinze jours. Et je ne vous parle même pas de ces chipolatas que j’ai dû fabriquer avec des morceaux de porc devenus tellement visqueux qu’ils collaient aux doigts !

FD : Il y a de quoi devenir végétarien !

LR : Je le suis devenu, après avoir été anorexique, puis boulimique. Et c’est pourquoi j’ai dénoncé tout cela dans mon livre, mes vidéos et lors de mes passages à la télé. Résultat ? Nombre de bouchers de la grande distribution sont aujourd’hui prêts à rejoindre ce combat, à parler haut et fort de la merde qu’ils sont obligés de vendre depuis tant d’années. Je suis fier d’avoir mis un bon coup de pied dans la fourmilière.

FD : Le portrait que vous dressez de la grande distribution n’est guère flatteur…

LR : Il faut déjà comprendre que ce monde, fondamentalement égoïste, n’a que faire d’étrangler éleveurs et paysans. Résultat, ces derniers se suicident à tour de bras, sachant qu’ils en sont souvent réduits à vendre leur production à perte. Alors que la grande distribution se fait des marges faramineuses, allant jusqu’à six fois la culbute, dans les autres commerces, la norme consiste à vendre deux fois plus cher que le prix d’achat.

FD : Vous assurez même qu’elle a engrangé des profits gigantesques durant le confinement…

LR : Quand les restaurants ont été fermés, le chiffre d’affaires des grandes surfaces a été multiplié par trois ou quatre. Elles se sont gavées ! Les abattoirs tournaient à plein régime. Un de nos livreurs m’a avoué qu’il s’agissait d’un massacre d’animaux ! Mais quand les restaurants ont été autorisés à rouvrir, j’ai été convoqué avec tous mes collègues par la direction d’une grande enseigne. On nous a dit qu’il fallait à tout prix conserver ce chiffre d’affaires ; ce qui était évidemment impossible. De ce fait, les frigos se remplissaient de carcasses qu’on ne pouvait plus vendre, la clientèle ayant repris ses habitudes d’autrefois, dont celle d’aller au restaurant. Et nous étions obligés de jeter des centaines de kilos de viande à la poubelle.

FD : N’y a-t-il pas quelque chose d’obscène dans cette tuerie doublée d’un gaspillage éhonté ?

LR : Parfaitement. Je suis pour la protection des animaux. Et la manière dont on les tue aujourd’hui est une véritable honte ! Il est loin le temps où le boucher du coin se rendait sur place pour tuer une vache. Avant de finir dans nos assiettes, ces bêtes avaient vécu une vie digne de ce nom : élevées au grand air et nourries normalement.

FD : Vous évoquez aussi le cas du poulet, tout aussi impropre à la consommation.

LR : Souvent, les volailles que nous rôtissions tous les matins étaient des poulets polonais élevés en batterie, mais que nous devions faire passer pour des français, quitte à inventer le nom de leur éleveur. Quant au bio, c’est le plus souvent une vaste blague. J’ai travaillé dans un de ces magasins. Le directeur n’avait qu’un mot à la bouche : la qualité. Mais en entrant dans le laboratoire, j’ai eu la surprise de voir un endroit dégueulasse, si vous me passez l’expression. En y regardant de plus près, j’ai soulevé la grille d’égout dans laquelle l’eau est censée être évacuée. Il y avait des morceaux de viande en pleine décomposition. L’odeur était tellement insoutenable que j’ai vomi dans la seconde ! Je remarque que la grande distribution se met, elle aussi, au bio. Autant dire que c’est la fin du bio, sachant que j’ai dû vendre de l’agneau anglais, du mouton néo-zélandais et de la vache argentine en assurant aux clients que tout cela venait de France. Et était bio !

FD : Derrière tout cela, n’y a-t-il pas un problème de gaspillage généralisé ?

LR : En grande distribution, il faut vendre pour vendre. C’est de la surconsommation. Sachez que les ménages français gaspillent 570 000 tonnes de viande par an. Soit 1,5 milliard d’euros. Cela représente 50 millions de poulets, 1,5 million de porcs et 10 000 bovins. Les Français ont aussi leur part quand ils se ruent sur ces promotions les amenant à acheter plus de viande qu’ils ne pourraient en manger. Même si je ne suis pas Sandrine Rousseau ni Aymeric Caron. Il est normal que les hommes consomment de la viande, comme ils l’ont fait de tout temps. Si la nature nous a donné des canines, ce n’est pas pour brouter dans les champs.

FD : Dans votre livre, il y a de jolis passages sur les boucheries de quartier…

LR : Leurs méthodes n’ont rien à voir avec celles des supermarchés. Ils connaissent ce qu’ils vendent. Ils ont acheté les carcasses à Rungis ou à la ferme du coin. Ils savent d’où viennent les animaux, comment ils ont été traités. Ils ont à cœur de conserver leurs clients et veulent les faire revenir le plus souvent possible dans leur magasin. Dans le petit commerce, les bonnes réputations mettent du temps à s’établir, alors que les mauvaises se répandent comme une traînée de poudre. Ce sont des artisans qui aiment leur métier.

FD : Comme quoi tout n’est peut-être pas perdu…

LR : Il est vrai que les Français auraient, semble-t-il, tendance à bouder les grandes surfaces pour recommencer à fréquenter les boutiques de quartier ou se fournir sur les marchés. Peut-être en ont-ils assez de se faire duper. D’autant plus que cela ne coûte pas plus cher que d’aller engraisser ces aigrefins.

A lire…

Viande : et si vous saviez… de Laurent Richier, Va Éditions, 15 €.

Nicolas GAUTHIER

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