- Fuir le CDI : une quête de sens et de liberté
- Une carrière aux allures de patchwork professionnel
- Quitter un CDI pour gagner en qualité de vie
- Lourdeur corporatiste et quête de sens
- "J’adapte mon travail à mes besoins, à ma santé, et non l’inverse.”
“Merci mais non merci.” C’est en substance ce que j’ai répondu à l’une de mes clientes lorsqu’elle me proposa généreusement, à la suite de sa propre démission, de reprendre son poste et d’intégrer l’entreprise convoitée avec laquelle je collaborais depuis quelques années.
À la clé ? Un CDI aussi confortable qu’une paire de UGG en plein hiver, un salaire suffisant pour payer un loyer parisien et manger à sa faim, des journées en télétravail où l’on peut faire semblant de bosser et une équipe bienveillante dont je connaissais, en plus, la plupart des membres.
Une proposition plutôt séduisante dans un contexte socio-économique proche de l’apocalypse, que j’ai pourtant choisi de poliment décliner après l’avoir soigneusement considérée.
Et pour cause, en dépit de sa précarité notoire, de ses horaires souvent décalés et de sa protection sociale quasi-inexistante, je me suis rendu compte, après mûre réflexion, que je n’échangerai mon statut de freelance pour rien au monde, si ce n’est peut-être, pour un million de dollars (ou deux).
Fuir le CDI : une quête de sens et de liberté
Absence de routine étourdissante, équilibre de vie épanouissant ou encore variété des missions proposées galvanisantes : au risque de paraître cliché, ce mode de travail s’apparente à une terre promise de l’emploi, loin des contraintes spatio-temporelles un brin aliénantes du patronat et d’un capitalisme qui fait rimer profil Linkedin et réalisation de soi.
Un choix de vie certes, mais aussi un privilège et une chance qui, bien que réservés majoritairement à une poignée d’urbains sur-diplômés et de bullshit jobs pas forcément essentiels à la société, fait de plus en plus d’émules dans le secteur tertiaire, celui des start-up à babyfoot et des multinationales à carte Swile.
Selon la Direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques (Dares), il y aurait eu 520 000 démissions par trimestre en France en 2022, dont 470 000 démissions de CDI entre fin 2021 et début 2022. Un désaveu record qui reste certes multifactoriel, mais qui s’accompagne toutefois d’un intérêt grandissant pour le statut d’auto-entrepreneur ou de travailleur indépendant.
Une étude de l’institut Opinion Way pour Prism’emploi réalisée auprès de jeunes actifs de moins de 25 ans révèle qu’un jeune Français sur deux envisage de passer par l’un de ses statuts au cours de sa carrière et que 59% rêve de créer sa propre structure entrepreneuriale ou en reprendre une existante.
Et si le CDI reste toutefois la norme, 35% des salariés français déclarent qu’ils n’ont jamais eu autant envie de démissionner qu’aujourd’hui (Indeed 2022, selon RMC). Un chiffre qui monte à 42% chez les moins de 35 ans.
Une carrière aux allures de patchwork professionnel
“Je n’ai jamais cherché à avoir de CDI !”, nous lance Alice*, 31 ans, à la tête de sa propre marque de bijoux. Diplômée d’une célèbre école de stylisme parisienne, celle qui a été élevée par des parents auto-entrepreneurs explique qui lui a toujours semblé naturel de travailler à son compte.
“Lors de ma 4e année d’école, je ne savais pas exactement ce que je voulais faire mais une chose était sûre : je voulais dessiner et je voulais être indépendante« , se souvient-elle, fustigeant dès son plus jeune âge l’idée d’un quotidien aux allures de copier-coller.
Je ne me voyais pas prendre le métro tous les jours, la même routine, le même bureau, les mêmes collègues, les mêmes conversations à la cantine le midi…
“Je ne me voyais pas prendre le métro tous les jours, la même routine, le même bureau, les mêmes collègues, les mêmes conversations à la cantine le midi… En fait, je trouve ça fou de donner sa liberté pour pouvoir vivre décemment », poursuit celle qui voit ce statut administratif comme une vocation à part entière.
Dessinatrice freelance dans le luxe, créatrice d’un label de t-shirts, professeure d’arts appliqués dans une école privée : la vingtenaire enchaîne alors les petits boulots et les projets, tissant un début de vie active aux allures de patchwork professionnel. Ou ce que les gens en costard-cravate des grands cabinets de conseil appellent aussi le “slashing”.
Aujourd’hui dédiée à sa marque de bijoux, la jeune femme (qui a depuis profité de son statut d’auto-entrepreneure pour quitter Paris pour le sud de la France) revendique plus que jamais son mode de vie.
Quitter un CDI pour gagner en qualité de vie
« Certes, je bosse certains soirs, je bosse certains weekends… mais je fais quelque chose que j’aime, dans des conditions que j’aime, entouré de ceux que j’aime », se réjouit Alice, qui a su aussi convertir son compagnon Julien* à ce mode de vie encore considéré comme atypique dans le monde du travail.
Développeur de profession, ce natif de Normandie qui aspirait aussi à quitter le boulot-métro-dodo parisien se décide à sauter le pas, non seulement en observant le rythme de vie de sa chère et tendre, mais aussi en constatant que les employés freelance de son entreprise gagnent bien mieux leur vie que lui, pour le même temps de travail et les mêmes missions.
Le calcul était vite fait. « Effectivement je suis bien moins protégée que par mon CDI, mais j’ai gagné tellement en qualité de vie. On a troqué notre studio pour une grande maison, en pleine nature. C’est le paradis », confie celui qui reconnaît avoir la chance de travailler dans un secteur riche en opportunités.
“Clairement en étant développeur, tu sais que tu peux trouver très facilement des missions et que j’aurai a priori jamais de problème pour payer notre loyer. Ce qui n’est pas le cas de toutes les professions”, souligne-t-il.
Lourdeur corporatiste et quête de sens
Pour d’autres, c’est l’expérience même du CDI qui les a poussée à s’en extirper, alors même qu’ils avaient suivi la voie royale pour se saisir de ce trophée professionnel… et qu’ils n’avaient jamais songé une seconde à vivre d’eau fraîche et de contrats temporaires. C’est le cas de Mickaël*, 32 ans, qui après un parcours scolaire brillant auréolé d’un diplôme d’école de commerce, fait ses gammes au sein d’un prestigieux fonds d’investissement avec d’abord un stage puis un CDI.
« Au début, j’étais content. Mes parents étaient fiers. Je gagnais très correctement ma vie pour quelqu’un de mon âge. Je ne me posais pas trop de questions », avoue-t-il. Puis rapidement, le poids de la hiérarchie, la culture du présentéisme et les perspectives d’évolution peu enthousiasmantes viennent ternir le tableau. “On devait détailler dans un logiciel tout ce qu’on avait fait dans la journée, heure par heure, faire de la “politique” en montrant bien qu’on arrivait le premier et qu’on partait le dernier… En fait, nos supérieurs voulaient juste nous voir assis derrière un ordinateur, peu importe ce qu’on réalisait concrètement », déplore-t-il.
C’est effectivement plus incertain, parfois même plus stressant mais je sens que je suis à ma place !
« Certaines tâches prenaient 20 minutes à être effectuées mais il fallait en réalité prétendre que tu y passais des heures dessus juste pour être bien vu. Mes managers suivaient la doctrine de la boîte sans se demander si c’était malin ou efficace”, poursuit-il, tout en pointant la lassitude créée par la routine du salariat.
C’est finalement la crise du Covid qui l’incitera à démissionner et se lancer dans une aventure entrepreneuriale qu’il n’avait pas osé tenter jusqu’à présent. “C’est effectivement plus incertain, parfois même plus stressant mais je sens que je suis à ma place ! Et chaque matin, je me lève et je travaille pour moi, et non sur un siège éjectable pour le compte d’actionnaires qui s’en mettent plein les poches sur mon dos », abonde-t-il.
« J’adapte mon travail à mes besoins, à ma santé, et non l’inverse.”
Un parcours dans lequel se reconnaît Romy* qui a passé 4 ans en CDI comme graphiste au sein d’une entreprise de prêt-à-porter multi-marques.
Management chaotique, salaires flirtant avec le SMIC, projets peu épanouissants, lieu de travail en bordure du périphérique : la jeune femme de 28 ans décrit un quotidien sclérosé qui tourne vite à la morosité sur fond de symptômes dépressifs.
« Je me suis dit que je ne pouvais pas aller travailler tous les jours dans cet état à même pas 30 ans ! Et en même temps, venant d’un milieu modeste, je culpabilisais de ne pas me satisfaire de ce que j’avais alors que mes parents avaient eu des boulots bien plus éprouvants que le mien« , nous raconte-t-elle.
Elle profitera finalement d’un plan de licenciement économique pour se remettre en question et tenter de trouver enfin sa vocation. Avec les premiers confinements, elle se remet doucement à la photographie, la passion de son adolescence, et perfectionne sa technique. Elle collabore alors avec des magazines indépendants grâce au bouche à oreille, tout en assurant des missions ponctuelles de graphisme.
« Aujourd’hui je ne gagne pas des milles et des cents mais assez pour vivre décemment, nous assure-t-elle. J’adapte mon travail à mes besoins, à ma santé, et non l’inverse.”
Ou l’art de remettre le travail à sa juste place.
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