« Il faut rêver grand », recommande Jean-Pascal Zadi dans « En place »

  • La nouvelle série de Jean-Pascal Zadi, En place, est disponible ce vendredi sur Netflix.
  • Dans cette comédie satirique en six épisodes, il incarne Stéphane Blé, un éducateur propulsé dans la présidentielle.
  • Rencontre avec l’artiste qui ne pratique pas la langue de bois.

Après son carton au cinéma Tout simplement noir, qui lui a valu le César du meilleur espoir masculin en 2021, Jean-Pascal Zadi retrouve le petit écran. Dans En place, comédie en six épisodes disponible ce vendredi sur Netflix cocréée avec François Uzan, il incarne Stéphane Blé, un éducateur idéaliste propulsé dans la course présidentielle par accident. Une satire tendre et désopilante du système politique français, portée par Eric Judor, Benoît Poelvoorde, Marina Foïs, Pierre-Emmanuel Barré et Panayotis Pascot, qui fait réfléchir. Rencontre avec un créateur de série, qui ne pratique pas la langue de bois.

Après « Tout simplement noir, » vous revenez à la comédie satirique politique avec « En place », comment est né ce projet ?

La naissance de la série, un peu dans la continuité de Tout simplement noir, c’est un personnage qui décide d’ouvrir son horizon et de rêver plus grand. Je pense que c’est un peu autobiographique. Je suis fils d’immigré et je viens d’un milieu pauvre et noir. J’ai été beaucoup contenu dans ma vie : « Tu ne peux pas rentrer là », « Ce métier n’est pas pour nous », « Cette meuf-là, n’imagine même pas lui parler ! ». J’ai beaucoup été bridé par mon entourage et par moi-même. Ce qui m’intéresse dans En Place, c’est que ce personnage ose. A force de dire aux autres qu’il faut rêver grand, il se l’applique à lui-même et se retrouve pris à son propre jeu. Ce personnage décide d’ouvrir l’horizon, c’est ce qui m’est arrivé un peu dans ma vie.

Il y a en filigrane une critique de notre système politique. Même un idéaliste comme Stéphane Blé s’y brûle les ailes, quelle est la solution alors ?

Pour moi, la vraie politique n’est pas dans le monde politique dans lequel il va baigner, la vraie politique, c’est son métier. La vraie politique, ce sont les associations de quartier, les éducateurs, les choses qu’on fait. Personnellement, je ne crois pas trop à la politique en tant que métier, je crois en la politique en tant que nous, entre nous. Que peut-on mettre en place ? Comment peut-on s’entraider ? Après, évidemment qu’il y a des décisions qui découlent de là-haut, mais, j’ai plus foi dans notre capacité en tant que peuple à faire des choses qu’au-dessus.

Avez-vous fait des recherches ou rencontré des conseillers politiques ?

Pas trop. J’ai juste une culture politique de base. Je suis un mec du bistrot, un mec des années 1980. Le Bébête Show, Les Guignols… Mes parents étaient très ancrés politiquement dans ma région en Normandie. La politique, tout le monde en parle et a son mot à dire. On est Français, on aime bien se plaindre, insulter les politiciens… Cela fait partie de ma culture. Je voulais rigoler de cela. Et il y a quand même eu un conseiller qui est venu deux jours et nous a donné quelques petits conseils sur la campagne.

« En place » met en scène toute une galerie d’hommes et de femmes politiques, aviez-vous des modèles en écrivant la série ?

Pour que le message passe, il fallait un peu ancrer notre personnage dans un décorum assez crédible. Et pour que ce soit marrant, je pousse un peu les curseurs sur certains aspects.

Aviez-vous déjà en tête le casting en tête en écrivant ?

J’ai d’abord voulu créer un monde politique crédible et je me suis ensuite demandé : « Quel est le mec qui incarnera le mieux cela ? ». J’ai pris Marina Fois pour la candidate écolo féministe. J’ai déjà vu Marina Fois se prendre la tête avec des gens sur des sujets politiques, elle est vraiment engagée, elle ne rigole pas. Je me suis demandé qui pouvait représenter un mec de gauche qu’on aime bien mais un peu connard quand même, un peu fou, j’ai pensé à Benoît Poelvoorde. Pour Pierre-Emmanuel Barré, là, c’est complètement de la fiction. Mais j’adore ce qu’il fait, sa verve et son humour incisif. Et, même si ce n’est vraiment pas son truc, je l’ai choisi pour le candidat d’extrême droite.

On a beaucoup dit que Barack Obama ne serait pas arrivé au pouvoir sans David Palmer, le président noir de « 24 Heures chrono », pensez-vous que les séries peuvent avoir cet impact-là ?

Oui, et pas que les séries, les représentations en général. Mettre une femme PDG de Renault, ça sert. J’ai tellement souffert dans ma jeunesse de n’avoir aucune représentation. Moi, à 15 ans, le top du game, c’est d’être rappeur ou footballeur. Pourquoi ? Parce que je ne voyais que des rappeurs et des footballeurs noirs. Je suis hyperfier de vivre dans un pays où il y a Omar Sy en superstar, où Mory Sacko est chef cuisinier, où Taubira a été ministre… Mes enfants ne grandissent déjà pas dans le même monde que moi. Pour certaines personnes, cela ne sert à rien et ils appellent cela le wokisme. Mais eux, ils s’en foutent, ils ont tout à disposition. Toutes les représentations sont bonnes quand elles ouvrent les horizons et changent les mentalités. La société est en pleine mutation. Et cette mutation-là est une richesse. On pouvait dire des trucs avant qu’on ne peut plus dire maintenant. Je trouve cela bien. On faisait des erreurs. L’esclavage a duré quatre cents ans, à un moment donné, on a dit : « Ce n’est pas bien ». Ce n’est pas parce que cela a perduré pendant des siècles que c’était bien. Les représentations, les images, les symboles, je trouve cela hyperimportant.

Qu’aimeriez-vous qu’« En place » déclenche comme conversation ?

Le message principal d’En place est de dire qu’on n’est pas assigné à l’endroit d’où l’on vient. Ce n’est pas parce que tu nais dans un milieu agricole ou chez les Ch’tis que tu dois rester là-bas toute ta vie. J’ai pris l’exemple d’un petit éducateur de banlieue propulsé dans la présidentielle. On est en France, il y a beaucoup d’opportunités, de choses à faire. Si tu as envie de bouger, alors bouge ! Tu peux le faire ! » Moi, je suis le dernier des pouilleux, je ne suis pas spécialement intelligent, ni beau gosse, je n’ai pas tant de talent que cela. Mais j’ai réussi à faire quelque chose parce que j’étais un peu motivé et que j’ai osé faire les choses. Je ne suis pas spécial, j’ai juste osé rêver. J’ai trop d’amis autour de moi qui auraient pu être de grands chefs cuistot ou autre, mais comme ils n’ont pas osé, ils sont restés bloqués.

Certains n’osent pas franchir ne serait-ce que la porte de certains lieux, comme l’opéra…

Tout à fait ! « La première prison est mentale », dit d’ailleurs mon personnage. Si ma série peut permettre, par le biais de la rigolade, c’est du divertissement, que juste un mec se dise en regardant : « Il est éducateur, à la fin, il finit comme ça, alors moi, si cela se trouve, je peux faire de la danse classique… » Au pire, tu rates et puis c’est tout, mais juste, essaye !

Sur le plan perso, Stéphane Blé est confronté à la PMA…

Il y a la dimension sociale avec son métier, familiale avec sa mère, qui est à fond dans Jésus, et amoureuse avec son couple. Je voulais qu’il ait plusieurs dimensions actuelles. Et dans mon entourage, il y a des couples qui ont eu recours à la PMA… Je voulais que mon personnage connaisse d’autres difficultés à côté, des passages plus compliqués dans sa vie perso.

Cela apporte de la complexité au personnage…

Ce qui m’intéresse dans les personnages et dans l’humour d’une manière générale, c’est la nuance. Je trouve qu’on est dans une société où il n’y a pas assez de nuances aujourd’hui. On ne pardonne pas beaucoup aux gens. Ce que j’aime bien dans ma série, c’est le fait que ce soit un éducateur, noir, qui vient du ghetto, et qui essaye d’embrasser une cause plutôt noble et juste, il veut être le porte-voix de son entourage, mais cela ne l’empêche pas à côté d’être un connard sur certains sujets. J’adore cela. C’est juste la vie !

Volodymyr Zelensky s’est fait connaître  avec la sitcom « Serviteur du peuple », dans lequel il incarnait un Monsieur Tout-le-monde qui arrivait par hasard à la fonction suprême, alors, vous y pensez en vous rasant ?

Pas du tout ! Ce n’est vraiment pas mon trip. La politique en tant que fonction ne m’intéresse pas. Je suis plus content quand j’emmène les copains de mon fils au cinéma, dans des expos ou au foot et qu’ils voient des affiches ou des bandes-annonces avec moi et disent : « C’est ton papa ! ». C’est ça ma récompense ! Je n’ai pas besoin d’aller à l’Elysée. Je m’en fous. Ce que je veux, c’est avoir une petite influence positive sur les gens qui sont à côté de moi.

Avec le succès de « Tout simplement noir », vous êtes  devenu d’une certaine façon le porte-parole de quelque chose de plus grand que vous ?

Oui, mais malgré moi. Quand je me lève le matin, je ne me dis pas que je suis le porte-voix. Mais comme il n’y a pas beaucoup de gens comme moi qui prennent la parole, du coup, dès qu’il y en a un, on remet tout sur lui. Quand j’écris, je ne me dis pas que je vais être le porte-voix des banlieues ou des noirs. Je suis juste le porte-voix de JP Zadi ! Quand je prends la parole, ça devient un peu politique. Ce n’est pas mon but, mais je l’accepte. Et cela me met une pression, que j’accepte aussi. Parce que si tu prends la parole, assumes ! Alors, je fais un petit peu attention à ce que je dis. 

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