Jean-François Bernardini est le cofondateur avec son frère Alain, du groupe corse I Muvrini (Les petits mouflons), créé à la fin des années 70. Un groupe corse qui chante corse et qui a toujours défendu la culture de l’île. Le groupe a remporté huit disques d’or, deux Victoires de la musique et publie un nouvel album, Piu forti.
franceinfo : Votre nouvel album, Piu forti, appelle à réfléchir, à avancer, à se dire qu’il faut absolument s’unir et dire que plus on est ensemble, plus on est forts.
Jean-François Bernardini : Effectivement, on illustre cet album par un petit dessin de poisson qui vient nous donner une petite leçon de démocratie en nous expliquant qu’il y a un pouvoir des sans-pouvoir et que c’est bien de le prendre. Et que si on est divisés, bien évidemment, le monde prédateur peut nous être fatal. Si on tourne la tête et qu’on est ensemble, on est beaucoup plus forts. Je crois que cette petite leçon de citoyenneté positive est précieuse par les temps qui courent.
Quand on écoute cet album, on pense immédiatement à votre père. J’ai l’impression que c’est aussi un hommage que vous lui rendez, une façon de lui dire que, depuis le temps, vous n’avez jamais cessé finalement de défendre les mêmes valeurs.
« On a la conviction profonde que la diversité est dans le cadastre mental, dans le cadastre des cœurs. »
à franceinfo
On est un petit ruisseau qui coule. On est un petit arbre qui continue à grandir, qui sait l’attachement à sa terre, l’attachement aux profondeurs dans ce monde de superficialité et qui, en même temps, tend les bras vers le ciel. Mon père, nos pères, ou ceux qui ont chanté avant nous, sont à la fois entre ciel et terre et ils nous inspirent et nous donnent des forces. On n’a jamais voulu se laisser enfermer dans ce rapport trop étroit, quelquefois exagéré d’ailleurs, à la tradition, au folklore, à la terre. On a voulu être non pas de ces gens qui séparent, qui hissent des murs, mais de ces gens qui construisent les ponts dont on a tellement besoin dans ce monde. C’est cette diversité-là qu’on a envie de chanter, celle qui enrichit, ces diversités qui s’additionnent. Alors, de temps en temps, on écrit des chansons, on fait des albums.
Il y a de la colère, même si finalement, elle est très canalisée. Elle est nécessaire pour écrire ?
Notre carburant, c’est la non-violence, comment tu arrives à transformer les souffrances, les peines du monde, les cris et les crises.
« La colère, c’est un moteur, mais notre carburant, c’est la beauté. »
à franceinfo
Georges Brassens disait : « C’est très facile d’écrire des chansons. Il faut juste y penser 24h sur 24« , c’est assez totalitaire. On est un peu comme un sismographe qui essaie d’entendre ce que, peut-être, l’autre n’entendra pas. Quand on le met sur la table, effectivement, il y a de la colère, mais je crois, que c’est un album qu’on a voulu animer, c’est-à-dire avec de l’âme. Un album que l’on veut ardent, avec de la chaleur. Un album que l’on veut ouvert, avec une musicalité dans chaque note. La musique, elle naît de l’âme, c’est sa matrice. Donc, si on préserve un peu d’âme dans ses chansons, peut-être que ça vaut la peine de les partager.
Je voudrais qu’on parle du duo avec Gérard Manset. Vous avez fait venir un insulaire sur la chanson devenue culte : Il voyage en solitaire. C’était important pour vous de lancer un cri d’alerte ?
C’est une rencontre et une chanson inattendue, la noblesse et en même temps, l’insularité, le côté sauvage qu’a Gérard Manset. Toute la France le sait, ce n’est pas quelqu’un qui s’affiche et qui fait souvent la Une. Je n’aurais jamais pensé qu’il chanterait avec nous. Cette chanson est dans la mémoire collective de toute la France. Un jour comme ça, on a juste jeter une petite bouteille à la mer en lui disant : « J’adore cette chanson ! » C’est un cadeau comme les artistes savent le faire, dans leur mystère, leur générosité, leur beauté, dans le fait qu’ils écrivent des chansons intemporelles comme celle-là, qui est d’autant plus d’actualité.
Est-ce que vous êtes fier aujourd’hui du chemin parcouru, du travail que vous avez fait, du fait qu’I Muvrini est l’un des groupes corses les plus connus à travers le monde entier, si ce n’est le plus connu ?
Bien sûr, ce n’est pas simple de chanter dans une langue qui est au cœur d’un « linguicide » savamment programmé. Je suis surtout conscient du travail qui reste à faire. Je vais dans n’importe quel lycée, collège corse, je chante en corse, plus personne ne me comprend.
Ça vous fait peur ? Ça vous touche ?
Ça ne me fait pas peur, mais je me dis que le monde se rétrécit. Il s’appauvrit.
« Chaque fois qu’une langue disparaît ou est en mauvais état, c’est un peu de la beauté, de la diversité, de l’intelligence du monde qui diminuent. »
à franceinfo
Le fait qu’on n’ait jamais dit à ces langues-là : « Ta différence m’augmente » plutôt que « Ta différence me menace », c’est quelque chose qu’il faut guérir et j’espère que nous le guérirons un peu parce qu’on est passionnés du cercle, du lien et de la relation.
I Muvrini sera en tournée cet été en Corse et au Zénith à Paris en novembre prochain.
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