- Après le décès, l’argent devient une priorité
- Le tourment des familles recomposées face à la succession
- "Il venait de mourir et on se jetait sur ses affaires"
- La trahison au cœur de la succession
- L’héritage cristallise les traumatismes refoulés et les reproches longtemps tus
- Au milieu des cris et des conflits, un deuil impossible à faire
En février 2021, Jeanne*, aujourd’hui âgée de 31 ans, perd subitement son père d’une rupture de l’aorte. “On était une famille recomposée, où tout allait pour le mieux, j’étais même très proche de ma belle-mère, de mon demi-frère et de ma demi-sœur”, complète-t-elle.
Un équilibre qui a volé en éclats au décès du patriarche, quand la belle-mère de Jeanne a “révélé sa personnalité manipulatrice”, en récoltant pas moins de 120 000 euros en quelques mois. “Le vol qui me fait le plus mal n’est pas celui de l’argent, c’est le vol de mon deuil”, assure la jeune femme.
Comme elle, Stella et Barbara* ont vu leur famille se déchirer après un décès douloureux, au moment du partage des biens de celui ou celle qui a longtemps fait le lien entre différentes entités familiales. Et alors que leurs objets et possessions étaient répartis dans la discorde, l’unité de la famille s’effritait.
Après le décès, l’argent devient une priorité
“Mon père était celui qui faisait le lien entre la famille qu’il s’était créé avec ma belle-mère, et la nôtre (il avait 3 enfants d’une précédente union, ndlr). Quand il est parti, beaucoup de choses se sont effondrées, dont mon équilibre”, témoigne Jeanne.
Pour Anne-Sophie Chéron, psychologue, même si la cellule familiale est soudée, la perte de l’un de ses membres peut être révélatrice de failles plus ou moins profondes. “Par exemple, si cette personne prenait les décisions dans la famille et cadrait les choses, il n’existe plus de mécanismes de régulation autonome, donc on n’arrive plus à se mettre d’accord”, illustre l’experte.
Le jour de la dispersion des cendres, elle nous a parlé de l’assurance prévoyance.
Dans le cas de Jeanne, il n’a pas été question de se mettre d’accord, car sa belle-mère a directement pris l’ascendant. “Le jour de la dispersion des cendres, elle nous a parlé de l’assurance prévoyance. Elle nous a dit ‘j’ai vu qu’il y a un capital’. Ce n’était ni le lieu, ni le moment d’en parler”, se souvient la trentenaire.
Mais sonnée par le drame, Jeanne ne voit pas tout de suite le revirement de personnalité de sa belle-mère, d’autant que cette dernière tente de “l’amadouer”. « On s’est beaucoup rapprochées, elle me disait ‘tu es comme ma fille, papa est parti mais je suis là…' ». Mais elle en profite aussi pour lui reparler de l’assurance prévoyance et de son capital de 48 000 euros.
« Elle m’a tout de suite dit : ‘c’est pour moi’. Je n’ai pas cherché à interférer, l’argent n’était pas ma priorité. Comme elle n’était pas mariée à mon père, elle m’utilisait pour obtenir des papiers officiels, comme un acte de naissance. Je pensais l’aider, alors que je me faisais endormir », réalise aujourd’hui la trentenaire.
Le tourment des familles recomposées face à la succession
Au fil des mois, Jeanne reprend pied et comprend que quelque chose cloche, comme l’arguent ses proches. Au fil des frictions, elle déroule le fil de la manipulation. “C’est une femme qui parle beaucoup et dans son village, des personnes nous ont rapporté des propos. Il s’est avéré qu’elle n’avait pas touché 48 000 euros, mais plus de 120 000. Le crédit de la voiture, la succession… Elle a pris tous les actifs et nous a laissé tous les passifs”.
Plus de deux ans après la perte de son père, Jeanne n’a « rien eu ». “C’est comme si la vie d’avant de mon papa n’avait pas existée. Dans les familles recomposées, c’est compliqué, on ne pense pas à vérifier certaines clauses dans les contrats pour bien notifier la famille originelle. Parce qu’on n’en parle pas, c’est tabou de s’imaginer que la personne puisse partir”.
Une difficulté liée aux cellules réadditionnées, que confirme Anne-Sophie Chéron. « On se retrouve dans plusieurs systèmes familiaux. C’est presque un affrontement qui naît à la mort de celui ou celle qui tenait la corde« .
« Il venait de mourir et on se jetait sur ses affaires »
Un affrontement qu’a aussi connu Stella, 24 ans. La jeune femme, orpheline, a vécu deux deuils parentaux. “J’ai perdu ma maman à 11 ans, d’une crise cardiaque à 40 ans. Son décès a été brutal, mais positif, il a rassemblé les gens. Cinq ans après, j’ai perdu mon papa d’un cancer. Ça a été une toute autre histoire”.
C’est comme si les gens s’étaient souvenus qu’il existait une fois qu’il a fallu vider son appartement.
De la longue maladie de son père, Stella se souvient surtout d’un soutien familial nul. “C’est comme si les gens s’étaient souvenus qu’il existait une fois qu’il a fallu vider son appartement”.
Choquée par le drame, c’est impuissante que l’adolescente assiste à cette scène. “On se jetait sur ses affaires, on entendait : ‘ah mais moi je prends le vélo, la machine à laver’. Nous, ses enfants, on a pu récupérer ce qui était à nous, mais pas à lui”, se souvient-elle.
« Que la famille soit proche ou non, le drame est souvent révélateur des personnalités qui font cette cellule. Les biens donnent lieu à des conflits, parfois à l’explosion de non-dits », confirme Anne-Sophie Chéron. « Moi je me dis qu’on faisait juste semblant depuis des années, parce que si un décès brise à ce point une famille, ce n’en est pas une« , argue Stella.
La trahison au cœur de la succession
Mais la trahison la plus violente pour elle, vient de sa sœur aînée. Majeure au moment du décès de son père, elle assure alors au reste de la famille qu’elle garde des meubles pour quand ses sœurs « seront plus grandes ».
« Un jour, une amie de la famille nous appelle pour nous dire : ‘venez chercher les meubles de votre père parce qu’on déménage’, alors qu’on pensait qu’ils étaient dans un garde-meuble. On s’y est rendues et on a trouvé une grange moisie, ouverte sur un ruisseau. Tous les meubles, les photos et les souvenirs dans les tiroirs étaient bons à jeter. J’ai été très choquée par cette scène », explicite Stella.
Une vision violente qui “salit” encore une fois la mémoire de son père. “Il n’y a rien eu de beau qui est ressorti de sa mort, juste des personnes qui sont sorties de ma vie”. « On a parlé de cette douleur à ma grande sœur, dans un long texto auquel elle a seulement répondu ‘je ne répondrais pas à chaud’. Cela fait quatre ans que je ne lui ai pas parlée. »
L’héritage cristallise les traumatismes refoulés et les reproches longtemps tus
Barbara a 27 ans. Elle aussi a vu une partie de sa famille se briser quand l’un de ses membres est décédé.
“J’ai été intégrée très jeune dans la famille de mon ex belle-mère. Quand son père est mort, il a laissé derrière lui une fratrie de six avec des rivalités, des traumas refoulés, des conflits jamais réglés. Même s’ils faisaient bonne figure pendant les réunions de famille”, témoigne la journaliste.
Au moment du partage des biens, ils ont fait un tirage au sort entre frères et sœurs pour savoir qui aurait quoi dans la maison.
Alors, sans aucune “raison” restante pour cacher ces animosités, tout est remonté à la surface au moment du deuil. “Il y a toujours des petites comparaison (amour, reconnaissance, valeur de l’argent), les fratries s’entre-comparent, mais du vivant de la personne ce n’est pas dit”, reprend Anne-Sophie Chéron.
« Au moment du partage des biens, ils ont fait un tirage au sort entre frères et sœurs pour savoir qui aurait quoi dans la maison. Il y a eu des disputes, des échanges de mails incendiaires. Aujourd’hui, c’est comme s’ils n’avaient plus de raison de s’entendre et la famille est complètement éclatée. La dernière fois que je les ai vus ensemble, c’était pour l’enterrement« , confie Barbara.
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Au milieu des cris et des conflits, un deuil impossible à faire
Des déchirures qui empêchent la plaie béante, causée par la perte initiale de l’être cher, d’être pansée. “On perd la personne qu’on aime et on perd l’idée qu’on avait de la famille unie. Voir ces dysfonctionnements latents prendre forme, c’est très violent”, poursuit la psychologue.
“Rajouter toutes ces tensions à la mort, ça salit encore plus le décès. Pour moi, ça a allongé la durée du deuil de mon père. Celui de la famille, je l’avais déjà fait, quand j’ai compris que personne ne le soutiendrait dans la maladie”, nuance Stella.
Une partie de la vie de mon père a été effacée au profit de l’argent.
De son côté, Jeanne, confie que deux ans après la mort de son papa, elle n’a « pas pu faire complètement [s]on deuil ». « Je ne sais pas si je pourrai le faire un jour », souffle-t-elle. Elle et sa sœur ont entamé une procédure pour “rétablir la vérité” et “bénéficier d’une reconnaissance”. « Une partie de la vie de mon père a été effacée au profit de l’argent », résume la jeune maman.
Alors, pour éviter ces déchirements à la mort d’un proche, Anne-Sophie Chéron recommande de « poser les bases ». « On se met autour d’une table et on dit clairement ‘je veux que tel truc te revienne’ devant tout le monde. Puis, on le couche sur du papier. Il ne faut pas que le premier conflit réglé par la famille soit un héritage, il faut que les logiques financières et affectives puissent se confronter avant, pour le bien de tous”.
Une vision pragmatique de la succession qui reste délicate à amorcer pour la plupart d’entre nous. D’autant que, comme le souligne Jeanne, « les décès soudains ne se préparent pas, c’est pourquoi c’est encore plus douloureux quand l’unité familiale ne se révèle n’être qu’un mirage ».
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*Ces deux prénoms ont été modifiés
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