Galia Ackerman : "En Biélorussie, les femmes ont tout à gagner de la révolution"

Elles sont habillées de blanc, forment une longue chaîne humaine, et offrent des fleurs aux forces de l’ordre…qui les refusent. A Minsk, capitale de la Biélorussie, des femmes protestent régulièrement contre les violences de la police, restée fidèle au président Alexandre Loukachenko, le ‘’dernier dictateur d’Europe’’. Sur une de leurs banderoles, on lit « L’amour ne s’impose pas par la force ».

Depuis les élections présidentielles du 9 août dernier remportées pour la sixième fois par Alexandre Loukachenko, 66 ans dont 26 au pouvoir, alors que l’on sait qu’elles ont été truquées, des manifestations secouent le pays. Des milliers d’arrestations, des figures de l’opposition expulsées ou en fuite… la répression s’abat sur la Biélorussie alors que cette révolte, sans leader, reste pacifique. Quels seront les lendemains de cette contestation menée par tout un peuple dont une jeunesse branchée sur les nouvelles technologies, assoiffée de liberté ? Galia Ackerman, historienne spécialiste de l’espace post-soviétique, nous éclaire.

Marie Claire : La Biélorussie est un régime autoritaire, pour ne pas dire une dictature. Pourquoi, soudain, cette révolte ? 

Galia Ackerman : Les Biélorusses instruits, avec une jeunesse en lien avec le monde entier grâce aux nouvelles technologies, sont furieux de la mauvaise gestion d’Alexandre Loukachenko du Covid-19. Comme Trump et Bolsonaro, il était dans le déni, parlant d’une simple grippe. Ensuite, certain de décrocher son sixième mandat à la tête du pays, il n’a même pas daigné élaborer un programme et n’a rien trouvé de mieux que de jeter en prison les deux candidats qui lui portaient ombrage : le blogueur Sergei Tikhanovsky et Victor Babaryko, un banquier donné gagnant au premier tour avec 53% des voix, contre 3%. Puis lors des élections sans observateurs internationaux, des Geeks ont pu filmer des choses incroyables comme, par exemple, cette dame membre d’une commission électorale locale qui a pénétrer la nuit avec une échelle dans un bureau pour en extraire des sacs de bulletins de vote. Tout a été totalement grotesque. Des sondages estiment que Svetlana Tikhanovskaïa, qui a remplacé son mari bloggeur emprisonné, aurait récolté 60 à 80% des voix.

Réfugiée en Lituanie, celle que l’on a surnommée « la Jeanne d’Arc biélorusse » est-elle une alternative possible ?

Non, Svetlana Tikhanovskaïa est une femme au foyer qui prévient d’ailleurs qu’elle ne participera pas aux prochaines élections. Je ne pense pas qu’elle ait la carrure d’un leader. Mais des vrais opposants vont apparaitre. C’est très étonnant que cette opposition sans leader, dans un pays dictatorial, où pendant plusieurs jours, Internet et les réseaux sociaux étaient inaccessibles, ait pu grâce aux SMS s’organiser et maintenir la pression. Les femmes y jouent un rôle très important. Le samedi 29 aout, des centaines d’entre elles ont organisé une marche toutes en blanc avec des drapeaux nationaux et des fleurs. C’était assez spectaculaire.

La Biélorussie est un pays traditionnel où les femmes sont les responsable du foyer, ou alors sont des travailleuses mais peu d’entre elles ont une vocation politique

Les femmes ont-elles tout à gagner de cette révolution?

Oui car comme dans tout l’espace post-soviétique, la Biélorussie est un pays traditionnel où les femmes sont les responsable du foyer, ou alors sont des travailleuses mais peu d’entre elles ont une vocation politique, du moins jusque là. Mais récemment en Russie des mouvements de type #MeToo ont éclos dénonçant le machisme, le harcèlement, les viols. Or la Biélorussie est sur la même longueur d’ondes que la société civile russe.

Depuis le début de la contestation, on parle de 7 000 arrestations, d’actes de torture et de viols. Sait-on ce qui se passe dans les prisons biélorusses ?

Ce n’est pas un régime tendre. Dans les années 2000, le président Loukachenko avait créé un escadron de la mort, des opposants kidnappés n’ont jamais été retrouvés. Des manifestants qui ont été relâchés disent avoir été torturés, il n’y a aucune raison de ne pas les croire. Loukachenko, qui essaie d’instaurer une sorte d’hystérie militaire en affirmant que l’OTAN lance des manœuvres militaires le long des frontières et que la Pologne veut s’emparer d’une partie de la Biélorussie, a demandé au président Poutine de préparer une réserve militaires des forces spéciales prêtes à investir le pays en cas de violences. Il faut dire que jusqu’à présent, les opposants se comportent de façon impeccable. Comme on ne les laisse pas occuper la chaussée, ils marchent le long des trottoirs ! 

Quel rôle joue Svetlana Alexievitch, prix Nobel de littérature biélorusse, au sein du mouvement de contestation ?

Svetlana Alexievitch fait partie du présidium du Conseil de l’opposition. Elle s’est adressée à Alexandre Loukachenko en l’appelant à quitter le pouvoir. Mais elle n’a pas fait d’autres déclarations, à part une interview ou deux, et je ne pense pas qu’elle souhaite se mettre à la tête du mouvement. En réalité, c’aurait été superbe, car elle est l’unique prix Nobel en Biélorussie, et sa voix aurait été entendue par le monde entier. Mais d’une part elle avoue avoir des ennuis de santé, et d’autre part, elle n’a pas le tempérament d’un tribun. Elle répète souvent que la place de l’écrivain n’est pas sur les barricades. Mais, si la situation devient critique, on entendra sa voix !

*Auteure de Le régime immortel : la guerre sacrée de Poutine, Ed. Premier Parallèle.

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