À ses 2,8 millions d’abonné·es, elle a tout partagé. Son choix d’arrêter le mannequinat. Son désir d’enfant. Et un jour, la date de son opération.Le 11 janvier 2022, le jour où la star des blocs Ritu Chopra lui retirera ses prothèses mammaires.
Pendant des semaines, l’actrice et food blogueuse américaine Sophia Esperanza, 28 ans, a chroniqué son explantation mammaire. Celle qui se décrit comme vegan et anti-spéciste a eu une prise de conscience, des inquiétudes pour sa santé. Puis un seul objectif : « get the silicon out of my body » (« débarrasser mon corps du silicone »). Retrouver ses seins au naturel.
Quelques mois plus tard, dans une vidéo, on la voit, prothèses dans les mains et large sourire, sa petite poitrine cachée par un soutien-gorge noir. Libérée d’implants qui « n’ont jamais été pour elle ».
Comme, elle, des centaines d’Américaines, Canadiennes, Sud-Américaines ont partagé ces derniers mois leur processus d’explantation mammaire. Comme elle, on a pu voir le selfie où elles exhibaient leurs prothèses avec le hashtag #explant.
Si ce dernier semble avoir peu pris en France, où quatre cent mille femmes seraient porteuses de prothèses, le phénomène existe pourtant. « Cela représente au moins une consultation par jour, affirme la Dre Isabelle Sarfati, chirurgienne plasticienne à l’Institut du Sein, à Paris. La demande est exponentielle depuis trois ans environ, et là c’est épidémique. »
Même son de cloche du côté du Dr Thierry Ktorza, chirurgien esthétique membre de la Société française de chirurgie plastique (SoFCPRE) : « En quinze ans de carrière, je n’ai jamais explanté une patiente pour raison de confort. Ces trois dernières années, j’ai réalisé une centaine d’explantations. La pose d’implants mammaires est une opération totalement réversible et l’explantation donne de très bons résultats. »
Le retour du naturel
Dans leur cabinet, des femmes de tous âges, opérées il y a des décennies ou plus récemment, qui souhaitent faire retirer leurs prothèses pour des raisons aussi nombreuses que celles qui les ont poussées un jour à faire le choix d’une augmentation mammaire.
Certaines jugent que leurs seins ont suffisamment grossi, notamment après la ménopause, et estiment ne plus en avoir besoin. D’autres regrettent d’avoir imposé à leur corps un changement, alors que les grosses poitrines projetées sont aujourd’hui passées de mode, les Françaises demandant surtout un effet le plus naturel possible.
Les plus jeunes viennent souvent en consultation avec d’autres préoccupations, plus environnementales. « La prise de conscience écologique de cette génération ne concerne pas que la planète, note la Dre Sarfati. Les patientes nous expliquent que nous avons assez souillé la terre avec du plastique pour, en plus, en avoir dans le corps. Elles font attention à ce qu’elles mangent, à leurs cosmétiques, avec une philosophie qui dit “mon corps est un temple”. »
Une implantation de prothèses mammaires nécessite une échographie annuelle de contrôle mais aussi des réinterventions.
Aujourd’hui, l’arrivée dans les blocs opératoires de la technique du lipofilling – qui consiste à injecter de la graisse prélevée à différents endroits du corps, dans la poitrine – validée par la Haute autorité de santé (HAS) en 2015, en a détourné certaines du silicone. Et a créé une nouvelle cohorte de patientes, intéressées par une augmentation mammaire mais qui n’avaient jamais envisagé de recourir aux implants, soucieuses d’obtenir un résultat ultra-naturel et, surtout, ne nécessitant aucune maintenance.
« C’est la première chose que j’explique à mes patientes aujourd’hui, précise la Dre Sarfati. Une implantation de prothèses mammaires nécessite une échographie annuelle de contrôle mais aussi des réinterventions car les prothèses peuvent se rompre, provoquer des coques. »
Les praticiens sont tenus à la transparence
Depuis la loi Kouchner qui, en 2002, a introduit dans le droit la notion de « consentement éclairé », les praticiennes sont tenues de préciser les informations connues, les risques, ainsi que les suites post-opératoires.
Car sur les réseaux sociaux, surtout aux États-Unis et au Canada, c’est cette inquiétude sanitaire que l’on retrouve. Les scandales successifs ont fait naître l’inquiétude pour les femmes déjà implantées, et des réticences pour celles qui l’envisageaient. En 1992, aux États-Unis, la Food and Drug Administration (FDA) interdit les implants en gel de silicone dans le cadre de la chirurgie esthétique car on les soupçonne de provoquer des maladies auto-immunes ou des cancers.
La France légiférera aussi dans ce sens jusque dans les années 2000, forçant les cliniques à se tourner vers des prothèses remplies de sérum physiologique, avant d’être à nouveau autorisées en 2001 par l’Affsaps – l’ancêtre de l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM).
Un durcissement de la réglementation
Dix ans plus tard éclate le scandale des PIP, du nom de la société varoise qui a mis sur le marché des prothèses contenant un gel non homologué portées par près de trente mille femmes en France et cinq cent mille à travers le monde.
En 2019, les prothèses dites fortement « texturées » sont retirées du marché français car on les suspecte de provoquer un cancer appelé lymphome anaplasique à grandes cellules LAGCAIM. C’est cette inquiétude qui a fait choisir l’explantation à certaines, comme Sophia Esperanza. Mais aussi à Michelle Visage, coprésentatrice du RuPaul’s Drag Race.
En juin dernier, au Tribeca Film Festival, dans Explant, le documentaire de Jeremy Simmons, elle raconte sa décision de se séparer de son bonnet D après avoir été diagnostiquée d’une maladie auto-immune. “Il y a eu un durcissement de la réglementation sur les dispositifs médicaux, dont font partie les implants mammaires, qui ne sont pas considérés comme des médicaments et ont donc longtemps échappé à une réglementation stricte », explique la Dre Sarfati.
Résultat ? Des études sérieuses ont démontré que le silicone était sans danger, les prothèses PIP ont été retirées du marché, et l’ANSM surveille de près les huit fabricants dont les produits sont vendus en France. De quoi, tout de même, rassurer.
Article publié dans le magazine Marie Claire n°838, daté juillet 2022,paru en juin 2022.
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