- L’enfant, porte d’entrée à la thérapie familiale
- Le symptôme, révélateur d’un déséquilibre familial
- Comment fonctionne la thérapie familiale ?
- Une aide psychique boudée, par peur d’être catalogué
- Des clichés qui desservent les familles dans le besoin
Avec ses amis, Alexia*, 27 ans, parle de tout, même de ses séances de psy. Diagnostiquée d’un trouble de la personnalité borderline en 2019, elle “connaît bien les cabinets de thérapeutes”.
Pourtant, quand, il y a quelques mois, elle parle de sa volonté de débuter une thérapie avec sa mère et ses deux plus jeunes frères, le regard de ses amis change. “Je me suis sentie jugée, se souvient-elle, parce que les gens se disent que si on entreprend ce genre de choses, c’est forcément qu’un truc glauque est sous-jacent”.
Cette aide psychique, destinée à fluidifier la communication et à rétablir un équilibre au sein d’une fratrie, ou entre parents et enfants, est encore peu connue et surtout, grandement stigmatisée.
“Nous avons très peu de demandes pour des thérapies en famille”, confirme d’ailleurs Marie-Ange Benraissi, psychologue et thérapeute familiale, également co-responsable du centre de thérapie Systèmes et Familles.
L’enfant, porte d’entrée à la thérapie familiale
Si la thérapie familiale est ouverte à tous, rares sont les familles qui osent sauter le pas – quand elles savent que c’est un outil qui peut s’offrir à elles.
Selon l’experte, il n’est pas commun que des personnes s’adressent directement à elle, souvent, « c’est plutôt une décision qui est prise sur les conseils d’un premier thérapeute », ajoute-t-elle.
“Les enfants sont généralement une porte d’entrée. Dans l’histoire de la famille, il y a des changements qui s’opèrent et qui nécessitent une réorganisation. Parfois, ces derniers se cristallisent et l’on voit apparaître l’enfant-symptôme, qui va présenter une souffrance (décrochage scolaire, addiction au écran…). Face à cette difficulté rencontrée, les parents vont souvent orienter leur enfant vers un psy”, explique-t-elle.
“Après le divorce de mes parents, j’ai commencé à m’isoler, commence Léna*, aujourd’hui âgée de 25 ans, et mon pédopsy de l’époque a conseillé à mes parents de faire une séance à trois, chez un autre spécialiste”.
À 12 ans, la pré-adolescente commence alors une thérapie, avec son père et sa mère. “Au début, je me souviens que j’appréhendais qu’ils puissent entendre ce que j’avais à dire, même si, avec le recul, c’était un peu le but”, rit-elle.
“Notre travail de collaboration avec les collègues qui reçoivent les enfants est primordial pour percevoir quand il est plus judicieux de basculer vers une thérapie familiale”, explicite Marie-Ange Benraissi.
Le symptôme, révélateur d’un déséquilibre familial
“Ainsi, nous partons de l’idée que quand un membre de la famille présente une difficulté, cela l’affecte dans sa globalité”, poursuit-elle. Par exemple, dans une fratrie, l’enfant symptôme va éventuellement solliciter plus l’attention de ses parents, ce qui finira pas créer des tensions.
La thérapie en famille m’a aidée à comprendre que le souci ne venait pas de moi et que je n’étais pas responsable du divorce de mes parents.
“Personnellement, ça m’a aidée à comprendre que le souci ne venait pas de moi, surtout que je me pensais responsable du divorce de mes parents. Ma relation avec eux s’est apaisée petit à petit, parce qu’on se comprenait mieux”, se remémore Léna.
“La thérapie familiale va permettre à l’enfant de sortir de la désignation, quand il pense qu’il est à l’origine du problème”, confirme Marie-Ange Benraissi, avant de souligner qu’“il existe autant de problématiques que de famille : une séparation, des troubles psychiatriques, des problèmes d’alcoolisme…”.
L’intérêt de l’accompagnement en famille est d’étudier le problème dans une dynamique de groupe et d’observer ses effets sur les différents membres.
Comment fonctionne la thérapie familiale ?
Pour ce faire, pas de protocole strict pour Marie-Ange Benraissi. “On s’accorde selon les situations. Seulement, lors du premier entretien, on demande à ce que toute la famille soit présente, pour que chacun puisse s’exprimer sur la définition du problème et la manière dont il le vit”.
À partir de ce premier contact, la thérapeute va tenter “d’équilibrer les entretiens”, après avoir observé la dynamique familiale. “Parfois, on peut séparer les groupes, mais l’important, c’est qu’on soit en capacité de toujours restituer quelque chose à la famille”, précise la psychologue.
De par son approche systémique, Marie-Ange Benraissi, s’intéresse aux interactions et à la communication intra-familiale. “Ça va nous permettre d’identifier les difficultés, de les situer dans un contexte particulier et si besoin, de remonter le fil de l’histoire familiale, revenir sur les générations précédentes, la construction de la famille”, indique-t-elle.
“Ça a été une révélation pour moi de parler de mes ancêtres. J’ai compris que mon arrière-grand-mère maternelle avait aussi des troubles psychologiques, ça m’a aidée à me dire que j’étais normale, et aussi à me redonner un certain sentiment d’appartenance », explique Alexia.
Ça a pu aider mes frères à comprendre un peu plus ma réalité, et surtout à mieux accepter certaines de mes réactions.
“On explique toujours que chacun détient un morceau de la solution. En se soutenant les uns les autres, ils arrivent à trouver un mode de fonctionnement respectueux de tous, parfois assez rapidement”, éclaire la thérapeute.
“Ça a pu aider mes frères à comprendre un peu plus ma réalité, et surtout à mieux accepter certaines de mes réactions. J’ai aussi pris en compte l’idée que je n’étais pas la seule à souffrir de mon trouble”, poursuit Alexia de son côté.
Finalement, Marie-Ange Benraissi explique qu’elle ne donne pas d’outils à mettre en place, mais qu’elle instaure plutôt une dynamique prenant racine pendant la séance. “Ce qui est salvateur, c’est de parvenir à faire un pas de côté, parce qu’on ne se rend pas compte du poids de nos actions, ou de nos paroles, sur le reste de la famille”, souligne la thérapeute.
Une aide psychique boudée, par peur d’être catalogué
Pourtant, si toute famille peut être confrontée à un déséquilibre nécessitant un accompagnement, quand la thérapie n’est pas boudée, elle est cachée.
“Je n’ai jamais posé la question à mes parents, mais ce qui est sûr, c’est qu’on ne le criait pas sur les toits. Après, on ne racontait pas non plus que j’allais chez la pédopsy”, explique Léna.
Pour Marie-Ange Benraissi, ce silence tient de la culpabilité. Les parents ont tendance à se reprocher ce nouveau besoin familial. “Admettre que l’on a un problème et qu’il faut le traiter, c’est aussi la crainte d’être jugé, désigner comme un mauvais parent”, poursuit-elle.
Parfois, cette culpabilité rend aussi le début de la thérapie plus compliquée. “Le plus dur, c’est d’être à la fois dans la compréhension de la difficulté, sans être dans la désignation d’un coupable”, explique notre experte.
Parce que le but final est de comprendre que le changement doit venir de soi, alors qu’on pense aller en thérapie pour le problème de quelqu’un d’autre.
“Il faut se replacer au cœur de la famille et se dire ‘j’ai cet effet sur les membres de ma famille, est-ce que si je m’exprimais différemment, les choses se passeraient mieux’, et on expérimente, en thérapie. On apprend à formuler ses besoins, qui, dans la vie de tous les jours se traduisent par des reproches, de la colère et beaucoup d’émotions désagréables qui circulent dans la famille”, éclaire-t-elle.
Des clichés qui desservent les familles dans le besoin
Si ces bienfaits sont attestés, et que les thérapies individuelles et de couples se démocratisent, la thérapie familiale est cantonnée à son étiquette de vilain petit canard. Au-delà de la culpabilité du parent, il y a aussi l’image associée à l’initiative, souvent reliée à des événements traumatiques (inceste, violences intra-familiales).
“Bien sûr, il y a des situations plus dramatiques, liées à des traumas qui se sont passés dans l’histoire de la famille, ou dans celle de l’un des membres. Mais aujourd’hui ce n’est plus que pour ces thérapies lourdes et longues qu’on consulte, on vient aussi pour une fatigue, un malaise partagé”, dédramatise Marie-Ange Benraissi.
Souvent, ce n’est pas la personne qui souffre le plus qui va initier le mouvement, mais celle qui a remarqué que quelque chose ne va plus au niveau de la communication.
De même, elle précise qu’évoquer l’idée d’en commencer une est toujours délicat. “Le temps et les besoins de chacun sont différents. D’ailleurs, souvent, ce n’est pas la personne qui souffre le plus qui va initier le mouvement, mais celle qui a remarqué que quelque chose ne va plus au niveau de la communication”, remarque-t-elle.
“L’idée, ce n’est de pas de dire, ‘tu as un problème, je vais t’emmener consulter’, mais ‘j’ai remarqué que tu souffrais, en tant que proche, et je suis en difficulté pour t’aider et répondre à tes besoins’, ou dire soi-même ‘je souffre, et j’ai besoin que tu viennes m’aider, parce que je ne sais pas comment faire’ », prévient l’experte.
Pour elle, il est important de déstigmatiser et de dédiaboliser cette aide, qui peut se révéler être un vrai coup de pouce pour les familles en difficultés.
“C’est normal de rencontrer des obstacles dans sa vie familiale, et mieux vaut demander de l’aide pour les gérer, qu’ils gangrènent l’équilibre familial”, conclut-elle.
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* Les prénoms ont été modifiés
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