Juliette est une touche-à-tout, à la fois chanteuse, parolière et compositrice. Son amour pour les mots, les rimes, la littérature, la poésie lui a rapidement donné envie de jouer avec toute cette matière constituée de lettres et de sens. Un savant mélange d’ingrédients parfaitement pesés et choisis comme l’humour, la fantaisie, un brin de nostalgie aussi, mais toujours positive, en tout cas de préférence. Chaque parution d’un de ses albums est vécue comme un événement construit, comme une pièce de théâtre. En février 2022, elle publiait un nouvel album Chansons de là où l’œil se pose soit 12 titres, 12 tableaux de vie. Elle sera aussi en concert les 5 et 6 juin 2023.
franceinfo : Vous êtes connue et respectée pour votre franc-parler, pour votre capacité à nous livrer des choses sans détours et pourtant, vous gardez malgré tout une grande pudeur. En écrivant, vous protégez-vous finalement de ses émotions ? Et est-ce que c’est facile ou difficile de se livrer ?
Juliette : C’est toujours une façon de se livrer d’écrire, même si on ne dit pas : » Je« , un « Je » très personnel. Je pars du principe que ce n’est pas forcément ça le plus intéressant. Ce qui est rigolo, c’est de prendre cette matière et de l’habiller avec des références plus grandes que moi, d’aller dans l’exploration des sentiments, des histoires et puis laisser aussi l’auditeur libre de se faire ses propres images.
Il y a beaucoup d’humour, systématiquement. L’humour, c’est quoi ? C’est une forme de protection, une forme de dédramatisation aussi ?
Mais pas forcément en fait. C’est surtout une constatation qui est que dans un moment donné… Je me souviens de l’enterrement de mon père, j’avais 25 ans et à un moment, on a pris un fou rire avec ma mère. On était tristes comme pas possible, mais on a pris un fou rire parce qu’il pleuvait, c’était gris, c’était sinistre et elle me regarde comme ça et me dit : « C’est vraiment un temps d’enterrement« . Et on est parties à rire parce qu’il n’y avait rien d’autre à faire ! Et en fait, dans les chansons, il y a souvent ça, quelque chose de grave qui peut contenir de la gaieté ou de la dérision. Évidemment, c’est toujours cette idée de caméra comme ça, comme un nouveau champ, si vous reculez la caméra, on ne voit pas la même chose.
Je me suis demandée à quel âge vous aviez eu envie de prendre la plume.
À partir du moment où j’ai commencé à lire, j’ai eu envie d’écrire.
à franceinfo
Il y a eu l’histoire de la scène, l’histoire de la représentation publique qui m’a beaucoup attirée, je devais avoir 15 ans. Je jouais au piano, je chantais déjà quelques chansons. Ça, ça m’a mordu un peu. Après, j’ai commencé à écrire quelques chansons, puis je me suis dit : c’est compliqué, les textes demandent du boulot, alors je vais laisser ça aux autres et je vais surtout faire de la musique. Puis ça m’a repris après, sur la trentaine, à écrire vraiment sérieusement, j’ai commencé à écrire des chansons et me suis dit : oh, ce n’est pas mal, c’est marrant.
Il y a aussi un vrai travail de mémoire. Vous vous rendez hommage à Jacques Brel, à Jean Guidoni, à Anne Sylvestre. C’est important pour vous de savoir d’où vous venez ? Quelles sont les personnes qui vous ont donné envie, qui vous ont accompagnées ?
C’est une des choses très étonnantes dans la chanson. C’est que finalement, on peut arriver à la chanson, à faire de la chanson juste parce qu’on en a envie, tout en ayant écouté pas grand-chose. C’est sans doute pour ça d’ailleurs, que Gainsbourg parlait d’art mineur. Il y a ce côté très populaire, très immédiat. On peut chanter sans avoir aucune notion de ce qu’est la chanson.
Vous avez construit ça effectivement comme une pièce de théâtre, mais comme chacun de vos albums. Chaque chanson est un peu un acte. La scène est-elle le plus beau lieu d’expression pour vous ?
Ah oui, pour moi, oui. Enfin, c’est surtout le plus beau lieu de vie en réalité, c’est-à-dire que sans ça, il me manque quelque chose. Je suis un petit peu amputée d’un truc et c’est sûr que ça a été une constatation particulière ces dernières années de se dire qu’effectivement l’être humain n’a pas que soif de travail et d’argent, il a aussi envie de se cultiver, de découvrir et de se distraire, se divertir.
Il y a une chanson qui est absolument sublime dans cet album qui s’appelle La perruque. Vous parlez du cancer.
Je parle du deuil. Je parle de perdre quelqu’un. A la suite de cette maladie particulièrement. Mais c’est surtout une chanson sur le deuil qui passe, où on finit par se dire : bon voilà, j’oublierai forcément, enfin, en tout cas, je m’en consolerai.
Est-ce que la mort vous fait peur ?
Je ne sais pas, en fait. J’ai un petit doute sur la question… Ce qui fait peur à beaucoup de gens aussi, c’est l’avant. C’est comment ça va nous amener à ce point de non-retour. Évidemment que je rêve de mourir sans m’en rendre compte, en dormant dans mon sommeil et en ne me réveillant pas parce que voilà, on ne se rendra compte de rien. La mort en elle-même ne me fait pas peur, c’est ce qui vient avant.
Quand on dit Juliette, on pense à la liberté. Êtes-vous libre ?
J’ai tendance à me contenter de ce que j’ai et à en remercier le ciel, tous les matins.
à franceinfo
Je crois, oui. Je n’ai pas de désirs fous, de choses aliénantes comme il faut absolument que je gagne un million avant d’avoir 30 ans.
Pour terminer, cet album ne sert-il pas d’abord à poser les armes ?
J’ai trouvé que c’était bien comme fin d’album, la chanson de Brel, Regarde bien petit, et surtout c’était bien que l’album se termine par cette phrase : » Tu peux ranger les armes« . Il y a un constat comme ça autour des mauvaises colères, de dire : » Peut-être, c‘est bien de ranger les armes » et puis de se dire : » Voilà, regardons qui va venir la prochaine fois sans commencer par sortir les armes !«
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