Disparition d’Idir, la voix des Kabyles

C’était en 2017. Idir était de passage dans les locaux de notre journal pour un live en direct sur Facebook à l’occasion de la sortie de son nouveau disque. Au passage, il nous glissait une confidence. « Je vais peut-être arrêter maintenant. Je n’ai plus rien à dire. » On ne voulait pas le croire, lui qui a toujours été là, que l’on était toujours enchanté de retrouver avec son sourire malicieux, sa voix douce et son franc-parler. On ne reverra plus Idir, décédé à Paris, ce samedi à l’âge de 70 ans.

Ce jour-là, le musicien était venu nous présenter son dernier disque « Ici et ailleurs », sans doute celui qui le résumait le mieux. Ici, en France, depuis plus d’un demi-siècle, installé en région parisienne. Ailleurs en Algérie où ce fils de berger avait grandi dans un petit hameau de Kabylie, alors qu’il s’appelait encore Hamid Cheriet « Je pensais que le monde s’arrêtait aux portes du village, nous racontait-il en 2002. En sortant, j’ai appris à découvrir les autres, à m’enrichir des différences. »

« J’ai dû faire de la world music avant l’heure »

Au point d’étudier chez les jésuites, dans une école française, puis au lycée d’Alger où la musique arrive sur le tard. Presque par hasard. Il s’apprête à devenir géologue, diplôme qu’il achève en France et range dans un tiroir. Parallèlement, il compose quelques mélodies qui rencontrent un petit succès. Jusqu’à ce jour de 1973 où il remplace au pied levé une chanteuse dans une émission de radio et devient Idir (NDLR : « il vivra », en kabyle).

VIDÉO. Idir chante « A vava inouva » en live au Parisien

Il sera donc musicien, chanteur et auteur en 1976 de « A vava inouva » (NDLR : « mon petit papa »), sublime mélodie folk qui va faire connaître la musique kabyle en Europe. À sa grande surprise. « J’ai dû faire de la world music avant l’heure. Mais je ne me posais pas ce genre de questions. Je m’adressais aux Kabyles. J’étais brimé dans ma culture maternelle. Le pouvoir algérien prônait la souveraineté des peuples mais m’empêchait de communiquer dans ma langue. J’ai vite compris qu’un discours s’usait mais qu’une bonne chanson pouvait rester, grâce à son émotion. »

Idir y revient toujours à cette culture kabyle, comme la voix des sans voix en Algérie. « On a gagné quelques petites victoires, notamment la reconnaissance de la langue berbère comme langue nationale mais pas comme langue d’Etat qui reste l’arabe de l’islam, nous expliquait-il. L’Algérie est un pays arabe mais je ne suis pas arabe. Ma mère n’a jamais parlé un mot d’arabe. »

Il rêve alors de retourner chanter dans son pays mais pas à n’importe quel prix. « Pas comme serviteur alors que ce pays fait de moi un Algérien moins algérien que les autres, je ne veux pas être récupéré. Je ne suis pas un larbin du pouvoir, mais un homme libre. »

« Une sorte de légitimation de ta culture »

Arrivé en France en 1975, Idir défend jusqu’au bout son identité tout en entremêlant les cultures. En 1999, il enregistre des duos avec Manu Chao, Maxime Le Forestier ou Zebda. Huit ans plus tard il se frotte à la jeune génération rap et r’n’b dans « La France des couleurs » aux côtés d’Akhenaton, Oxmo Puccino, Soprano, Disiz la Peste et Féfé.

VIDÉO. Idir et Tryo chantent « L’hymne de nos campagnes » en live au Parisien

En 2017 dans son ultime enregistrement « Ici et ailleurs », il prend des chansons d’ici pour les emmener ailleurs et embarque les chanteurs qui vont avec. Idir chante en duo « La bohème » avec Aznavour, « La corrida » avec Cabrel, « Les larmes de leur père » avec Bruel, « On the road again » avec Lavilliers. « J’ai été étonné que tous ces artistes aient dit oui et aient cédé à ma malice de leur faire dire des mots en kabyle, reconnaissait l’intéressé. Quand ces musiciens acceptent de chanter dans ta langue alors que tu es minoritaire, il y a une sorte de légitimation de ta culture. »

Ce jour de 2017 au « Parisien », il finissait sur un ultime aveu : « Je suis content d’avoir laissé quelques traces ». Les Kabyles ne l’oublieront pas. Les autres non plus.

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