Deuil d’un parent : la douleur qui ne s’efface jamais

C’est toujours la même douleur. Qu’on ait 4 ans ou 40 ans, perdre un père ou une mère, c’est soudain se retrouver seule sur la route. Quatre femmes nous racontent ce deuil pas comme les autres.

On a beau avoir un partenaire qui tient la route, des enfants qui ont besoin de nous ou une super bande de copains devenus notre seconde famille, nos parents sont irremplaçables, quelles que soient nos relations avec eux. Au moment de leur décès, c’est tout un pan de notre vie qui disparaît, et ce à n’importe quel âge.

« J’essaie de me convaincre que c’est dans l’ordre des choses et que mon père ne souffre plus, résume Stéphanie, mais la petite fille en moi voudrait encore l’entendre claironner : ‘Alors, ma grande ?’, le voir déboucher une bonne bouteille à mon arrivée ou tempêter contre les Bleus un soir de match… C’est douloureux de se dire : ‘Plus jamais.’ Plus jamais il ne me donnera des conseils – que je suivais ou pas. Plus jamais je ne dirai : ‘Papa !' »

Se sentir orpheline

On se désole aussi de tout ce que nos parents ne verront pas et ne transmettront plus : « J’ai perdu mon père il y a trois semaines et j’accouche dans un mois et demi, confie Sophie, hagarde. Je suis à la fois folle de joie et malheureuse. Je vais être maman, mais mon fils ne connaîtra jamais son grand–père. » Carole, elle, a rencontré son nouvel amoureux trois semaines avant l’infarctus qui a emporté son père. « Un nouvel homme entre dans ma vie au moment où mon père disparaît. Cette coïncidence me trouble… »

Même quand nos relations sont houleuses, il est sécurisant de savoir que nos parents sont là. Mais pour Céline, 30 ans, il est trop tard : « Je me sens… la dernière des connes. Après une violente dispute, ma mère et moi avons rompu tout contact pendant près de dix ans. La dernière fois que je l’ai vue, il y a quatre ans, elle était à l’hôpital, mourante. Elle ne m’a pas reconnue. Je n’ai jamais pu lui dire combien je regrettais, combien elle m’a manqué et comme je suis fière quand on me dit : ‘Tu ressembles à ta mère.' »

Et si on leur disait qu’on les aime pendant qu’ils sont encore là ?

Anaïs, 37 ans : « Perdre mon père m’a fait ­franchir une étape »

Mon père est décédé brutalement l’an dernier, à 65 ans, d’une rupture d’anévrisme. Un départ si précipité laisse un sentiment enfantin « d’incroyable ». Peu de temps après les funérailles a commencé une phase de régression. J’avais un besoin viscéral de relire tous mes journaux intimes écrits entre 11 ans et 16 ans, pour y retrouver des souvenirs : les vacances passées ensemble, les week-ends chez lui lorsqu’il avait ma garde, les dîners avec ses copains, les bijoux qu’il m’avait offerts pour mes 16 ans… Comme pour revivre, en accéléré, ­toutes ces années partagées.

Désormais il est trop tard pour s’expliquer. Ça culpabilise

Parce qu’au fil du temps un silence pesant s’était installé entre nous. Nous n’étions pas en froid mais dans une relation pleine de non-dits. Chacun est donc resté sur une impression de désamour réciproque, et désormais il est trop tard pour s’expliquer. Ça culpabilise. Et allez savoir si, là où il se trouve, il a conscience de mon cheminement…

Isabelle, 29 ans : « J’ai perdu la femme de ma vie »

A près de 52 ans ma mère est décédée d’un cancer du sein. Jusqu’au bout j’ai refusé de comprendre qu’elle était malade… Sept ans ont ­passé, et le fameux « travail de deuil », je ne sais toujours pas ce que c’est. J’ai pourtant lu des articles expliquant les cinq étapes : déni, colère, acceptation… des trucs comme ça. Moi je ne sais pas où j’en suis. J’ai perdu la femme de ma vie. C’est comme si on m’avait coupé une jambe et qu’on m’avait dit : « ­Allez, débrouille-toi. »

Je me marie dans deux mois. Quand je vois des futures mariées avec leur mère pour des essayages de robe, c’est pour moi un grand moment de solitude. J’envie mes copines, qui ne se rendent pas compte de leur chance d’avoir encore leur mère… Souvent je regarde des ­photos d’elle avant la maladie, pour me rappeler comment elle était.

Marie-Noëlle, 47 ans : « Perdre ses parents est une expérience impartageable »

Ma vie a basculé en peu de temps. En mai 2008 nous avons découvert que maman souffrait d’un cancer du poumon. Tabagisme passif, sans doute. En août, nous apprenons que papa, gros fumeur, a le même cancer, en phase terminale. En septembre, mes parents sont hospitalisés dans la même chambre. Dans le service, on les appelle « les amoureux terribles ». J’ai pu partager ces derniers moments.

Elle est morte dans mes bras

Mon père, ce héros, au propre et au figuré, grand résistant, est mort en bon soldat : assis dans un fauteuil. Pas le genre à se coucher, même devant la mort. Ma mère, quant à elle, a annoncé très vite qu’elle arrêtait la chimiothérapie, ça ne l’intéressait pas de vivre sans son mari. Elle est morte dans mes bras, trois mois jour pour jour après papa. C’est bizarre, dit comme ça, mais j’en ai marre qu’ils soient morts, car nous n’imaginions pas l’existence les uns sans les autres. Mon premier mari en a peut-être pâti : j’ai toujours été la fille de mes parents avant d’être la femme de quiconque. Aujourd’hui je suis heureuse, avec un fils de 13 ans et un nouvel amoureux, que j’ai connu en lui confiant, selon le vœu de mon père, la restauration des vieux tableaux de la famille.

Perdre ses parents est une expérience impartageable. Seul mon frère peut me comprendre. Avec qui d’autre rire et pleurer en parlant d’eux ? Du coup, je cours après mon enfance. J’ai traîné récemment toute ma petite tribu au Touquet, où j’avais passé des vacances, en 1981, avec mes parents. Mais j’étais la seule à y avoir des souvenirs…

Désormais je n’ai plus peur de ma propre mort, si ce n’est la crainte de laisser mon fils trop tôt. J’ai la conviction que nous nous reverrons tous. Et, je crois que nos disparus nous guident.

Elodie, 27 ans : « Je me suis retrouvée comme un grand bébé perdu »

A 12 ans j’ai perdu ma mère, âgée de 40 ans, victime d’une rupture d’anévrisme. Mon père, qui s’était remarié, est mort à 50 ans, il y a un an et demi. Orpheline très jeune, j’ai ­appris à me débrouiller toute seule. Mais quand mon père est mort, c’est l’inverse qui s’est produit. Je me retrouvais comme un grand bébé perdu et en manque ­affectif, je demandais conseil à tout le monde, pour tout et n’importe quoi… On aurait dit que tout mon ­savoir-faire d’adulte s’était évaporé. J’étais déséquilibrée. J’avais perdu un pilier.

A l’époque j’avais un compagnon, mais il n’a pas été à la hauteur de la situation. Chacun s’est muré dans le silence, et nous avons rompu d’un commun accord. J’ai gardé le contact avec lui, parce qu’il aimait beaucoup mon père et qu’ensemble on peut parler de lui. Alors que le prochain homme n’aura connu aucun de mes parents. Rien partagé avec eux…

Aujourd’hui je sens un écart qui se creuse entre moi et mon entourage. Ne sachant que dire ou faire pour m’aider, des amis ont déserté au moment où j’avais le plus besoin d’être entourée. Je me suis sentie abandonnée, trahie par des amies de longue date – à qui j’avais donné – qui se contentaient de m’appeler une fois par semaine. Et, paradoxalement, j’ai été heureusement surprise par de nouveaux venus qui ont trouvé la bonne attitude avec moi : m’inviter à dîner, à regarder un DVD, faire quelque chose ensemble tout simplement – pas besoin de thérapie ni d’antidépresseurs – et éviter les commentaires exaspérants comme :  « Je ne sais pas comment tu fais, tu es courageuse… » Non, je ne suis pas courageuse. Je m’adapte, comme tout le monde dans la même situation, c’est tout.

Deuil de ses parents, l’avis de l’expert

Marie Claire : Quand on perd un parent à l’âge adulte, est-ce qu’on régresse ?

Catherine Bergeret-Amselek 1 : Oui. La perte de la mère, en particulier, provoque un retour à un rapport archaïque avec la mère des premiers temps. Mais nos réactions dépendent de la manière dont on s’est construite. Certaines vont mal parce qu’elles n’avaient pas « coupé le cordon ». D’autres parce qu’elles n’ont jamais entendu un mot d’amour de leurs parents, ni pu en dire elles-mêmes. On réagit aussi différemment quand on est à un âge étape : enceinte, en plein divorce… Ces femmes se retrouvent de nouveau face à la mère de la petite enfance et de l’adolescence. Elles sont pleines de reproches, et en même temps elles idéalisent cette femme à laquelle elles se sont identifiées pour se construire.

MC : On se sent très coupable lorsqu’on était fâchée avec son parent disparu…

Avoir fait la paix avec ses parents avant qu’ils meurent, c’est un beau cadeau de la vie

C.B-A : On peut se réconcilier avant la mort. Une patiente dont la mère, pas très maternelle, avait la maladie d’Alzheimer a, jusqu’au bout, materné celle-ci. Elle s’est soignée en ayant pu dire à sa mère qu’elle l’aimait et pu entendre que c’était réciproque. Autour du « lit de mort » peuvent se prononcer des choses jamais dites avant. C’est formidable de pouvoir se réconcilier avec ses parents avant leur mort. C’est un cadeau de la vie. On peut même se réconcilier quand ils ne sont plus là. Je pense à une autre patiente, qui a réalisé tout l’amour qu’elle avait pour son père cinq ou six ans après le décès de celui-ci.

MC : Certaines sont effondrées. D’autres disent qu’elles ne ressentent rien…

C.B-A : C’est un système de défense pour contenir le déferlement des émotions. Paradoxalement, pour faire un deuil, il faut être en forme. Souvent on estime qu’on ne peut pas s’autoriser à pleurer : un nouveau job, une maison à faire tourner… C’est aussi le cas de celles qui ont l’habitude de tout prendre sur elles. Attention au retour de bâton, qui peut arriver longtemps après, comme si le chagrin avait été mis « en mémoire », pouvant entraîner une dépression.

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1 Autrice de  »La vie à l’épreuve du temps » et de « Vieillir autrement, la cause des aînés » (éd. Desclée de Brouwer).

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