- Le flex office ou la perte de territoire
- Une nouvelle organisation qui jugée déshumanisante
- Des équipes fragilisées par la perte de liens
- Les managers, premières victimes du flex office
- Je vis mal le passage en flex office, que faire ?
- Des bureaux flexibles qui ont aussi de bons côtés
Après l’avènement de l’open-space et à l’heure où le télétravail s’impose de plus en plus dans les entreprises, le flex office – ou “bureau flexible” – fait une poussée fracassante dans le quotidien professionnel de milliers de salarié.es français.es.
D’après un sondage réalisé pour l’entreprise Deskeo en 2021, le flex office séduit 55% des entreprises françaises, “qui envisagent de passer à ce système prochainement”.
Ce nouveau mode d’organisation où le bureau nominatif n’est plus a d’abord conçu pour accommoder le besoin de flexibilité des startups. Et semble aujourd’hui séduire davantage les dirigeant.es que les employé.es.
“Je ne vais pas mentir, souffle Marie, journaliste, je déteste ça. C’est mon premier vrai job et je me retrouve seule. Ici, le flex office a plus été compris par son aspect télétravail et réunir tout le monde sur une journée c’est très compliqué. Comme il n’y a pas vraiment la place, peu sont ceux qui veulent bien pousser jusqu’au bureau”, témoigne la jeune femme.
Selon une étude menée par la chaire Essec Workplace Management en 2021 et relayée par BFM TV, seuls 4% des salariés sont favorables au flex office.
Le flex office ou la perte de territoire
Pour Alex, 31 ans et consultant dans un cabinet de conseils, le plus difficile, c’est la perte de l’espace.
“Je viens d’une boîte plutôt familiale, où j’avais mon bureau, avec mes tiroirs remplis de bonbons et les photos de mon mariage. Quand je suis arrivé dans mon entreprise actuelle, c’était un peu perturbant de ne plus avoir ces morceaux de moi, ou d’avoir à les remballer tous les soirs pour les plus téméraires”, rigole-t-il.
“Le flex office, c’est la fin de la sédentarité. On vient pour prendre la place qui reste”, confirme Mélissa Pangny, psychologue du travail.
Le bureau devient plus grand, mais demain, il sera occupé par quelqu’un d’autre.
Si Alex a “bien vécu” ce changement, qu’il prend comme une “évolution inévitable”, il explique que si son père – également consultant, mais désormais retraité – avait dû faire face aux mêmes changements, le son de cloche n’aurait sans doute pas été le même.
“On en a discuté plusieurs fois et il ne comprend pas. Rien que pour recevoir les clients, même si on est beaucoup à l’extérieur maintenant, il trouve que c’est incorrect. Il est resté plus de 20 ans dans la même entreprise et a occupé le même bureau pendant des années. C’était un peu comme une énième pièce de la maison, même pour nous qui passions souvent le voir”, explique-t-il.
“Ce qui change radicalement, c’est la perte de territoire. Le flex office fait disparaître l’espace individuel, qui devient collectif, avec chacun qui occupe n’importe quelle place à n’importe quel moment. Il y a moins d’ancrage. Le bureau devient plus grand, mais demain, il sera occupé par quelqu’un d’autre”, réagit Sandrine Vialle Lenoël, psychosociologue.
Une nouvelle organisation qui jugée déshumanisante
Et réside ici l’un des points les plus perturbants de ce nouveau mode d’organisation : une appropriation des lieux quasi nulle, qui est interprétée comme une « robotisation » du travail.
“On ne peut plus se dire qu’on est quelqu’un dans l’organisation, parce qu’il n’y a plus de traces de nous pour le prouver. Le bureau doit être propre tous les soirs, c’est un modèle dépersonnalisé et la personne peut penser qu’elle n’effectue plus qu’un travail”, commente Mélissa Pangny.
J’ai parfois l’impression d’être de retour à la fac, où je me trimballais mes affaires partout et où je ne croisais mes camarades préférés qu’une fois par semaine.
Un sentiment que confirment Léa et Annaïk, toutes deux employées dans la publicité. À 27 et 31 ans, les deux collègues parlent d’une “déshumanisation du travail”.
“Cela peut paraître futile ou matérialiste, mais ne pas pouvoir avoir son bureau où laisser son gilet, quelques photos ou ses stylos favoris c’est plutôt dérangeant. J’ai parfois l’impression d’être de retour à la fac, où je me trimballais mes affaires partout et où je ne croisais mes camarades préférés qu’une fois par semaine”, détaille Léa.
Des équipes fragilisées par la perte de liens
Une perte du lien entre collègues dont témoigne Léa qui résonne parmi les différents témoignages.
“L’équipe n’a plus son espace. Et c’est là que le flex office devient ambivalent. En même temps, l’espace devient collectif, mais il est difficile de réunir le collectif parce que flex office dit forcément télétravail et moins de place. Et on voit déjà des symptômes émerger comme des problèmes qui ne remontent pas assez vite. Il ne faut pas oublier que l’équipe régule les difficultés et même les échanges informels peuvent aider”, rappelle Sandrine Vialle-Lenoël.
Quel intérêt d’avoir toute l’équipe sous la main s’il faut faire 300 mètres pour chercher l’un et traverser deux couloirs pour chercher l’autre ?
Si Marie expliquait que le flex office avait rendu les venues de ses collègues sporadiques, dans certaines entreprises, des accords de télétravail font que les salarié.es doivent cependant être présents sur site un minimum de jours par semaine.
“Il y a deux jours de présentiel imposés, mais déjà, personne ne les respecte parce que les managers ne savent plus vraiment gérer et quand on arrive à réunir toute l’équipe, il n’y a pas de place pour tout le monde au même endroit. Quel intérêt d’avoir toute l’équipe sous la main s’il faut faire 300 mètres pour chercher l’un et traverser deux couloirs pour chercher l’autre ? Autant travailler au café du coin”, commente Alice.
Mélissa Pangny acquiesce : si l’espace est plus grand, il y a moins de points de rencontre familiers. “Le lien distendu peut créer des incompréhensions ou des conflits. Même, quand on veut parler de choses plus personnelles à des collègues dont on est proches, on va plus se brider parce que soit la personne n’est pas là, soit elle n’a plus son espace qui apparaissait sécurisant. Passer à côté de certains de ces problèmes peut avoir des répercussions sur le travail”.
Les managers, premières victimes du flex office
Sandrine Vialle-Lenoël nuance toutefois. “C’est un vrai problème pour l’énergie du groupe, mais ce n’est pas que lié à cette flexibilité, les travailleurs sont désormais nomades et la plupart apprécient le télétravail. Seulement, le manager est presque obligé d’imposer une journée par semaine pour parler des problèmes, informer sur les grandes lignes de l’entreprise… Alors qu’avant, on pouvait faire ça au fil de la journée ».
Ainsi, comme le soulevait Alice, nombreux sont les nouveaux challenges qui pèsent sur les épaules des managers.
“Le sentiment d’appartenance à l’entreprise ne peut plus se faire par l’espace de travail. Le manager doit trouver un moyen de faire vivre l’unité autrement. Mais comme il n’a pas de référent dans cette situation nouvelle, c’est compliqué. Je pense qu’il faut réfléchir ensemble, pour échanger les pratiques et créer un référent qui n’existe pas. Il y a une grande responsabilité, parce qu’on ne vient pas au travail que pour travailler et cette fonction sociale est effacée ».
Je vis mal le passage en flex office, que faire ?
Sans cette fonction sociale, certain.es ont du mal à gérer la pression. Cela a été le cas pour Léa.
« Finalement, on est passé en flex quelques mois après mon arrivée, donc tous mes repères fraîchement mis en place ont été soufflés. Je stressais beaucoup à l’idée de me retrouver seule pour travailler, même si tout le monde était accessible par téléphone. J’ai même pensé à changer de boite », avoue-t-elle.
Pour éviter de s’enfermer dans une torpeur qui vient à la fois fragiliser notre bien-être et notre productivité, Mélissa Pangny et Sandrine Vialle-Lenoël sont formelles : il faut en parler.
« Qu’est-ce qu’on ne supporte pas ? Est-ce que c’est partagé par d’autres personnes ? Est-ce que c’est une problématique individuelle qui peut être le symptôme de quelque chose de plus grand ? », liste la première, avant que la seconde n’ajoute : « Il faut s’interroger sur le manque. Le collectif ? Certains collègues ? Des rapports informels ? Des déjeuners avec certaines personnes ? ».
L’idéal serait d’interroger les salariés au fil des mois, parce que certains peuvent être stressés par le changement, alors que d’autres ont déjà un terrain anxieux.
C’est en exprimant ces peurs à haute voix que des aménagements pourront être mis en place – pour le groupe, ou pour l’individu. Pour Léa, le temps, mais aussi le fait de « caler » ses jours de présentiel avec sa collègue et amie Annaïk ont aidé.
Mais dans le cas où le stress se transforme en anxiété ou en troubles du sommeil, Mélissa Pangny appuie qu’il convient de demander de l’aide, en passant par les managers, puis, si besoin, par la médecine du travail.
« L’idéal, pour accompagner au mieux le changement serait d’interroger les salariés au fil des mois, parce que certains peuvent être stressés par le changement, alors que d’autres ont déjà un terrain anxieux », souligne-t-elle.
Des bureaux flexibles qui ont aussi de bons côtés
Néanmoins, si beaucoup d’échos négatifs entourent le flex office, nul ne peut nier que cette nouvelle organisation détient aussi ses avantages.
« Par exemple la possibilité de faire des rencontres par hasard, ce qui peut favoriser d’autres échanges et la créativité. Et l’open space c’est aussi plus facilement avoir accès à certains collègues haut placés », rappelle la psychologue du travail.
« Le télétravail a déjà apporté beaucoup de confort, quand il est bien mis en place. Si les entreprises se posent, le flex office peut aussi très bien fonctionner », complète Sandrine Vialle-Lenoël.
Et Alex confirme : « ce n’est pas le bagne, rigole-t-il, il faut juste bien s’adapter et comprendre qu’on peut se sentir connecté à sa boîte d’une manière différente. Et puis, j’avoue que ça m’incite plus à couper. Il n’y a plus tout le temps mes collègues pour discuter le soir ou cette peur du ‘si je pars le premier je vais être mal vu’, donc c’est plutôt positif ».
Enfin, Léa tient à appuyer qu’une période d’adaptation a été nécessaire pour elle, « comme si elle avait pris un nouveau poste », mais que finalement, une fois (métaphoriquement) installée, elle ne souhaiterait pas forcément repartir sur un modèle classique. « Pour moi, ça a ses avantages, je peux travailler d’où je veux et aussi éviter certains collègues », sourit-elle.
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