Dans "La Graine", Éloïse Lang montre enfin le "parcours du combattant" des lesbiennes en procédure de PMA

Tout est parti d’une lecture enclenchant une prise de conscience. Un jour, la réalisatrice belge Éloïse Lang (Connasse, Larguées) tombe sur une enquête édifiante du New York Times, celle de la journaliste lesbienne Clara Moskowitz qui décrit son parcours chaotique de PMA.

« J’ai trouvé ça complètement fou, j’ai tout de suite eu des images qui me sont venues en lisant son récit qui avait déjà ce côté comédie absurde », confie-t-elle à Marie Claire à quelques jours de la sortie en salle de La Grainele 3 mai 2023.

Son road-movie d’une légèreté presque déconcertante raconte un sujet qui pèse lourd sur le moral de beaucoup de couples, hétérosexuels ou non : la procréation médicalement assistée (PMA) et ses désillusions.

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Couple aimant cherche sperme viable

Le film témoigne des galères de Lucie et Inès, deux lesbiennes follement amoureuses mais désespérées par les échecs alors qu’elles essayent d’avoir un enfant, et ce malgré leurs efforts et leurs sacrifices.

Ça paraît dingue de faire du business sur le dos de ces femmes pour qui émotionnellement c’est hyper dur.

Incarnées par Marie Papillon et Stacy Martin, les deux compagnes enchaînent les allers-retours en Belgique dans l’espoir de fonder une famille au sein d’une clinique spécialisée qui manque de transparence et d’éthique. Aidées par le docteur Peters, un professeur respecté mais dépassé, interprété par François Damiens, elles se lancent en quête d’un donneur de sperme.

La marchandisation des gamètes, justement, c’est un aspect qui a particulièrement « choqué » la réalisatrice Éloïse Lang quand elle s’est intéressée au sujet : « Ça paraît dingue de faire du business sur le dos de ces femmes pour qui, émotionnellement, c’est hyper dur. Un échec de fécondation chez un couple homosexuel en procédure de PMA n’a pas du tout la même portée que chez un couple hétérosexuel classique, pour qui certes c’est dur psychologiquement, mais qui ne subit pas de lourdes dépenses, de nombreuses démarches, des voyages en plus… », souligne la réalisatrice.

Contraintes matérielles et idéologiques, personnages lunaires… ces nombreux obstacles, la cinéaste a fait le choix un peu évident de les compiler dans une accumulation non-exhaustive et presque absurde, s’il celle-ci n’était pas inspirée de vrais récits de couples lesbiens recueillis pour les besoins du film. La Graine aurait pu être un drame, mais c’est pourtant une comédie maline, qui provoque « un rire de résistance », revendique Éloïse Lang.

En prendre de « La Graine » sur la Belgique

Le film tacle notamment la France sur son retard en matière de PMA. La cinéaste, fière de son pays, y rappelle que la Belgique, elle, a voté l’accès à la PMA pour les couples LGBTQA+ dès le début des années 2000. En France, la loi bioéthique a finalement été promulguée des années plus tard, le 2 août 2021 ouvrant la PMA aux couples de lesbiennes.

Si j’avais fait le film en France, il aurait été particulièrement chiant.

Mais « sur 22 800 demandes [de première consultation de parcours enregistrées entre août 2021 et fin décembre 2022, ndlr] seule une vingtaine de bébés sont nés par PMA après le vote de la France », regrette Eloïse Lang.

Ce qui manque, ce sont les dons, car peu de Français cèdent leur sperme, contrairement à leurs voisins belges, ajoute la réalisatrice. Comme des milliers de femmes avant elles, c’est vers ce pays frontalier, au même titre que l’Espagne ou les Pays-bas, que Lucie et Inès se tournent. « Si j’avais fait le film en France, il aurait été particulièrement chiant, tout du long les héroïnes auraient été mises sur liste d’attente… », plaisante Eloïse Lang.

Inès et Lucie, qui se heurtent à cette bureaucratie, s’accrochent tant bien que mal à leur rêve de foyer. Celles qui incarnent ce couple vaillant espèrent elles aussi apporter leur pierre à l’édifice encore chancelant de la « PMA pour toutes ». À Marie Claire, les actrices Marie Papillon et Stacy Martin expliquent l’importance de la représentation qu’elles offrent enfin, sur grand écran, à ces femmes englouties par un parcours éprouvant.

Marie Claire : Avant de travailler sur ce film, la question de l’accessibilité à la PMA vous animait-elle personnellement ?

Marie Papillon : C’est un processus assez obscur pour le grand public, quand on ne s’y intéresse pas on comprend le concept mais on ne voit pas toutes les difficultés que ça engendre. Sauf que dès qu’on met le nez dedans, on se rend compte du parcours du combattant que c’est.

J’ai des amies qui ont fait une PMA quand j’avais la vingtaine, et déjà, j’avais compris que c’était compliqué. L’une d’elles m’a dit qu’elle se sentait carrément hors-la-loi dans son propre pays, car elle avait dû se rendre en Espagne pour les démarches.

Mais avec le film je me suis vraiment éduquée sur la question, il prend le temps de tout montrer dans sa globalité.

L’amour chahuté par les doutes et la pénurie

Comment avez-vous abordé le rôle de Lucie et Inès, ces deux amoureuses qui se perdent dans leur quête de maternité ?

Stacy Martin : Il fallait déjà trouver le rythme du couple que forment Lucie et Inès, leur parcours émotionnel. C’était très important. Elles sont toutes les deux très différentes mais elles s’impliquent dans une quête commune, celle d’avoir un enfant. Petit à petit elles se rendent compte de leurs différences et de leurs envies respectives.

On le voit bien, l’aspect financier d’une PMA, qui est une procédure coûteuse, est particulièrement plombant pour elles. L’argent est un stress pour beaucoup de couples dans la vie. Ajoutez à ça les injections d’hormones, les voyages… avec la possibilité que ça ne fonctionne pas.

Marie Papillon : Leurs échecs et les entraves rencontrées ne leur permettent pas d’accueillir la maternité de manière sereine, d’autant plus quand il y a un enjeu financier fort derrière.

Dans le film on montre aux gens leur rencontre en 4 minutes chrono. C’est du genre « Wouah, c’est trop beau, on est trop contents pour elles » et puis finalement leur histoire d’amour n’est pas le sujet. En fait on constate vite comme les tracas de la PMA parviennent à leur enlever ça, cette relation. C’est cet aspect presque inévitable de la procédure qu’Éloïse Lang a voulu représenter à travers elles.

Stacy Martin : En fait il y a le coup de foudre…

Marie Papillon : Et puis le coup dur. [rires]

La culpabilité d’Inès, qui n’arrive pas à tomber enceinte, est particulièrement pesante. Qu’est-ce que vous aimeriez dire à toutes ces femmes qui, comme elle, galèrent et s’en veulent ?

Stacy Martin : Déjà, que ce n’est pas de leur faute. C’est déjà dur et effrayant comme choix, comme démarche, de faire une PMA, de pousser la porte d’une clinique pour avoir un enfant. Ça met énormément de pression.

C’est une situation décourageante et injuste.

J’aimerais leur dire qu’elles ne sont pas seules.

Marie Papillon : Et qu’elles sont fortes. Elles s’accrochent alors que, de toute évidence, elles ne sont pas du tout dans les conditions optimales pour procréer.

À la fin du film, le cousin d’Inès exprime sa colère face à l’incapacité du couple à trouver un donneur, notamment car très peu d’hommes font de dons de gamètes. Partagez-vous ce sentiment ?

Marie Papillon : Totalement, c’est une situation décourageante et injuste. Son discours est important car ça fait du bien d’entendre un homme dire « Je peux aider, je peux donner mon sperme », bon en l’occurrence pas pour sa propre cousine, et d’encourager d’autres à le faire.

Stacy Martin : On se dit c’est quand même dingue que deux femmes se retrouvent dans une solution pareille. Et face à la pénurie de sperme, le film montre qu’une solution existe et elle peut être très simple. Il y a plein de choses compliquées dans une PMA, mais pas le don.

On connaît plein d’hommes autour de nous qui tiendraient le même discours généreux sur le don de sperme, et pourtant… J’espère que La Graine va permettre de changer cela, notamment en dédramatisant l’acte. 

La loi bioéthique est peut être passée mais le gouvernement n’a pas lancé de campagne de collecte de gamètes derrière.

Marie Papillon : On sent bien que ce n’est pas prioritaire…

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