« Ils peuvent avoir Rogan ou Young. Pas les deux. » La star du folk rock américano-canadienne, Neil Young, a demandé dans une lettre ouverte à la plateforme Spotify, leader sur le marché du streaming, de retirer sa musique de la plateforme accusée d’être devenue « un lieu de désinformation potentiellement mortelle sur le Covid-19 ». Une menace qu’il a finalement mise à exécution.
A l’origine : un podcast à succès et décrié
Le chanteur Neil Young a quitté Spotify en raison du podcast animé par Joe Rogan, 54 ans, très populaire aux Etats-Unis. Ce dernier a forgé sa réputation sur scène puis comme commentateur sportif avant de lancer en 2009 « The Joe Rogan Experience », un podcast quotidien dans lequel il invite des athlètes, des politiciens, des scientifiques, des artistes, des activistes… Le lanceur d’alerte Edward Snowden, le milliardaire Elon Musk ou encore Bernie Sanders sont déjà intervenus dans cette émission qui peut durer plusieurs heures, explique Télérama.
Spotify s’est offert l’exclusivité de ce podcast pour « 100 millions de dollars en 2020 », précise Télérama. Le prix à payer pour une émission dont chaque épisode est écouté par environ 11 millions d’auditeurs, faisant de Joe Rogan l’animateur du podcast le plus écouté des Etats-Unis et le premier de la plateforme en 2021. Sa recette : la polémique et l’imprévisibilité. Un temps soutien de Bernie Sanders, Joe Rogan bascule fréquemment du côté des trumpistes réactionnaires.
Depuis la pandémie de Covid-19, il a souvent ouvert micro à des invités opposés au vaccin contre le Covid-19. A la mi-janvier, plus de 200 professionnels de santé américains ont ainsi tiré la sonnette d’alarme, jugeant que « The Joe Rogan Experience » présentait « une menace contre la santé publique », rapporte le Guardian (en anglais). Les scientifiques réagissaient à un épisode dans lequel était reçu Robert Malone, virologue devenu diffuseur de fausses informations sur les vaccins contre le Covid-19. Par ricochet, Joe Rogan est accusé de décourager les jeunes de se faire vacciner contre le Covid-19 et de promouvoir des traitements non autorisés dont l’efficacité reste à prouver.
L’étincelle : Neil Young claque la porte
Dans la foulée de ces alertes, le chanteur américano-canadien Neil Young, qui comptait 2,4 millions d’abonnés sur la plateforme, s’est ému de la situation et a décidé de mettre ses menaces à exécution en retirant sa longue discographie de Spotify, le 27 janvier. L’artiste, dont le dernier album est sorti fin 2021, dénonce le fait que la plateforme soit devenue un lieu où « des mensonges sont vendus contre de l’argent ». Inutile de le chercher : son répertoire n’est déjà plus disponible.
Sur son site (en anglais), Neil Young s’explique : « Je soutiens la liberté d’expression et n’ai jamais été en faveur de la censure. Les entreprises peuvent choisir de quoi elles tirent profit, comme je peux choisir de ne pas avoir ma musique sur une plateforme qui dissémine des informations dangereuses. Je suis heureux et fier d’œuvrer pour la solidarité avec les professionnels de santé. »
Cette prise de position a été saluée par le directeur général de l’OMS, Tedros Adhanom Ghebreyesus. Ce dernier l’a remercié de s’être « opposé à la désinformation et aux inexactitudes concernant la vaccination contre le Covid-19 ». Il a également rappelé que « les plateformes, comme les médias et les particuliers, ont tous un rôle à jouer pour mettre fin à cette pandémie et à cette infodémie ».
Le boycott de Neil Young, qui appelait d’autres artistes et maisons de disques à faire de même, a trouvé un écho chez la chanteuse de folk canadienne Joni Mitchell, 78 ans. Le 28 janvier, celle-ci a annoncé qu’elle retirait, à son tour, toute sa musique de Spotify. « Des irresponsables répandent des mensonges qui coûtent la vie à des gens. Je suis solidaire de Neil Young et des communautés scientifiques et médicales mondiales sur cette question », a expliqué la chanteuse, qui compte 3,7 millions d’abonnés sur la plateforme.
La réaction : Spotify garde Joe Rogan
En se retirant de Spotify, Neil Young a tenté de mettre la plateforme de streaming face à ses responsabilités. Mais si elle dit regretter le départ de l’artiste et espérer l’accueillir à nouveau, l’entreprise suédoise a choisi de garder Joe Rogan. Par la voix d’un porte-parole, elle a ainsi mis en avant l’équilibre entre « la sécurité des auditeurs et la liberté de création ». Un choix qui fait s’interroger certains spécialistes sur la réelle volonté de la plateforme de mettre de côté ses « préoccupations commerciales » même si Spotify assure avoir « supprimé plus de 20 000 épisodes de podcasts liés au Covid depuis le début de la pandémie ».
Cet épisode soulève en tout cas de nombreuses questions sur la responsabilité des plateformes de streaming dans le contrôle du contenu qu’elles hébergent. Lesquelles divisent les experts. Pour Summer Lopez, directrice du programme « liberté d’expression » de l’organisation de défense des écrivains Pen America et interrogée par l’AFP, Neil Young « est probablement l’un des seuls artistes qui peut se permettre de tels appels ». Pour bon nombre de musiciens, Spotify est « essentielle » pour toucher leur audience et constitue donc « une source de revenus ». Elle pointe aussi qu’au contraire des réseaux sociaux, une plateforme de streaming est « d’abord conçue pour diffuser des œuvres d’art ». « Je pense que le vrai problème ici est que Spotify n’a pas de politique claire à ce sujet », ajoute-t-elle.
Pour Valerie Wirtschafter, analyste de la Brookings Institution, interrogée par l’AFP, traquer les contre-vérités dans un podcast, « c’est un peu comme chercher une aiguille dans une botte de foin ». Elle évoque toutefois des solutions envisageables pour lutter contre les fausses informations, comme des messages de modération qui pourraient être diffusés avant un épisode, ainsi que des mesures sur les algorithmes des plateformes pour éviter qu’elles « n’amplifient des contenus préjudiciables ».
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