Souvent sous-estimés, les effets d’une rupture amoureuse sur le corps, le cerveau et le cœur peuvent pourtant être les mêmes que lors d’un deuil. Explications de spécialistes.
«Ne t’en fais pas, tu vas vite retrouver quelqu’un», «un(e) de perdu(e) dix de retrouvé(e)s»… Voici les classiques commentaires post-rupture. À en écouter certains, si la séparation amoureuse est douloureuse, elle ne serait au fond qu’un mauvais moment à passer. Il n’en n’est rien pour la psychologue clinicienne Lisa Letessier, auteure de l’ouvrage La Rupture amoureuse (1). Depuis plusieurs années, la professionnelle se «bat», dit-elle, pour que la rupture soit reconnue comme un véritable «traumatisme». Et pour cause, se faire quitter par l’être aimé a de réelles répercussions sur le fonctionnement du corps et du cœur.
Le corps en état d’alerte continue
«Quand une personne est amoureuse, on remarque chez elle une baisse d’activité dans les zones amygdaliennes du cerveau, qui permettent de percevoir les émotions chez les autres, explique Didier Grandjean, professeur en neuropsychologie de l’émotion et de neurosciences affectives à l’université de Genève. Elle est donc moins stressée, dans une sorte d’état d’excitation et d’euphorie permanentes.»
À l’inverse, quand la personne aimée «disparaît», tout s’effondre. «La rupture détruit tout ce qui a été créé en termes d’habitudes, et le fait de devoir tout reconstruire augmente considérablement la dose d’angoisse», précise le Pr Grandjean. La faute à la production d’hormones de stress, notamment le cortisol ou l’adrénaline, plus élevée qu’en temps normal. Elles laissent le corps dans un état d’alerte continu, sous stress permanent. C’est encore pire quand la décision survient brutalement. «Le stress peut engendrer une dépression plus ou moins importante et, dans le pire des cas, précipiter vers des suicides», conclut le professeur en neuropsychologie.
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Un « bug » dans le cerveau
Une rupture amoureuse peut avoir un impact plus ou moins visible sur le sommeil. Ce dernier a pour fonction majeure la régénération du système nerveux. «Le sommeil paradoxal, une des phases du cycle nocturne, a pour objectif de digérer le stress de la journée», explique la psychologue Lisa Letessier. «Quand un événement dépasse ce qu’on est capable de supporter, il va rester bloqué dans la zone « mémoire et émotion » du cerveau, et créer un bug», continue-t-elle. Conséquence : le cerveau est en alerte et fait revenir des pensées intrusives au moment du coucher, empêchant l’endormissement. Sans surprise, de mauvaises nuits ont ensuite des conséquences directes : on devient plus susceptible à tout genre de contrariétés, plus irritable.
Perte de poids
«En moyenne, on observe une perte de poids de cinq kilos chez des personnes ayant subi une rupture», renseigne Lisa Letessier. Perte d’appétit, troubles digestifs, fatigue… La rupture a des effets en cascade sur le corps, le cœur ou la respiration. Le professeur Grandjean note, lui, une baisse d’activité motrice ou encore des baisses de concentration. «Le système parasympathique, notamment responsable de la relaxation, de la diminution de l’activité cardiaque et du bon fonctionnement du transit, ne se déclenche plus», détaille-t-il. Ainsi, il devient impossible de se détendre et les troubles intestinaux augmentent. D’où le manque d’appétit et la perte de poids parfois importante.
Un « effondrement neuronal »
Didier Grandjean parle d’un «vide désespérant» une fois que la personne est partie. «Elle occupait une grande partie des réseaux cérébraux de l’autre et du jour au lendemain, plus rien». Ce vide soudain peut créer un profond sentiment de solitude et d’échec. «Au moment de la rupture, que j’appelle aussi « trahison amoureuse », tous les schémas pré-établis sur soi, sur le monde et sur les autres, volent en éclat», complète Alain Brunet, chercheur en psychologie à l’Université McGill de Montréal. Le «soi» est totalement chamboulé et des interrogations surviennent : pourquoi moi ? Qu’est-ce que j’ai fait ? Qu’est-ce que j’aurais dû faire ? «On se remet en permanence en question parce qu’on a manqué d’intuition, de « jugeote ». On se dit qu’on aurait pu s’en rendre compte plus tôt», continue le chercheur québécois.
Une résilience qui dépend de son passé
Sur le plan psychologique, la rupture peut venir réactiver des schémas douloureux du passé. Si l’on a eu durant l’enfance, un entourage rassurant et calme, qui peut être qualifié de « sécure », il sera possible d’établir des relations amoureuses apaisantes, ou de se remettre de ces situations plus aisément. Au contraire, si les relations étaient violentes, plutôt insécures, la rupture sera «la goutte d’eau qui va faire déborder le vase», illustre Lisa Letessier. «Des problèmes d’abandon, de confiance, vont plus facilement remonter à la surface», ajoute également Didier Grandjean.
Un impact sur le fonctionnement du cœur
«Quel que soit le stress subi, ce dernier peut entraîner des problèmes cardio-vasculaires, même sur un cœur sain», indique Dominique Guedj Meynier, cardiologue libérale à Paris. Une nouvelle maladie est de plus en plus étudiée et particulièrement prise en compte : le syndrome du «cœur brisé», ou syndrome de Tako Tsubo. «Ce syndrome peut être dû à tout stress émotionnel, qu’il soit négatif ou positif, et on l’a constaté dans certains cas de rupture», rapporte Clément Delmas, cardiologue au CHU de Toulouse.
Surtout présent chez la femme, le Tako Tsubo est l’équivalent d’un infarctus, et peut parfois avoir des complications non-négligeables. Les effets vont des palpitations avec arythmie cardiaque à une insuffisance de la rétractation cardiaque. «Les symptômes peuvent aller jusqu’à la mort subite, où le cœur s’arrête de battre parce qu’il est mal irrigué, mais elle ne concerne que les cas extrêmes», précise le Dr Clément Delmas.
Un manque comparable à celui du deuil
Lorsqu’on tombe amoureux, tout un système de récompense se met en place dans le cerveau. On va sécréter des endorphines, et notamment de la dopamine, l’hormone du bonheur. Lorsque la rupture arrive, on va continuer à rechercher ce «stimulus endorphinogène», qui va créer la sensation de manque. Selon la psychologue Lisa Letessier, la rupture amoureuse est comparable à un deuil, «d’un point de vue psychique, c’est exactement le même phénomène».
La perte de l’être aimé demande temps et patience à la personne quittée. «On a souvent l’idée que lorsque l’on forme un couple, on devient mutuellement dépendant, explique Alain Brunet, chercheur en psychologie à l’Université McGill à Montréal. Mais nous sommes des êtres d’attachement, habiles pour nous attacher, mais pas pour se détacher.»
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