- La série Maid, parmi les plus regardées sur Netflix en France, raconte l’histoire d’Alex, une jeune femme victime de violences conjugales.
- Il est rare de voir une série parler avec autant de précision et de pertinence des violences psychologiques au sein du couple et souligner qu’une femme peut être victime sans avoir reçu des coups.
Est-on victime de violences conjugales même lorsque l’aggresseur n’a pas (encore) porté de coups ? C’est l’une des principales questions traitée dans la série
Netflix Maid, inspirée du best-seller autobiographique Maid : Hard Work, Low Pay, and a Mother’s Will to Survive de Stephanie Land, qui raconte comment Alex (Margaret Qualley), une jeune mère sans un sou réussit à s’enfuir d’une situation conjugale liberticide.
« La violence physique n’existe jamais sans cette violence psychologique dépeinte dans Maid. Ce sont les précurseurs de la violence physique qui va apparaître par la suite », explique Karen Sadlier, docteure en psychologie clinique et spécialiste de ces questions. D’ailleurs, les coups ne sauraient tarder puisque Sean (Nick Robinson) commence à la viser avec des objets. « D’abord, il tape à côté d’elle et ensuite il lui tapera dessus », confirme Annie Ferrand, psychologue spécialisée dans le traitement des psycho traumatismes. Retour sur trois scènes marquantes qui permettent de comprendre les mécanismes de l’emprise.
Lorsque Alex débarque dans le foyer d’accueil aux victimes de violences conjugales, elle perçoit sa situation comme moins grave que celle des autres femmes du foyer.
En arrivant dans le refuge, Alex est dissociée, elle a du mal à se voir comme une victime. « Plus une femme a vécu la violence longtemps, plus elle va développer des symptômes dissociatifs, par lesquels elle est déconnectée de ses émotions, souligne Karen Sadlier. Elle va minimiser la gravité de ce qu’elle a vécu ». Cette minimisation du préjudice vécu participe aussi de la stratégie du conjoint violent. « Certaines femmes sortent d’un enfer mais l’agresseur a sans cesse répété : « Tu es trop douillette ». Imprégnées de ce discours, elles n’identifient pas l’ampleur du préjudice », explique de son côté Annie Ferrand. Contrairement aux idées reçues, la violence conjugale ne se réduit pas aux coups. « Certaines femmes n’en ont pas reçu mais toutes les autres formes de violence, extrêmement destructrices, sont présentes. Et elles sont inquiètes, comme Alex dans Maid, de ne pas être crues », note Karen Sadlier.
Le terme « contrôle coercitif » utilisé au Canada, et de plus en plus en France, englobe toutes les formes de violences : psychologique, émotionnelle, financière, administrative qu’on retrouve dans la série. Il donne une bonne idée de ce qui se joue dans les violences conjugales. « L’auteur de contrôle coercitif isole sa victime de toute forme de soutien, exploite ses ressources, l’empêche d’accéder à de nouvelles ressources, réglemente la vie quotidienne de la victime et la prive des moyens nécessaires pour accéder à l’indépendance, résister ou s’enfuir », peut-on lire sur le site de l’association Women for Women France. Une fois en sécurité, la victime peut enfin se connecter à ce qu’elle a vécu et prendre conscience de la gravité des faits.
Alex finit par céder aux avances de Sean qui fait tout pour la récupérer. Une fois de retour au domicile, c’est l’escalade.
Une femme retourne en moyenne sept fois auprès de son agresseur. La violence économique en est l’une des raisons principales. Après leur départ, certaines de ces femmes plongent dans la grande pauvreté. Et ça ne loupe pas dans Maid, Alex revient après avoir perdu son logement à cause de… Sean ! En parallèle, il s’est repris en main, ne boit plus. Il lui offre même son soutien lorsque Paula (Andie MacDowell), la mère d’Alex, est hospitalisée. « Quand la victime revient, une première période de lune de miel, idéalisée, peut exister mais très rapidement le conjoint remet en place les mécanismes de contrôle de façon amplifiée », pointe Karen Sadlier. On le voit bien dans la série. Sean se remet à boire quasiment instantanément après le retour de la jeune femme. Il lui confisque son téléphone portable sous prétexte de ne pas avoir les moyens de le payer et il lui enlève sa voiture, son seul moyen de travailler. Elle devient sa prisonnière.
Les conjoints violents agissent selon cinq stratégies, décrites par le Collectif féministe contre le viol (CFCV) qui les a mis au jour en recoupant des milliers de témoignages. « D’abord, l’isolement géographique, amical, relationnel, professionnel. Ensuite, la dévalorisation et la destruction de l’estime de soi, égrène Annie Ferrand. On retrouve aussi l’inversion de la culpabilité, la manière dont l’agresseur fait croire à la victime qu’elle est responsable de tout ce qui lui arrive ; l’organisation d’un climat permanent d’insécurité. Et, enfin, la stratégie du secret, la manière dont l’agresseur se débrouille pour que la victime ne puisse ni s’échapper, ni en parler ». Et, Sean coche toutes les cases.
« A chaque retour de la victime, la violence a tendance à s’aggraver, ce qui fragilise la femme pour se protéger », reprend Karen Sadlier. L’aggravation de la violence l’anesthésie et c’est en montant les enchères qu’un nouveau sursaut peut avoir lieu, s’il sort un couteau ou s’en prend à l’enfant, par exemple. Pour Alex, l’isolement est total. Même son père refuse d’admettre les faits. « L’agresseur va d’un côté isoler la victime de tout ce qui peut être une ressource, professionnelle, amicale, affective… mais il va lui imposer des personnes toxiques », note Annie Ferrand. Car son père a lui-même été un conjoint violent dans le passé. « De quoi voulez-vous qu’il témoigne ? Il va témoigner que sa fille vit des choses normales ? », conclut la spécialiste avec une pointe d’ironie.
Une fois de retour dans la caravane, Alex ne réagit plus et s’enfonce dans un vide vertigineux.
On observe très clairement la mort psychique d’Alex. Maid la montre impassible, absente, engourdie. Elle s’enfonce dans son esprit comme dans un gigantesque trou noir. Elle n’existe plus. « Rares sont les films qui réussissent à faire comprendre l’état de détresse mentale dans laquelle on peut se retrouver face à un agresseur », insiste Annie Ferrand.
Les conjoints violents utilisent les mêmes techniques que les méthodes d’interrogatoire renforcé employées par les services de renseignements américains dans la lutte contre le terrorisme. Parmi elles, on retrouve le fait de hurler contre la victime, d’utiliser une musique assourdissante, de priver de sommeil ou de faire un usage stressant de la lumière. « Le conjoint utilise la privation de sommeil pour créer un état d’épuisement cérébral qui rend la victime beaucoup plus manipulable, décrit Annie Ferrand. Il baisse la température à 14 degrés en hiver sous prétexte de faire des économies ». Un contrôle du corps se met en place si bien que le conjoint violent détruit l’intégrité de la victime. « Elle a l’impression de se dissoudre », souligne la psychologue. Elle perd le contact avec elle-même.
Considérées comme de la torture, l’administration de Barack Obama avait
interdit l’usage de ces techniques en 2009.
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