- Les Championnats du monde Pokémon se sont tenus pour la première fois au Japon et ont réuni des centaines de milliers de fans, qui forment une communauté bienveillante.
- Avec le succès de Pokémon Go, le fandom Pokémon s’est considérablement étendu. La marque est aujourd’hui la licence culturelle la plus lucrative de l’histoire.
- La Pokémon Company continue de beaucoup miser sur ses fans hardcore.
De notre envoyé spécial à Yokohama (Japon),
Le monde réel n’est pas toujours aussi confortable qu’une Poké Ball. Les fans de Pokémon le savent bien. Mais lors des derniers Championnats du monde Pokémon, au mois d’août à Yokohama (Japon), les pokémaniaques pouvaient laisser libre cours à leur passion sans craindre les quolibets. Parmi eux, nombre d’adultes. Au Pokémon Center de Tokyo, où des dizaines de sortes de peluches Pokémon sont en vente, au milieu d’innombrables vêtements et objets, Vicky, venue d’Angleterre, fait ses emplettes. « Le côté collection, l’argent qu’on dépense pour les Pokémon, ça fait ricaner les gens. Mais je m’en fiche, moi, avoir une peluche Poussacha qui manche des mochis, ça me rend heureuse. »
Si le rassemblement de Yokohama avait pour premier objectif de désigner les meilleurs « dresseurs » Pokémon au monde, que ce soit en jeu vidéo ou jeu de cartes, il était aussi l’occasion, entre fans hardcores, de mesurer la portée de sa passion. « Quand on aime vraiment beaucoup les Pokémon, on a un fantasme, explique Karl, venu des Etats-Unis. Vivre dans le monde des Pokémon. Ici, on peut avoir l’illusion, pour quelques jours, que les Pokémon existent et qu’ils sont la chose la plus importante et belle du monde. »
Impossible de tous les attraper
Même sans vivre à Yokohama, où effectivement la passion Pokémon envahit l’espace public, les fans de la franchise ont bâti un monde où les jeux vidéo Pokémon sont, chaque année, les plus vendus (440 millions exemplaires écoulés à ce jour). Un monde où les cartes Pokémon s’échangent pour certaines à des millions de dollars, et où la requête « cartes Pokémon » est, de loin, la plus fréquente sur eBay. Un monde où la marque Pokémon est la franchise culturelle la plus rentable de l’histoire, devant Marvel, Star Wars ou Harry Potter… Et la passion grandit de manière exponentielle. Sur les 9 milliards de cartes Pokémon imprimées depuis la création du jeu en 1996, un quart l’a été ces deux dernières années…
Pourtant, ces chiffres ne suffisent pas à exprimer l’attachement des plus gros fans. « Je sais que les Pokémon sont très populaires aujourd’hui, et c’est très cool, explique Karl. Mais moi, c’est vraiment toute ma vie. Je pense aux Pokémon presque tout le temps. Je suis heureux quand je pense à eux. »
Nous sommes tous des Magicarpes
« Pokémon, pour 90 % des fans, c’est un refuge, une bulle de bienveillance où le fait d’être différent est valorisé, explique Julien Dachaud, alias NewTiteuf, un créateur de contenus spécialiste (et fan) de Pokémon. Je pense que ça vient du jeu, avec tous ces Pokémon différents, et qui peuvent être surprenants. Magicarpe peut sembler inutile avec son pouvoir Trempette, mais il peut évoluer en un des Pokémon les plus puissants. C’est une belle leçon… »
Si les fans de Pokémon ont besoin de ce refuge, c’est que la vie n’a pas toujours été rose pour eux.
« Il y a dix ans que je suis fan et tout a changé dans la perception que le grand public a des fans de Pokémon. Aujourd’hui, c’est stylé, mais il y a dix ans, c’était une commu de niche, on était des gens bizarres, explique MissJirachi, pionnière des youtubeuses Pokémon, toujours fan aujourd’hui. A 16 ans, on se moquait de moi parce que j’aimais les Pokémon, que j’avais une chaîne YouTube là-dessus. Mais moi, les Pokémon m’ont sauvé la vie. J’étais harcelée à l’école et j’ai dû quitter le lycée. Les Pokémon, c’était mon exutoire. J’y ai retrouvé une communauté de gens harcelés comme moi. Et puis j’ai commencé à gagner un peu d’argent avec ma chaîne et j’ai découvert une piste à suivre. Sans les Pokémon, je ne sais pas ce que je serai devenue… »
Une commu haute de couleurs
Ce genre de témoignages est légion parmi les fans de Pokémon. Suzi, présentatrice d’une émission dédiée aux Pokémon sur la chaîne éducative de NHK constate qu’il y a « beaucoup de personnes LGBT, des personnes grosses, des handicapés… Bref, des minorités opprimées, chez les fans de Pokémon. Quand ils jouent aux Pokémon, ces gens oublient leurs problèmes, ils se sentent valorisés et acceptés, et en sécurité. »
« C’est une communauté très… colorée, confirme Julien Dachaud. Il y a une joie de vivre chez eux. Même des gens introvertis en dehors de ce spectre-là se révèlent quand il y a un Pikachu, ça ravive une flamme quand ils sont entre eux. »
La révolution Go
Le succès commercial de Pokémon ne s’est jamais démenti mais a connu un accélérateur considérable avec le confinement lié à la pandémie de Covid 19. Mais avant cela, Pokémon a trouvé sa place centrale sur la carte du cool à l’été 2016. Rappelez-vous, le monde entier part alors à la chasse aux Pokémon, son smartphone à la main…
« Pokémon Go, ça a tout chamboulé, explique Julien. D’un seul coup, tout le monde jouait même ceux qui ne connaissaient pas. Et ceux qui connaissaient se sont dit « mais pourquoi j’avais arrêté de jouer ? »… Le problème des Pokémon c’est que tu arrêtes souvent de jouer quand tu n’as plus de cours de récré. L’arrivée du jeu online, pour les jeux vidéo puis pour les cartes, a permis aux adultes de se remettre aux Pokémon. »
Du rayon 5/12 ans à Longchamp
Avec le succès très grand public, être fan de Pokémon est devenu presque banal. « C’est le triomphe des bizarres et des nerds, rigole MissJirachi. Sur un événement comme les Championnats du monde Pokémon, tu te sens mal à l’aise d’être habillé normalement alors que tout le monde autour de toi à des fringues Pokémon, des peluches attachées à l’épaule, des accessoires… C’est un beau symbole ce retournement de situation ! »
« Avant, quand tu voulais des habits Pokémon il fallait aller au rayon 5/12 ans de Carrefour, se rappelle Julien. Aujourd’hui il y en a partout, Uniqlo fait des collections adulte par exemple. Il y a eu une collaboration avec Longchamp… La Pokémon Company fait très attention à la qualité de ses partenaires pour le merchandising. »
Créer des rencontres
Etrangement, le succès commercial ne semble pas avoir bouleversé l’identité du fandom Pokémon.
« Le succès de Pokémon Go a permis de démontrer que c’était une passion qui faisait se rencontrer les gens, analyse MissJirachi. Nous, entre fans, on n’a pas attendu Pokémon Go pour se voir IRL et former notre commu très soudée. Mais ce jeu-là a mis un coup de projecteur sur la dimension sociale de Pokémon. »
« La Pokémon Company a à cœur de maîtriser ce fandom en garder une commu safe, selon Julien Dachaud. C’est pour ça qu’il n’y a pas de réseau social Pokémon, et qu’ils gèrent eux-mêmes les tournois. » Et en effet, chez Creatures, le studio qui crée les cartes Pokémon depuis bientôt 30 ans, on vante les mérites d’un jeu fédérateur, comme l’explique Atsushi Nagashima, directeur du studio : « Notre objectif n’est pas seulement de créer des produits mais de créer des moments de jeu, des opportunités de passer du temps ensemble, entre joueurs, de développer notre imagination… »
Homme-Pikachu-sandwich
Là où d’autres franchises se méfient de leurs fans les plus extrêmes, la Pokémon Company semble au contraire beaucoup miser sur eux. Mieux, la dernière création de la compagnie, une websérie d’animation intitulée Les horizons, met en scène une jeune joueuse de cartes. La série raconte comment une collégienne solitaire découvre l’amitié et la confiance en soi grâce aux Pokémon…
Ce mantra infuse la philosophie commerciale de Pokémon qui veut ainsi placer ses produits Pokémon dans chaque recoin de la vie de ses fans. « Les adultes aiment les Pokémon parce qu’ils les ont aimés enfants, explique Takato Utsunomiya, directeur des opérations de la Pokémon Company. Notre cible principale reste les enfants. Si les Pokémon cessent d’être cools aux yeux des enfants, c’est fini pour nous. Mais nous pensons aussi aux adultes qui ont moins de temps pour jouer et nous créons d’autres expériences, comme Pokémon Sleep… »
On recroise ainsi Karl, le fan qui voulait vivre dans le monde des Pokémon, les bras chargés de deux énormes sacs de produits venus du Pokémon Center. « Tout n’est pas pour moi, se défend-il. Je vais en offrir, et je vais en revendre parce que certaines choses ne sont disponibles qu’au Japon. » Comme lui, les millions de fans Pokémon sont devenus les ambassadeurs bénévoles de la marque.
20 secondes de contexte
20 Minutes a couvert les Championnats du monde Pokémon de Yokohama à l’invitation de la Pokémon Company International qui a pris en charge le séjour de notre journaliste, et de trois autres médias français. Pour autant, la Pokémon Company n’a aucun regard ni contrôle sur les articles publiés par 20 Minutes dans ce cadre ni dans aucun autre.
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