Chronothérapie : quand la médecine trouve son rythme

Les récentes découvertes autour de l’horloge interne ouvrent grands les horizons de la médecine, traitements anti cancéreux en tête.

Il y a l’heure qui s’affiche au poignet ou sur Smartphone. Et il y a celle, aussi secrète qu’exigeante, qui fait pulser votre organisme. Dans les années 1980, des chercheurs israéliens découvraient le fonctionnement de cette horloge interne située dans l’hypothalamus, une petite glande cérébrale. « Ce donneur de temps réagit à la lumière, via deux centres de perception situés derrière nos yeux : les noyaux suprachiasmatiques (NSC) »,  décrit François Duforez, médecin du sport et du sommeil. « Cette mécanique de précision organise l’activité métabolique sur un cycle d’environ 24 heures dit circadien, dominé par l’alternance jour/obscurité ».

Elle dicte le rythme des organes, la fréquence cardiaque, les variations des sécrétions hormonales, la température ou la tension artérielle… sans oublier les périodes de veille et de sommeil. La médecine maîtrise déjà bien l’influence de la lumière sur cette mécanique de précision. Ainsi les applications de la luminothérapie soulagent le quotidien des personnes soumises au blues hivernal – soit 5 % des Français, aux décalages horaires successifs, ou encore au travail en horaires décalés. Mais depuis peu, les rythmes chronobiologiques sont au centre de nouvelles recherches, celle de la chronomédecine ; ou comment mieux soigner en s’appuyant sur l’horloge interne des patients.

Une médecine des rythmes internes

Le virage remonte à 2017, quand les trois chercheurs américains Jeffrey Hall, Michael Rosbach et Michael Young reçoivent le prix Nobel de Médecine pour leurs travaux sur les mécanismes moléculaires de l’horloge circadienne cellulaire. « Montrer que chaque organe mais aussi chaque cellule possède sa propre horloge a révolutionné toute l’approche chronobiologique médicale », déclare Sylvie Giacchetti, praticienne hospitalière au Sénopole de l’hôpital Saint Louis à l’APHP, au micro de France Culture. La récompense booste la reconnaissance de ce secteur scientifique émergent qui attire dans la foulée de nouveaux chercheurs.

Les études autour de la chronothérapie sont plus que jamais sur le devant de la scène. Le rôle des désordres chronobiologiques dans le déclenchement de certaines maladies, cancers en tête, est de plus en plus étudié. « Des grandes études ont ainsi démontré une hausse du risque de cancer du sein chez les infirmières pratiquant le travail posté (de nuit) », évoque Sylvie Giacchetti. Une équipe américaine a déjà mis en évidence les bienfaits d’une exposition lumineuse biquotidienne sur les patients atteints de la maladie de Parkinson. Par dessus tout, les chercheurs montrent que l’ajustement des thérapies, notamment en oncologie, en fonction de l’heure du jour ou de la nuit diminue notoirement la toxicité de certains traitements médicamenteux.

A chaque cellule, son horloge interne

« Il s’agit de diminuer les effets secondaires des traitements médicaux tout en augmentant leur efficacité en modulant les horaires des prises médicamenteuses ; c’est particulièrement pertinent pour les protocoles anti-cancéreux, souvent lourds pour les patients, à commencer par les chimiothérapies », résume Annabelle Ballesta, chercheuse INSERM en médecine personnalisée et chronothérapie des cancers à l’hôpital Paul Brousse, à Villejuif. « Situés dans le cerveau, les noyaux suprachiasmatiques génèrent des rythmes dans tout l’organisme, jusqu’au niveau des tissus périphériques. Chaque cellule de notre corps possède ainsi son horloge circadienne, synchronisée par une sorte de pacemaker central », décrit la chercheuse.

Notre mission est d’étudier ces organes et circuits métaboliques pour déterminer le moment où le médicament induira le moins de dommages possible

Au contraire, les cellules cancéreuses échappent au contrôle circadien, ne sont pas synchronisées entre elles et n’ont parfois pas d’horloge moléculaire circadienne fonctionnelle. « Nous exploitons cette différence temporelle dans la chronothérapie des cancers », explicite l’experte. Les molécules de chimiothérapie étant en général à l’origine de toxicités sévères, préciser l’heure d’administration du médicament diminue ces effets néfastes, ce qui permet d’augmenter la dose et donc l’efficacité du traitement. « Concrètement, on donne le médicament au moment où les cellules saines sont les moins sensibles ; les cellules cancéreuses n’ayant quant à elles pas de rythme, elles seront alors plus sensibles au traitement que les cellules saines », analyse Annabelle Ballesta.

Des protocoles différents pour les femmes

Aujourd’hui, des protocoles de chronothérapie sont actuellement appliqués à l’hôpital Paul Brousse de Villejuif. Pour déterminer l’heure idéale d’administration d’un médicament, il faut étudier les rythmes circadiens de la zone visée. Par exemple la partie atteinte par la tumeur ; ou encore l’intestin, les patients cancéreux souffrant de diarrhées sévères dans la foulée des chimiothérapies.

« Notre mission est d’étudier ces organes et circuits métaboliques pour déterminer le moment où le médicament induira le moins de dommages possibles ; pour cela, nous avons besoin de personnaliser les thérapies car chaque personne a sa propre horloge ; des différences majeures sont également lisibles en fonction du genre », expose Annabelle Ballesta. Autrement dit, et c’est nouveau, le corps d’un homme ou d’une femme réagit très différemment aux traitements. « Nous venons de faire des tests avec le médicament Irinotécan, prescrit dans les cancers colorectaux et du pancréas. Résultat : l’heure de moindre de toxicité se situe tôt le matin (entre 5 et 9h) pour l’homme, et autour de 17h pour la femme », illustre la chercheuse.

Mesurer au plus près les rythmes circadiens

Les résultats en chronothérapie ont aussi fait leurs preuves sur l’administration des anti-inflammatoires pour les maladies rhumatoïdes, type arthrose. Pour être au maximum de son efficacité, le médicament doit être actif très tôt le matin, quand le malade ressent le plus de douleurs. Des médicaments ont donc été développés de manière à être pris tard le soir, pour une libération des actifs pendant la nuit afin d’atténuer les souffrances au réveil.

En parallèle, la discipline fait ses débuts en médecine cardiovasculaire : le CHU de Lille a mis en évidence que les effets secondaires après une chirurgie cardiaque qui implique de débrancher puis de rebrancher le cœur étaient plus importants si l‘opération a lieu le matin que l’après midi (15% des cas de complication contre 8%). Elément-clé à intégrer dans l’équation : le chronotype du patient. « Il existe des chronotypes du matin : l’horloge biologique de ces personnes est plus courte que l’horloge terrestre. Ceux du soir, au contraire sont plutôt en retard de phase car leur horloge interne dépasse les 24h », expose François Duforez.

Le chronotype décale alors les rythmes métaboliques donc les règles optimales d’administration. Arriver à mesurer ce dernier est un enjeu actuel majeur. Pour déterminer les rythmes circadiens à un niveau individuel, il faut équiper le patient d’un capteur, via une montre par exemple, qui mesurera l’activité, la température, le rythme cardiaque etc. « Le second enjeu sera de mieux cerner le mécanisme chronobiologique à un niveau moléculaire, au niveau de la cellule ». Ce pan de recherche va au delà de la chronothérapie car il implique des études pluridisciplinaires, notamment au niveau in vitro mais aussi mathématiques. L’idée est de développer des techniques qui permettront de mesurer de manière fiable les rythmes de chaque patiente afin de prédire les horaires optimaux de traitements médicamentaux ou chirurgicaux. L’avenir est ouvert !

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