"Chanson douce" : que vaut l’adaptation du best-seller de Leïla Slimani ?

En salles le 27 novembre, "Chanson douce" met Karin Viard dans la peau d’une nounou folle, qui finit par tuer les deux enfants dont elle a la charge. L’actrice livre une interprétation impressionnante, qui fait plonger dans la psychose. Une adaptation prenante du best-seller de Leïla Slimani.

On va en faire des cauchemars pendant longtemps. En salle le 27 novembre, Chanson douce est l’adaptation cinématographique du roman éponyme de Leïla Slimani. Publié en 2016, il avait raflé le prestigieux prix Goncourt, et s’est depuis écoulé à plus de 500.000 exemplaires. Karin Viard incarne Louise, nounou possessive et meurtrière qui tue les deux enfants de Myriam, jouée par Leïla Bekhti, touchante en mère dépassée par les événements.

Sur le papier, Myriam a tout pour elle : un diplôme d’avocate, un mari travaillant dans la musique, deux superbes enfants, un appartement décoré avec goût dans le 11e arrondissement de Paris. Mais quelques années au domicile, à s’occuper de ses enfants nés de manière rapprochés, finissent par être pesantes. Myriam convainc Paul (Antoine Reinartz) de chercher une nourrice, pour qu’elle puisse reprendre le travail : « J’ai besoin de parler d’autre chose que de couches ». 

Après un examen minutieux de plusieurs candidates, ils ont un coup de coeur pour Louise, quadragénaire tirée à quatre épingles, qui semble venir d’un ancien temps avec ses tabliers à fleurs. Sourire carnassier, Louise se coule dans la vie de Paul et Myriam, et devient vite folle de leurs enfants. Dans tous les sens du terme. Ponctuelle, constamment disponible, savant faire preuve d’autorité, bonne cuisinière et excellente ménagère, Louise met de l’ordre dans le quotidien chaotique de la petite famille moderne. Elle devient l’élément central de leur vie, semble anticiper leurs besoins avant qu’eux-mêmes n’y songent.

Karin Viard réussit le pari de tourner essentiellement avec deux enfants, l’une à l’école primaire, et l’autre, qui n’est encore qu’un bébé, pourtant déjà très expressif. Le bambin surprend à avoir le regard inquiet quand nécessaire, face aux agissements de plus en plus étranges de cette nounou envahissante. L’aînée, jouée par Assya Da Silva, sent bien, aussi qu’il y a un problème, lorsque les punitions se font trop fortes, résultat d’un amour trop débordant.

Mais tout comme sa mère et son père, la petite Mila se fait manipuler par cette nounou, qui semble trop parfaite pour être vraie. Un coup gentille, un coup brusque. Tantôt prévenante, tantôt d’un mutisme froid effrayant, quand elle se sent mise de côté.

Le film offre plusieurs scènes malaisantes, presque comme dans un Psychose moderne, à la faveur de scènes aussi effrayantes que belles, pour illustrer la folie grandissante de Louise. Bravo à la réalisatrice Lucie Borleteau, qui sublime l’horreur envahissant le quotidien avec une lumière poétique, des effets de miroir obsédants et des gros plans intenses.

Si l’on vient sans avoir lu l’ouvrage de Leïla Slimani, on ne peut imaginer ces scènes d’horreur étrange. On est happé par la mentalité malsaine de Louise, qui se dévoile petit-à-petit. Évidente pour le spectateur, elle l’est beaucoup moins pour les parents. Et l’angoisse ne fait que monter. Comme les enfants, on a peur.

L’idée de cette histoire affreuse est en partie venue à Leïla Slimani d’un faits-divers qui a eu lieu à New York en 2012. Yoselyn Ortega avait tué deux des trois enfants dont elle s’occupait. La mère avait découvert la scène en rentrant dans leur appartement de Manhattan, accompagnée de l’une de ses filles. La nounou avait alors essayé de se suicider en se tranchant la gorge. En 2018, Yoselyn Ortega, qui avait plaidé des troubles psychotiques non-traités depuis l’enfance, a été condamnée à la perpétuité pour le double meurtre.

Un autre faits-divers avait aussi inspiré Leïla Slimani. En 1997, une jeune fille au pair, Louise Woodward, avait secoué le bébé de 8 mois d’un couple d’Américains, qui en était mort. Son avocat avait alors essayé de porter la faute sur la mère, qui travaillait beaucoup, et avait donc délégué l’éducation de ses enfants, résume le HuffPost. En clair : elle ne pouvait s’en prendre qu’à elle-même. Condamnée à 279 jours de prison, qu’elle avait effectués avant l’issue du procès, Louise Woodward est repartie vivre en Angleterre.

En filigrane, Chanson douce est aussi l’histoire de la charge mentale qui pèse sur les femmes, et les handicape, dans une course effrénée à exceller dans sa vie professionnelle, et sa vie de mère. L’époux de xx a beau s’inquiéter des comportements erratiques, possessifs, de Louise, son épouse panique à l’idée de devoir s’en séparer. Dans ses yeux brille la peur de l’avant, encore proche, où son quotidien était une longue parenthèse de couches et promenades au parc. Cette nounou est la clé d’un début de liberté auquel la jeune avocate tient précieusement. 

Derrière la folie indiscutable de Louise se cache aussi la folie d’une société qui en demande trop aux femmes, et qui est prompte à les pointer du doigt quand elles cherchent de l’aide pour trouver un équilibre entre vie privée et vie professionnelle, pour rester des femmes épanouies.

Bien sûr, c’est une possibilité malheureusement réservée aux femmes aisées, et qui repose, souvent, sur l’exploitation de travailleuses étrangères et en difficultés financières, donnant parfois lieu à des situations d’abus. 

C’est le cas dans cette histoire, alors que toute la petite famille fait de plus en plus rentrer la nounou dans sa vie. Mais c’est avant tout parce que celle-ci fait tout pour se rendre indispensable, et s’impose, jouant un jeu pervers qui tient en haleine, alors que l’on connaît la catastrophe à venir. Chanson douce se regarde comme un thriller psychologique précis et anxiogène, inéluctablement tragique.

Chanson douce, de Lucie Borleteau, avec Karin Viard, Leïla Bekti, Antoine Reinartz, sortie le 27 novembre

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