Céline Lis-Raoux : "Les opérations des cancers sont aussi des urgences"

Céline Lis-Raoux est directrice de l’association RoseUp, fondée par des patientes et des proches de patients qui accompagne, informe et défend les droits des femmes touchées par le cancer. Face aux dysfonctionnements liés à la Covid-19 dans le parcours de soins de nombreux malades, elle a mis en place une plateforme de déclarations d’annulations d’actes en cancérologie.

Son objectif : renseigner les retards, les annulations de traitements et de chirurgies. En l’espace de dix jours, son équipe mobilisée suit déjà plus de 80 dossiers et trouve des solutions pour que les malades ne soient pas, à nouveau, les victimes collatérales de la seconde vague épidémique. Entretien.

Marie Claire : pourquoi avez-vous décidé de mettre en place une plateforme pour les malades du cancer ?

Céline Lis-Raoux : « On a créé cette plateforme, car pendant le premier confinement j’avoue que nous avons été, comme tout le monde, en état de sidération. Nous n’avions pas anticipé ces annulations. Tout a commencé en avril dernier après la publication d’un de nos articles. Une oncologue de l’Institut Gustave Roussy nous alertait : ‘Dites bien aux malades de ne pas annuler leur rendez-vous, plusieurs de mes patientes avec des cancers du sein métastatiques l’ont fait, elles sont perdues, elles ont l’impression que le coronavirus va leur sauter dessus, elles ont peur’.

À peine publié sur notre site, nous avons eu un retour de bâton violent : plus de 500 posts énervés : ‘Vous nous prenez pour des truffes, ma chimio a été annulée, mon opération a été annulée…’. On a alors réalisé que plus de 70% des imageries avaient été annulées. Et pas seulement des mammographies mais aussi des IRM, et des Pet-scans qui dans le cas de cancer métastatique montrent si la chimio fonctionne. »

Votre association a alerté le ministre de la Santé sur les risques de déprogrammer des opérations pour les malades de cancer, avez-vous été entendue ?

« On a alerté les pouvoirs publics car les pertes de chance sont réelles pour les patient.e.s. Une étude britannique a montré récemment qu’un retard de quatre semaines pour une chirurgie augmente le risque de mortalité de 6 à 8%. La personne ne mourra évidemment pas demain, mais beaucoup plus tôt que prévu. Je viens de publier un article sur une amie, Valérie 56 ans, qu’on a enterrée hier. Elle avait un cancer métastatique, elle vivait à Nice où pendant le premier confinement il n’y a eu que très peu de cas de Covid. Pourtant son traitement à l’hôpital est passé en traitement à domicile. Elle l’a très mal supporté, elle a demandé plusieurs fois une IRM mais on lui a interdit de sortir. Son traitement n’était pas le bon, ses métastases ont proliféré.

Ce sont des grenades dégoupillées que ces femmes ont dans le corps !

Nous avons interpellé le ministre de la Santé Olivier Véran sur la doctrine ‘on annule toutes les chirurgies sauf les urgences’, en lui rappelant que les chirurgies de cancer sont aussi des urgences. Grâce à notre lobbying, l’Etat a revu sa doctrine, mais ce qui est dit n’est pas toujours fait car ce sont les Agences régionales de santé (ARS) qui déprogramment. Si elles décident de fermer tous les blocs de chirurgie, les chirurgiens ne peuvent rien faire. Nous avons tiré les leçons du premier confinement et préparé la seconde vague. On a mis en place cette plateforme.

Et on a vu l’avancée des déprogrammations. Cela a commencé par des femmes porteuses du BRCA. Ce sont des opérations lourdes, on enlève les seins et les ovaires à des femmes de moins de 40 ans. Celles qui vivent dans la région lyonnaise ont toutes vu leur opération annulée. Nous avons interpellé l’Institut National du Cancer (INCA) pour faire passer le message aux ARS que les BRCA ne relèvent pas de la chirurgie esthétique. On sait que des femmes à qui on a retiré un sein, ont vu leur deuxième sein être atteint deux mois plus tard. Le Pr Laurent Lantieri, vent debout, a dit à la radio : ‘Pas de risques ? Une de mes patientes BRCA n’a pas été opérée lors du premier confinement, deux mois après elle avait un cancer, aujourd’hui elle est sous chimio’. Ce sont des grenades dégoupillées que ces femmes ont dans le corps ! »

Comment intervenez-vous ?

« Nos deux Maisons Rose à Bordeaux et à Paris étant fermées, j’ai mis mes équipes sur notre plateforme. On rappelle chaque personne pour essayer de trouver une solution. Comme cette femme porteuse du BRCA : son opération a été annulée à Dijon, elle a accepte de se faire opérer à Clermont-Ferrand. Une dame près de Lille avec un cancer du sein triple-négatif, donc très grave, en rémission, a vu sa mammographie annuelle annulée. Elle était paniquée, l’hôpital lui a dit ‘Trouvez un rendez-vous en ville’, mais ce n’est pas simple quand vous êtes âgée, sans connexion Internet, et que vous n’avez pas les moyens de payer le dépassement d’honoraires.

Une patiente BRCA n’a pas été opérée lors du premier confinement, deux mois après elle avait un cancer.

Autre exemple : un monsieur qui a un cancer de l’estomac devait être opéré à Challes-les-Eaux. La veille, le chirurgien l’a déprogrammé en lui disant : ‘C’est une opération lourde et compliquée, en cas de problème, il faudra vous transférer à Chambéry pour être en salle de réveil sauf que là-bas, toutes les salles de réveil sont réservées pour la Covid. Je ne veux pas prendre de risque.’ Résultat, il aura 3 mois de plus de chimio pour que la tumeur ne grossisse pas trop en attendant de trouver une solution… Une solution que nous cherchons. »

Quelles leçons faut-il tirer de cette période de confinement pour une meilleure prise en charge des malades de cancer ?

« Nous sommes dans une configuration de médecine d’urgence pour quelque chose qui n’en est pas. Lors de catastrophes, des personnes passent au tri. Or, actuellement il n’y a pas de coordinateur. Nous demandons que dans chaque ARS, il y en ait un dont le job serait de suivre les patients déprogrammés. On sait que beaucoup de celles à qui on a dit ‘débrouillez-vous’, ne vont pas se faire suivre. Les autorités déclarent : ‘Il ne faut pas que les malades désertent les cabinets médicaux’, mais la grande majorité d’entre eux ne désertent pas, on les déprogramme. »

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