- Fondé en 2001 par trois copains, Carlo Vieux, Richard Cavé et Mickael Guirand, le groupe Carimi a fait rayonner la musique haïtienne – plus particulièrement le konpa – sur la scène internationale.
- Six ans après leur séparation, le trio se retrouve ce samedi pour un concert hommage à l’occasion de leurs 20 ans et sera le premier groupe haïtien à se produire en solo sur la scène de l’Accor Arena.
- Fiers de leur musique et de leur origine, ils sont ravis d’entendre des sonorités afro-caribéennes dans la musique d’aujourd’hui.
Va dire à ton ex de Dadju, Dégaine d’Aya Nakamura… Mais d’où viennent les sonorités afro-caribéennes dansantes qui parsèment ces morceaux ? Non, ce n’est pas que du zouk, mais aussi du compas (konpa en créole), venu tout droit d’Haïti. Un genre musical qui n’a pas cessé de se renouveler depuis sa création en 1957 avec des groupes comme Carimi. Fondé en 2001 par trois copains, Carlo Vieux, Richard Cavé et Mickael Guirand, Carimi a fait rayonner la musique haïtienne à travers le monde, avec des morceaux parlant aussi bien d’amour que de la situation difficile de leur pays (Ayiti/Bang Bang).
Séparé depuis 2016, le trio se retrouve ce samedi sur la scène d’Accor Arena pour une unique date, à l’occasion de leurs 20 ans de carrière, reportée deux fois en raison de la pandémie de Covid-19. Alors que les sonorités afro-caribéennes (comme le zouk et le konpa) se font entendre dans l’industrie musicale française, ils reviennent pour 20 Minutes sur le poids de leur héritage, leur joie de revenir sur scène et abordent les récents événements violents en Haïti.
Il y a eu beaucoup de rumeurs sur votre grand retour. Comment appréhendez-vous cette réunion, six ans après votre séparation ?
Mickael Guirand : Carimi, c’est le projet de trois amis fait avec beaucoup de cœur. On a fait beaucoup de sacrifices. Nos liens étaient vraiment solides. La séparation, ça a été dur, pour chacun d’entre nous. Avoir l’opportunité de revivre, un tel moment, c’est vraiment extraordinaire. Ça fait revenir tout un tas d’émotion, d’être aussi attendu par les fans, d’avoir leur amour.
Carlo Vieux : Même après la séparation de Carimi, avec Richard on en avait beaucoup discuté. On savait que la réunion allait se faire. C’est juste qu’on a mis beaucoup de temps parce que Richard et Mickael ont leur propre groupe maintenant, donc il fallait qu’ils s’organisent. Les 20 ans de Carimi étaient justement le bon moment. Je pense que ça sera un très grand succès. Les gens sont hyper excités de nous revoir sur scène. Ce samedi, je pense que ce sera un très bon moment qu’on va passer avec les fans, peut-être pour la dernière fois.
Richard Cavé : On va être le premier groupe haïtien à remplir seul Bercy. On l’a fait avec des groupes, mais là il n’y aura que nous. On sera les premiers et c’est extraordinaire.
Comment avez-vous vécu le report de votre show, à deux reprises, à cause du Covid-19 ?
Carlo Vieux : On était déçu, parce qu’on ne voulait pas reporter la date deux fois. Comme Richard et Mickael vivent à New York, moi à Miami et nos musiciens un peu partout, ça n’a pas été facile de réunir tout le monde. Quand les activités ont repris après la pandémie, le nombre de personnes admises à Bercy était vraiment limité, donc on a dû encore reporter parce qu’on voulait vraiment faire salle comble.
Mickael Guirand : Le Covid, c’est chaud. Juste de traverser ce moment, c’était difficile. On a perdu beaucoup de personnes, des personnalités dans le monde de la musique (Jacob Desvarieux de Kassav’, Isnard Douby de System Band…). D’être vivant aujourd’hui, c’est déjà une bénédiction. On a vécu le report avec beaucoup de chagrin. On a dû attendre et on est finalement en position de vraiment préparer le concert. La plupart des musiciens qui sont là sont des musiciens originaux. On a passé un moment intense pour préparer le concert.
Richard Cavé : Oui, ça nous a dérangés de reporter d’un côté, mais ça nous a arrangés d’un autre.
Mickael Guirand : On va essayer de présenter aux gens quelque chose de bien, à la hauteur de leurs attentes.
Carimi est l’un des visages de la musique haïtienne : comment avez-vous porté cette responsabilité ?
Carlo Vieux : Je pense qu’on devait surtout rester humble, que ça ne nous monte pas à la tête. Il y a des artistes qui pensent à un moment donné qu’ils sont plus que Dieu, mais Richard, Mickael et moi sommes des gens simples. On adore le contact avec le public et je pense que c’était aussi ça notre force, que les gens nous ont beaucoup appréciés pour ça. On sait déjà que le travail qu’on fait, ce n’est pas que pour nous, mais aussi pour la culture haïtienne. On avait ça en tête, de promouvoir notre culture. C’était ça notre objectif principal et on l’a fait jusqu’au bout.
Richard Cavé : C’est ça la différence quand on fait les choses par amour. On réalise que ce qu’on a fait, que nos chansons ont eu un impact extraordinaire dans la société haïtienne. Des morceaux que j’ai pu composer ont touché des personnes, leurs relations amoureuses. J’en prends indirectement la responsabilité.
Mickael Guirand : Quand Carimi s’est arrêté, on m’a dit dans plusieurs interviews : « Comment avez-vous osé ? Carimi, c’est un patrimoine national, ça ne vous appartient pas ». Ca veut dire que Carimi était très important pour la communauté, que les priver d’un tel groupe, c’est osé de notre part. Comment faire disparaître un groupe d’une telle envergure qui apporte tant de bonheur ? Aujourd’hui, on essaie de réparer même s’il y aura toujours des gens qui auront un goût amer, il y aura d’autres qui auront une certaine satisfaction.
Face à la crise sécuritaire et l’épidémie de choléra, comment vivez-vous la situation actuelle d’Haïti ?
Carlo Vieux : Je ne vis plus en Haïti depuis 1997. C’est hyper difficile. Maintenant, je ne peux pas retourner vivre dans mon pays, jouer dans mon pays, aller en vacances dans mon pays parce qu’il y a des problèmes de sécurité et de kidnapping. J’aurais aimé que les responsables politiques essaient de trouver une solution aux problèmes, parce que les « gens capables » vont juste partir et laisser le pays avec des « gens incapables ». Je pense que jusqu’à présent notre musique Ayiti, Bang Bang est d’actualité [sortie en 2011, elle décrit la situation sociopolitique du pays en proie à l’insécurité, la misère, l’armement des ghettos ou encore les assassinats], puisque rien à changer depuis sa sortie. C’est une situation difficile et triste pour moi en tant qu’artiste et Haïtien.
Mickael Guirand : On a des fans partout dans le monde et partout où on va, on brandit notre drapeau haïtien. Avoir toujours cette connotation négative ou des problèmes attachés à notre pays, c’est difficile. On a tellement de belles richesses, de belles choses à montrer, une culture extraordinaire… mais il y a cette double facette à gérer. On espère que le pays va traverser ce mauvais moment. Nous, on n’est là que pour un moment. On espère le meilleur pour les générations à venir. Nous, on peut continuer à faire ce qu’on sait faire et à les inspirer.
Richard Cavé : Personnellement, je suis le seul de ma famille à vivre aux Etats-Unis. Ma mère et mon père sont en Haïti. Je leur parle tous les jours dans un groupe tchat sur WhatsApp. Il y a des jours où ma mère me dit « on ne sort pas aujourd’hui, tout est fermé » ou « On a kidnappé quelqu’un ». A un moment donné, tu commences à mettre de l’argent de côté au cas où il y a un kidnapping. C’est super angoissant. Mes parents ne peuvent pas laisser Haïti, ils n’ont pas de nationalité américaine. Et puis, la question n’est pas de faire tout le monde quitter le pays et le laisser dans cet état… Ma première maison est en Haïti. C’est dur.
Naikamusic, Joé Dwèt Filé [compositeur de Va dire à ton ex de Dadju], Oswald, Phyllisia Ross… Il y a une nouvelle génération d’artistes haïtiens qui émergent. La relève est-elle assurée ?
Richard Cavé : Oswald est un ami, j’adore ce qu’il fait. Phyllisia a un charisme extraordinaire. Ils font des choses exceptionnelles. Et puis, c’est un autre concept de ne pas se concentrer sur un band [il y a beaucoup de groupes en Haïti comme Carimi, Tabou Combo, T-Vice, etc.] mais d’être un artiste solo. Ils chantent en live, ils ont du talent et pas besoin de technologie pour le montrer. C’est une belle relève. Je suis fier de les avoir.
Carlo Vieux : Je pense que ces artistes apportent une autre couleur à la musique haïtienne, comme quand on était arrivés en 2001 pour montrer de nouvelles façons de jouer. Je pense que la relève est assurée, je n’ai pas peur et je suis hyper satisfait de ce que j’entends.
Mickael Guirand : Récemment, j’écoutais un titre de Carimi qui disait « yo di konpa an danjé » (« ils disent que le compas est en danger »), mais la relève est là. A une époque, la relève, c’était nous. Aujourd’hui, même si notre carrière n’est pas finie, on a joué notre partition et on continue pousser les limites. J’espère qu’ils iront encore plus loin, qu’ils vont puiser dans nos expériences, dans nos erreurs et pousser plus fort. La musique haïtienne est une musique qui est très riche et encore inexplorée. On connaît tellement d’autres tendances, surtout désormais avec l’émergence de la musique afro. J’espère que nos artistes de demain vont en profiter, avec les avantages qu’ils ont aujourd’hui.
Carimi, est-ce vraiment fini ? Quels sont vos projets d’avenir ?
Carlo Vieux : On voulait juste se concentrer sur ce 15 octobre. Richard et Mickael ont leur propre groupe. Personnellement, j’ai pris un autre chemin qui n’a rien à voir avec la musique [il travaille dans le secteur de la data analytics intelligence] et je suis hyper content de ce que je fais. Je passe beaucoup plus de temps avec ma famille et je ne veux pas revenir en arrière. Avoir avec concerts comme samedi ? Ça, c’est probable, mais pas certain pour autant. On verra bien… Et peut-être même un dernier album…
Richard Cavé : Cette réunion nous a beaucoup appris. On ne se parlait pas assez souvent. On a vécu des choses qu’on n’avait pas vécues depuis six ans et on s’est rendu compte qu’on est bien dans notre peau. Carimi est une institution, elle ne va pas mourir, mais on ne va pas continuer à jouer chaque week-end avant. De mon côté, j’ai eu une année exceptionnelle avec mon groupe Kaï. On a fait à peu près 118 dates et le week-end prochain, je joue dans l’Arkansas (aux Etats-Unis). J’ai été vraiment comblé et je suis béni.
Mickael Guirand : Dire que Carimi, c’est fini, c’est mentir. Dire que ce n’est pas fini, c’est mentir. Je pense que notre histoire est un livre qui continue à s’écrire, et qu’aujourd’hui, on est au chapitre où on essaie de reconnecter, à tous les niveaux. Un Carimi à plein temps, ça n’arrivera pas. Mais s’il y a des opportunités qui se présentent, on les étudiera. Avec mon groupe Vayb, on est en train de finaliser notre album. Depuis le Covid-19, on n’a pas joué sur Paris, donc on va prochainement annoncer une date. Puis, on verra comment les choses vont se passer…
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