Mélissa Theuriau, engagée contre les violences faites aux enfants, produit un documentaire utile pour éveiller les consciences et permettre aux jeunes victimes de maltraitance d’être entendues. Bouche Cousue, diffusé ce 18 novembre sur France 2, nous immisce dans le bureau du juge pour enfant, au tribunal de Bobigny.
Comment expliquer que des enfants soient toujours confiés à leurs parents alors que la médecine scolaire a procédé à des signalements ?
C’est tout le problème, et il y a des avancées qui se font aujourd’hui. Les médecins par exemple, astreints au secret professionnel, ont aujourd’hui l’obligation de procéder à un signalement lorsqu’ils constatent des violences commises sur un mineur. Cela paraît évident, et pourtant ce n’était pas le cas il y a encore quelques mois. Par ailleurs, un père condamné pour violences conjugales aujourd’hui n’a plus son mot à dire pour signer une sortie scolaire ou un départ en colonie… On avance, mais doucement et je pense que l’on peut aller plus loin. Il faut aussi que nous soyons tous concernés. Dans le documentaire Bouche Cousue, on assiste notamment à une séquence qui se déroule chez le juge : un père met en cause la parole de l’infirmière qui avait signalé des bleus et affirme que sa fille a chuté à plusieurs reprises à l’école. Mais le juge lui répond avec fermeté « Je crois l’infirmière scolaire et c’est votre enfant que je crois ». Cela me semble très important.
Qu’est-ce qui vous a le plus marqué lors des auditions entre les enfants et le juge ?
Je suis bouleversée par un moment représentatif de l’humanité de ce juge : lorsqu’il s’adresse à un bébé. Car contrairement à ce qu’un adulte aurait fait, en parlant directement à son référent, à sa famille d’accueil ou à l’éducateur, il s’adresse à cette petite fille, Myriam, qui, certes n’a pas encore la capacité de lui répondre, mais il montre qu’il la considère à part entière comme une enfant, et donc une adulte en devenir, et quelqu’un qui compte. Je trouve ce moment très émouvant et cela résume bien la façon individuelle, intense et particulière que le juge consacre à chaque dossier, chaque enfant a protéger.
Comment les enfants abordent-il cette confrontation avec leurs parents et le juge ?
C’est important pour les enfants de se sentir écoutés dans cet espace à la fois intimidant et difficile à vivre. Ils se retrouvent devant un juge, dans un tribunal, avec leurs propres parents ou la famille d’accueil qui sont soupçonnés de maltraitance et qui sont mis en accusation. C’est un enfer pour ces enfants, et le juge en a tout à fait conscience. Avoir ces mots rigoureux de rappel à la loi à l’encontre des adultes est donc essentiel pour les enfants. Beaucoup de familles se pensent aimantes et dans le bon droit d’éduquer leurs enfants, mais ne savent pas que la violence est interdite. On est parfois aussi sur une violence silencieuse, quotidienne et ordinaire. De son côté, le juge Edouard Durant prend le temps de parler aux adultes, à l’enfant, puis de faire sortir les adultes pour parler seul à l’enfant, et tout le monde devrait procéder ainsi, pour écouter la parole de l’enfant et essayer de faire un choix éclairé.
Dans quel cas le juge prend-il la décision de retirer l’autorité parentale au parent biologique ?
C’est la liberté de chaque juge, d’où les disparités et les années de souffrance que nous rappelle Gautier dans le documentaire. Malgré des signalements et des remontées douloureuses de rencontres avec sa mère biologique lors des visites médiatisées, on continue de se dire qu’il s’agit de sa mère biologique et que l’enfant doit continuer de la voir. D’autant qu’elle peut mettre en danger son fils (notamment en cas de besoin de donner son accord pour une intervention chirurgicale, ndlr). Pour autant, je crois qu’on avance sur ce point et qu‘on est en train d’en finir avec ce sacro-saint lien biologique avec le père ou la mère. Il n’y a plus de lien obligatoire si cela fait du mal à l’enfant et cela doit devenir plus automatique. Mais chaque cas est différent, on évoque aussi dans le film beaucoup d’angoisses des enfants à l’idée d’être séparés de leurs parents. C’est toute la difficulté pour les juges de devoir trancher en si peu de temps. Le secret, c’est d’arriver à les voir régulièrement pour pour vérifier si l’on a ordonné un bon placement pour l’enfant et s’il est positif.
Comment remédier aux ruptures de parcours chez les enfants placés ?
C’est un combat que je mène depuis plusieurs années, et je suis très attachée aux enfants placés. Il y a une commission sur la protection de l’enfance qui dénonce régulièrement ces ruptures de parcours. C’est ce que l’on appelle « ces violences en creux », ce sont ces discontinuités qui existent dans la prise en charge, des ruptures dans les séjours, des déplacements incessants, et un enfant ne peut pas se construire quand il doit se déplacer et changer plusieurs fois de famille d’accueil. Il a parfois à peine le temps de déballer ses affaires, rester quelques mois et repartir dans une autre famille. On ne peut ni grandir, ni se construire, ni prendre confiance en soi avec des ballotements et des discontinuités permanentes. Il faut davantage prévenir et repérer ces ruptures de parcours, et vérifier beaucoup plus régulièrement s’il y a bien un projet pour l’enfant, si la famille est suffisamment bien adaptée à ses besoins, s’il ne manque de rien… Pour cela, il faut des enquêtes plus régulières pour chaque enfant placé. Il y a également une perdition des informations entre les différents services, et il faut que l’on parvienne à les centraliser notamment au niveau judiciaire, médical, psychologique, éducatif et de la protection de l’enfance, avec une meilleure organisation au niveau des départements.
Selon vous, que faudrait-il améliorer pour protéger davantage les enfants ?
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On est tous impliqués dans la protection de l’enfance. Lors du dernier confinement, on s’est rendu compte que les appels à la plateforme de signalement avaient augmenté de plus de 60%, ce qui signifie qu’une vigilance se met en place naturellement par l’entourage de l’enfant et que les mentalités sont en train de bouger. C’est en tout cas un signal encourageant sur la visibilité de cette maltraitance infantile, qui jusque là était un peu banalisée, puisque cela renvoyait à l’intimité du foyer et qu’on n’avait pas à s’en mêler. En revanche, les enfants témoins de violences conjugales ne doivent pas être oubliés : ils sont aussi les premières victimes. Ce ne sont pas forcément des enfants battus, mais ils seront ballotés. Entendre qu’il y a encore des femmes qui déménagent plus de cinq fois en six mois pour échapper à un conjoint violent et qu’on sait qu’elles ont des enfants en bas âge, c’est insupportable. Tant qu’on ne protège pas ces femmes victimes de violences conjugales, on ne protège pas les enfants.
Dans le cadre de la journée internationale des Droits de l’Enfant, France 2 propose une soirée spéciale mercredi 18 novembre à partir de 21.05. Avec en première partie la fiction « La Maladroite » réalisée par Eléonore Faucher, suivi du documentaire inédit « Bouche cousue » réalisé par Karine Dusfour et produit par Mélissa Theuriau. « Bouche cousue » interroge le silence de notre société sur les violences faites aux enfants. L’enfant en danger ne souhaite pas qu’on le remarque et se rend invisible. Parler lui est insupportable car il a peur de ne pas être cru, de ne pas être compris. C’est alors aux adultes de lui poser des questions, d’apprendre à l’écouter et de vouloir l’entendre. Plus que d’une libération de la parole, c’est d’un renforcement de l’écoute dont ont besoin les enfants maltraités pour sortir de l’invisibilisation. |
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