Body Langage : comment décrypter les messages cachés du corps ?

  • Scanner le corps dans son ensemble
  • Verbal versus para verbal
  • Comprendre les messages involontaires du corps
  • Une discipline nourrie des avancées des neurosciences
  • Microdémangeaisons, auto-contacts, changements de posture nous trahissent
  • Contrôler notre langage corporel : la botte secrète des grands communicants
  • L’axe du regard, un casse-tête analytique
  • Une science en pleine évolution à considérer avec prudence et bienveillance

« Ce n’est que superficiellement que nous sommes superficiels », affirmait le cinéaste Max Ophüls au début du XXe siècle. Une vision juste, à en croire l’extraordinaire développement de la synergologie, ou science du langage corporel inconscient.

Année après année, ses découvertes élargissent les horizons du « dis-moi comment tu bouges, je te dirais ce que tu ressens ».

L’observation du « supra verbal », c’est-à-dire la tenue vestimentaire, les bijoux, le maquillage, la coiffure et autres tatouages qui relèvent du décor physique, nous donne déjà des indications, d’après l’expert Emmanuel Fontic. « Le cœur de notre discipline consiste à scanner le corps dans son ensemble. Gestes et positions des tronc, bras, jambes, pieds, mains mais aussi les auto-contacts (micro grattages en tête)… tout est signal potentiel. L’étude du para verbal inclut les déplacements des yeux ou certaines « chimères » : des micro expressions qui passent subrepticement sur le visage trahissent elles aussi une émotion ».

Scanner le corps dans son ensemble

Le synergologue est à l’affût des gestes mi ou non conscients caractéristiques du para verbal. Les intonations de la voix en font partie. « L’idée est de capter ce que nous appelons un ballon qui passe, c’est-à-dire une information inconsciente qui ne colle pas avec l’ensemble de ce qui est perçu« , observe Emmanuel Fontic. Pour cela, de nombreuses connaissances et des trésors d’attention sont nécessaires. Un bon synergologue s’appuie sur une formation de dix-huit mois (les certifiés sont recensés sur le site synergologie.org), mais aussi sur une expérience pratique conséquente.

« Si le langage corporel nous est si difficile d’accès, c’est parce que nous pensons qu’il faut observer pour comprendre, alors qu’il faut comprendre pour observer. Nous ne verrons jamais ce que nous n’avons pas d’abord appris à regarder », affirme le Franco-canadien Philippe Turchet dans la version totalement actualisée de son ouvrage référence, Le grand livre de la synergologie (Editions de l’Homme). Doctorant en sciences du langage, le fondateur de la synergologie y détaille, entre autres, les influences et études qui lui ont permis de modeler la discipline. 

Verbal versus para verbal

En 1967, Albert Mehrabian, psychologue et professeur, évalue à partir d’une expérience que, au cours d’une conversation, 55% de la communication serait visuelle (langage corporel), 38% serait vocale (intonation et son de la voix) ; seulement 7% de la communication verbale serait donc verbale ! Philippe Turchet relativise toutefois ces chiffres : parfois, le sens des mots suffit amplement à l’information (par exemple, quand on indique sa route à une personne qui cherche son chemin).

D’autres fois, il est totalement éclipsé par le non verbal. Imaginez-vous en réunion, face à une dirigeante qui lèverait les yeux au ciel pendant la présentation d’une de vos collègues !

Du côté des linguistes (Zuckerman, 1978), on pense au contraire que les indices verbaux (altération du ton, hésitations, retards…) sont plus importants que les indices corporels. Les modes et les thèses se suivent, se confrontent pour donner de nouvelles pistes de recherches.

Comme toute la sphère liée au cognitif et à la psychologie, les théories ne manquent pas et sont parfois récupérées par le grand public, ce qui crée des raccourcis largement partagés via les réseaux sociaux : les gens qui croisent les bras sont fermés ; ceux qui bougent sur une chaise, mal à l’aise ; les femmes qui passent leur main dans leurs cheveux sont dans la séduction ; une poignée de main qui vient du haut traduit une attitude dominante, et caetera.

Comprendre les messages involontaires du corps

Loin de ces amalgames, la synergologie s’est imposée comme une science à part entière.

Elle tire ses origines des recherches en psychologie et communication au XXe siècle. Sans s’en réclamer ouvertement, elle se nourrit notamment des célèbres observations de la Nouvelle école de la Communication (l’école de Palo-Alto : de Bateson aux théories systémiques) et leurs principales applications : le code des distances -ou proxémie- de Hall, le code des gestes et le code des contacts – ou haptonomie. 

Des milliers d’expériences scientifiques faites depuis trente ans permettent de comprendre les messages involontaires du corps (le fameux code perdu), mais aussi de les nuancer. Décodage des expressions du visage, reconnaissance des émotions, psychologie des regards, des larmes, du rire et des sourires, indices para-verbaux (hésitation, retards, altérations…), gesticulation, poignées de main… le champ d’étude est sans limite.

Une discipline nourrie des avancées des neurosciences

« La synergologie a fait un bond en avant grâce aux travaux du professeur de neurosciences, de psychologie et de philosophie Antonio Damasio. Le directeur du Brain and Creativity Institute (Los Angeles) a réussi à corréler le fonctionnement du corps et du cerveau via des cartographies IRM« , note Emmanuel Fontic.

Le recoupement et la confirmation de données issues de la neurobiologie et de la neuropsychologie fait considérablement évoluer la discipline. Forte de ces nouvelles clés d’observation rigoureuse, la synergologie profite aussi du développement des technologies du numérique. Les vidéos des mêmes gestes effectués par différentes personnes sont décortiquées et comparées.

« Grâce à la pixelisation du monde, les défricheurs numériques ont planté des arborescences informatiques qui nous donne les moyens de cultiver des champs entiers de gestes et de récolter leur signification », explique Philippe Turchet. Ces milliers d’heures de visionnage ont permis de réaliser notamment un « Tableau d’éléments corporels » – T.E.C.

Ce document précieux répertorie quelques 1200 signes gestuels remarquables. Ces points corroborés par des milliers d’analyses vidéo croisées avec les neurosciences dessinent une sorte d’esperanto du langage inconscient des peuples. 

Microdémangeaisons, auto-contacts, changements de posture nous trahissent

Parmi les apports majeurs de la synergologie au champ non verbal : l’observation des micro-démangeaisons, jamais isolées et décrites auparavant. Ces micro-mouvements surviennent quand il y a contradiction entre des non-dits ressentis et les informations dites.

Autre domaine largement exploré par la jeune science : le mensonge. Bien des études ont tenté de décoder les signes de ce qui serait dit avec la bouche mais contredit par le reste du corps. Dans son ouvrage Le langage du corps et la communication corporelle (PUF, 1992), le philosophe et psychologue Marc-Alain Descamps rappelle que selon la psychologie naïve, le menteur se trahit par ses bredouillements, l’altération de sa voix, l’impossibilité de regarder droit dans les yeux et l’augmentation des mouvements compensatoires. Une thèse que l’enquête de Hocking et Leathers (1980) sur des candidats officiers de police ne confirme pas.

En revanche, Ekman et Friesen (1974) avaient corrélé le mensonge avec une diminution du nombre des gestes illustratifs et une augmentation des auto-manipulations du visage ou des changements de posture.

Contrôler notre langage corporel : la botte secrète des grands communicants

Peut-on masquer notre langage corporel ? « Oui et non. Tous ceux qui ont appris à gérer leur expression non ou mi consciente (c’est le cas des hommes politiques et des grands communicants) peuvent gommer une grande partie de body language », estime Emmanuel Fontic.

« Ce contrôle peut toutefois être détecté car le corps perd de la mobilité ». Selon le synergologue et formateur, cette chape volontaire a ses limites puisqu’elle demande à l’individu une très forte charge cognitive : l’inconscient peut déborder à certains moments, trahir le fond des émotions ou des intentions à travers des gestes parasites, surtout quand l’individu doit simuler sur des temps longs. C’est le fameux grattage de nez du président américain Bill Clinton pendant le scandale Monica Lewinsky. Difficile toutefois, de donner des signes ou attitudes qui ne trompent pas, estime Emmanuel Fontic.

Bien sûr, il existe de nombreux mouvements significatifs, répertoriés dans le fameux T.E.C. Se pincer le nez peut ainsi révéler un problème qui survient dans le schéma de pensée de l’individu. Quand le doigt caresse le dessous de la base du nez, avec un mouvement circulaire, vers l’extérieur, on est probablement face un geste de rejet. Une personne qui se gratte le coin de l’œil, avec l’intention d’ouvrir un peu, a certainement envie d’en savoir un peu plus, d’avoir des informations supplémentaires sur le sujet abordé. »Se caresser le dessus du nez ou l’oreille va dans le même sens », affirme le professionnel. Ce dernier propose d’expérimenter sur nous tous ces gestes types et d’observer ce que nous ressentons pour bien les comprendre.

L’axe du regard, un casse-tête analytique

Quid des yeux ? Théoriquement, quand on regarde vers la gauche, on cherche des informations dans le passé ; vers la droite, on se projette dans le futur ; vers le haut, on fait appel à la cognition, à ce que l’on a appris ; vers le bas, on plonge dans la sphère de l’émotion.

« Tout cela doit toutefois être pris avec précaution », prévient Emmanuel Fontic. « Si la personne observée fait face à un mur avec une fenêtre à droite, son regard pourra être attiré vers la lumière du jour ou le paysage ». Si elle a grandi dans une culture où la langue se lit de droite à gauche (arabe, chinois, japonais..) l’analyse sera également biaisée.

En bref : l’interprétation doit toujours tenir compte du contexte et de la globalité du corps : parfois, l’individu se trouve dans un lieu très passant, riche en mouvements susceptibles de capter son attention, le distraire. « Nous tenons aussi compte des espaces mentaux : la personne n’est pas toujours à 100% présent » indique l’expert. Elle est peut-être inquiète car elle s’est mal garée. Si son enfant est à l’hôpital et qu’elle a oublié de préciser une information importante au médecin, elle ne regarde pas sa montre par ennui ! Avoir les bras croisés peut traduire une posture de fermeture ou de défense, mais pas forcément. « Peut-être suis-je en train de digérer ce qui vient d’être dit. Ou que je laisse de la place à l’autre » élargit-il. L’ensemble du corps doit être pris en compte pour éviter toute sur interprétation.

Une science en pleine évolution à considérer avec prudence et bienveillance

D’après le pro, il faut donc être vigilant mais surtout très humble, rester dans le questionnement et la bienveillance, comme l’évoque le code de déontologie de la profession.

Et d’évoquer les trois tamis de Socrate : ce que je dis est-il vrai, bon et utile pour la personne ?

Il faut aussi garder à l’esprit que la discipline continue d’évoluer. « On croit que le cerveau décide de tout mais c’est bien plus complexe. Le cerveau cartographie en permanence ce qui se passe dans le corps. C’est le phénomène de l’embodyment ; l’information remonte du corps vers le cerveau, notamment en ce concerne les relations interpersonnelles », évoque le spécialiste. « Plus que la quête des mensonges et des non-dits, nous cherchons l’authenticité de la personne ».








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