Birmanie : à la poursuite des gardiennes de rubis

Au fond de la jungle birmane, sur les flancs déchiquetés de la montagne où Joseph Kessel est venu chercher l’inspiration de “La vallée des rubis” en 1955, elles veillent sur les pierres précieuses. Nos reporters sont allés à leur rencontre, dans cet endroit réputé inaccessible.

Il est sept heures du matin quand Ma Yy Chit Kyi arrive à la mine, au bout d’un petit chemin de terre, qui grimpe comme un serpent dans la jungle. Là-haut, elle tutoie les cimes et domine la vallée, balayée par la douce lumière de l’aube. Un petit autel dédié à Bouddha, chargé d’offrandes, trône dans ce théâtre grandiose. « Je commence toujours par prier. Sans cela, je n’aurais aucune chance de trouver les plus belles pierres. » Et d’ajouter, habitée par cette croyance impérissable : « En plus, comme je suis une femme, les rubis se montrent moins souvent à moi. »

À 38 ans, Ma Yy Chit Kyi est une des seules femmes propriétaires d’une mine de rubis, elles sont deux ou trois tout au plus. Comme l’était sa mère, comme l’était sa grand-mère. Sa fortune est connue de tous et lui vaut le respect des hommes. Il y a deux ans, elle a acheté ce terrain et y a creusé un sillon à grands coups de dynamite. Une turbine tourne depuis en permanence pour renvoyer l’eau vers la vallée.

En contrebas, trois mineurs funambules trient les pierres précieuses à flanc de la montagne nourricière. « L’année dernière, nous avons trouvé un gros rubis, que j’ai vendu plusieurs milliers de dollars. » L’assurance d’un mois faste. Le rêve que caressent tous ses voisins. Chaque semaine, elle sort des dizaines de pierres de la mine, de plus ou moins bonne qualité. Ainsi vit la vallée des rubis, dans un temps suspendu aux oscillations des lapidaires.

Interdites d’entrée dans les mines

Depuis au moins huit cents ans, secrète et inaccessible, la vallée nourrit les nuits des hommes. Ses pierres ont paré les rois birmans, enrichi les colons anglais et font aujourd’hui saliver les grandes fortunes chinoises.

Cent vingt mille personnes habitent là, les pieds posés sur les trois-quarts des rubis de la planète et des milliers d’autres pierres précieuses, sur ce terrain de 16 km2 dont le gouvernement birman réglemente jalousement l’accès.

Ici, les femmes tiennent le commerce. Dans ce pays où les inégalités de genre sont bien plus faibles que chez ses voisins, elles représentent les trois quarts des travailleurs à Mogok et dans les montagnes. Vendeuses, propriétaires ou ramasseuses, ce sont elles avant tout qui sont la vallée des rubis. Malgré ce paradoxe : les femmes sont interdites d’entrée dans les mines car des croyances les considèrent porteuses de malchance.

Mogok, la ville-cœur de la vallée, se scinde en deux. À l’ouest se trouvent la plupart des mines, à l’est le commerce et la vie sociale. Sur les rives du lac – l’ancienne mine principale des Anglais qui s’est remplie d’eau une fois son sous-sol dépouillé et qui, dit-on, est veillé par les esprits des mineurs morts – se tient le marché de Mani mingalar.





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