"Avec la GPA, vous ne vivez pas la grossesse dans votre corps mais dans votre psychisme"

Un couple sur six consulte pour des problèmes de procréation. Quelle que soit la solution envisagée, adoption, FIV, dons de gamètes, ou même le recours à la GPA, illégale en France, le parcours reste difficile et l’infertilité taboue. Entretien avec Déborah Schouhmann-Antonio, experte en fertilité.

Déborah Schouhmann-Antonio* est thérapeute, consultante en périnatalité, experte en fertilité à l’Unité d’Assistance Médicale à la Procréation (AMP) à l’hôpital américain de Paris. Créatrice de la Journée de l’infertilité en France, elle a connu les affres d’un parcours de PMA avant de se consacrer à l’accompagnement de couples infertiles. Être infertile reste tabou alors qu’en France un couple sur six a déjà consulté pour des difficultés à procréer.

En 2015, 3,1% des enfants sont nés grâce à la procréation médicalement assistée (PMA) soit une naissance sur 32 environ. Dans le secret de son cabinet, cette thérapeute écoute, questionne mais ne juge pas ces femmes seules et ces couples dont le désir d’enfant tourne à l’obsession. Alors que la PMA pour toutes et la reconnaissance de la filiation à l’état civil des enfants nés d’une GPA à l’étranger font débat, Déborah Schouhmann-Antonio ne cache pas qu’elle défend l’idée de la GPA éthique, seul recours pour les femmes privées d’utérus. Entretien.

Marie Claire : Avoir recours à la GPA est illégal en France. Les patients qui vous consultent osent-il l’évoquer ?

Déborah Schouhmann-Antonio : Au centre de PMA au sein de l’hôpital américain, j’accompagne des patients en situation d’infertilité qui veulent avoir recours à une PMA classique avec don d’ovocytes et don de sperme, ou à l’adoption mais aussi ce qui est plus rare, à la GPA. Ils ne le disent pas franchement, ou si c’est déjà fait, pas tout de suite, ils me testent pour savoir qui ils ont en face d’eux.

En tant que thérapeute, je suis là pour les accueillir, les écouter, pas pour les juger. Mais pour les questionner : « Est-ce une bonne idée? ». Je n’ai de problème avec aucune technique, le problème, c’est pas la technique, c’est l’être humain. Si la FIV est entrée dans les mœurs, les dons d’ovocytes et encore plus la GPA suscitent des questions et il est sain de se les poser avant l’arrivée du bébé, »Comment vais-je vivre avec cela ? Et avec mon enfant ensuite ? ».

Je rappelle que ce n’est pas pour faire plaisir à son compagnon, ou un choix par défaut. Que ce soit un don d’ovocytes ou une GPA, je dis aux femmes, « La maternité, c’est une partie génétique, on donne nos gènes, c’est pas le plus compliqué, mais le vrai boulot, ce sera d’être un vrai parent toute sa vie. »

La maternité c’est une partie génétique, le vrai boulot ce sera d’être parent toute sa vie

Pour vous le recours à la GPA ne soulève pas de problème d’éthique ?

Non mais je parle pour moi. Je travaille avec beaucoup de médecins qui trouvent la GPA absolument dingue. Ils m’interrogent : « Comment peux-tu dire que ça ne te pose aucun problème alors qu’en même temps, tu dis que le don d’ovocytes, c’est magnifique car la femme pourra porter l’enfant donc créer une relation avec lui ? ». Ils ont raison mais il existe aussi plusieurs types de GPA.

Je ne parle pas de celle dite de confort, rarissime en France mais de celle que font les femmes qui n’ont pas d’utérus ou qui sont des femmes Distilbène. Elles n’ont pas le choix, elles. On leur dit « vous n’avez qu’à adopter », mais l’adoption, démarche magnifique, ne convient pas à tout le monde, c’est un parcours difficile sans garantie de succès. Ces femmes pour qui la nature n’a pas fini son travail, nées sans utérus à cause d’un problème génétique, sont des victimes… Et si elles n’ont pas envie d’adopter ?

Avons-nous du recul sur les enfants nés par GPA ?

Des études ont été faites et on ne note pas de problème particulier si ce n’est quand la structure familiale, quelle qu’elle soit, dysfonctionne. Cela confirme notre intuition. Il faut que la famille aille bien pour que l’enfant aille bien. Nous sommes garants de la santé mentale de nos enfants. 

Quels conseils donnez-vous aux patients qui vous demandent vers quels pays se tourner pour une GPA ?

Honnêtement, quand on me dit, « je ne sais pas trop où aller », je réponds « allez dans un endroit où les choses sont faites correctement pour vous mais aussi pour la mère porteuse ». Je le vois avec les dons d’ovocytes, c’est la course vers le moins onéreux. Il faut respecter celle qui fait un don de sa personne, celle qui vous offre neuf mois de sa vie et la possibilité d’être parent. J’ai de nombreux patients de confession juive, beaucoup d’entre eux vont en Israël où la GPA est légale depuis 10 ans. 500 enfants y sont nés par GPA. Le principe même de la religion juive est de donner la vie. Il y a un comité d’éthique qui prend en compte les deux parties, c’est très sain. Pour y avoir recours, il faut être juif et avoir vécu au moins 6 mois dans le pays. 

Il faut respecter celle qui fait un don de sa personne, celle qui vous offre neuf mois de sa vie et la possibilité d’être parent

Comment vit-on la grossesse quand c’est une autre femme qui porte votre enfant ?

La grossesse est virtuelle pour les hommes, ils en sont éloignés même s’ils suivent des cours d’haptonomie. Ils sont pourtant capables de s’approprier leur enfant dès qu’il nait. Et bien, c’est la même chose pour une GPA, c’est une « grossesse par procuration ». Et quand les choses sont bien faites comme aux États-Unis et en Israël, vous êtes en contact avec la mère porteuse, vous vivez la grossesse avec elle, pas dans votre corps mais dans votre psychisme. Il faut dépasser la génétique, et imaginer la transmission d’une autre manière comme cela se fait pour l’adoption. Quand c’est un don de gamètes, on mène aussi tout ce travail de transmission en dehors de la génétique.

Que nos enfants nous ressemblent ou pas, ce sont les nôtres. Une dame seule, qui avait reçu un double don en Espagne, est venue me voir en me confiant : « J’ai un petit garçon de 3 ans en maternelle. J’aime infiniment mon fils mais quand l’infirmière scolaire m’a demandé les antécédents médicaux de notre famille, je lui ai répondu « je ne sais pas, ce n’est pas mon enfant ». Mon fils a réagi, « mais maman, j’ai vu des photos de toi enceinte, je suis ton bébé ! ». J’ai réalisé que je n’avais pas du tout digéré ce que j’avais fait. Je gardais une distance avec lui, pensant « un jour il va comprendre et il ne m’aimera plus » ». Je lui ai conseillé d’expliquer à son fils comment il avait été conçu, et elle a compris qu’elle avait besoin d’être aidée. Il faut travailler sur soi avant une PMA ou une GPA mais par la force des choses, les personnes infertiles se posent beaucoup de questions…

On ne se lève pas un matin en disant « Je crois que je vais faire une GPA »

Que pensez-vous du débat actuel sur la GPA ?

J’ai été auditionnée sur la PMA pour toutes, ce n’est pas un problème pour moi, c’est même une régulation pour les femmes seules qui y ont recours depuis longtemps. Pour la GPA, je peux concevoir qu’on ne soit pas prêt aujourd’hui. Il faut déjà passer l’étape de la PMA pour toutes qui est une vraie avancée. La GPA sera légalisée un jour, même le Portugal, pays religieux, l’a autorisée mais uniquement pour des femmes qui ont des problèmes médicaux, pas pour les gays…

Et puis il faut reconnaitre les enfants conçus par GPA, refuser de le faire est une aberration mentale. Aujourd’hui, des mères doivent adopter leur propre enfant même quand ils ont été conçus avec leurs propres ovocytes. Ne complexifions pas la vie de ces enfants et de leurs parents quand on sait le chemin qu’ils ont dû parcourir. On ne se lève pas un matin en disant « Je crois que je vais faire une GPA ». C’est une régulation pour ces familles, pas une reconnaissance de la GPA.

Ma fille, 6 ans, m’a expliqué que la GPA, « c’est comme faire un gâteau au chocolat, tu as tous les ingrédients, mais le four est en panne. Tu vas voir la voisine, elle te prête le four mais sait que le gâteau n’est pas à elle… » C’est tellement simple. Les enfants n’ont pas de filtre, ne sont pas dans le politiquement correct. Les journalistes, avec la « PMA pour toutes », se focalisent sur les couples homosexuels mais il faut parler de ces femmes sans utérus, pour elles, c’est une avancée technique qui a tout son sens. Elles se sentent oubliées du débat et en souffrent.

*Auteure de « Infertilité, mon guide vers l’espoir« . Ed.Jouvence

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