- Reprogrammer sa psyché avant de panser sa sexualité
- Le tabou de la sexualité démultiplié
- "Mon corps s’est fermé"
- D’abord réapprendre, seule, à s’aimer de nouveau
- Redéfinir le plaisir à deux
Violée par un cousin, agressée par un ami et collègue de travail, abusée par un petit-ami : Marine, Justine et Clara* ont été victimes de violences sexuelles.
À 26, 32 et 24 ans, elles sont en phase de reconstruction. Mais au-delà de la thérapie et de la parole libérée dont elles témoignent toutes trois, elles doivent aussi réapprivoiser leur intime, la partie d’elle qui a été “salie”, qualifie Justine.
Car, alors qu’elles avaient parfois besoin de faire taire « la douleur et le dégoût par le plaisir nouveau », seules ou avec un partenaire, elles ont dû se confronter à une barrière psychique et physique.
“Ma vie sexuelle a débuté contre mon gré. Tout ce qui est relatif à la sexualité est négatif dans ma tête. Aujourd’hui, je ne crois pas à l’épanouissement sexuel et amoureux”, confie sans détour Marine.
Comment (ré)apprivoiser une sexualité volée ? Amélie Séguin, psychologue et sexologue spécialisée en psycho-traumatologie, nous guide.
Reprogrammer sa psyché avant de panser sa sexualité
Ces histoires diffèrent mais se ressemblent dans les conséquences sur les corps et psychés de Marine, Justine et Clara.
“On va travailler au cas par cas, en fonction du moment et de la situation, on ne va pas aider de la même manière tout le monde. Ce qui me paraît presque universel, c’est qu’il faut faire un travail de psycho-trauma. Faire un exercice autour du souvenir (flash, peur d’en parler, situations que l’on fuit), avant même de travailler sur la sexualité”, commence Amélie Séguin.
“J’ai longtemps refusé de réaliser, parce que je savais que ce qu’il s’était passé allait me faire du mal toute ma vie”, poursuit Marine 26 ans. Pendant plus de quatre ans, elle explique avoir été abusée sexuellement par son cousin, de huit ans son aîné. Quand les viols commencent, elle en a 6.
« Dans les cas d’inceste, il faut d’abord travailler l’enfant intérieur qui s’est retrouvé dans une situation qu’il n’aurait jamais dû connaître et qui est alerte, encore aujourd’hui. Le travail thérapeutique est long, mais il doit faire comprendre qu’il n’y a rien de sale ou de dangereux dans la sexualité », conseille la psychologue.
Car, vingt ans plus tard, Marine raconte être toujours profondément marquée. “C’est un mélange de peurs et de dégoût qui inhibe toute envie. Pourtant, j’aimerais pouvoir me reposer sur un compagnon, peut-être que ça changerait beaucoup de choses”, confie-t-elle.
Le tabou de la sexualité démultiplié
“J’ai toujours été très à l’aise avec mon corps et mon rapport au sexe”, débute Justine, 32 ans. Jusqu’au soir, où, lors d’une soirée d’entreprise, Justine est agressée par un “collègue et ami”.
“Il m’avait toujours fait comprendre qu’il était intéressé. Là, il a commencé par faire des blagues graveleuses, puis les choses ont dégénérées. Il m’a coincée aux toilettes et m’a embrassée de force, a passé ses mains sous ma chemise pour malaxer mes seins, puis il a essayé de défaire mon pantalon, alors qu’il se frottait à ma cuisse”, détaille la trentenaire.
J’avais beaucoup de mal avec les endroits de mon corps qui avait été touchés.
Elle parvient à le repousser et quitte la soirée sans pouvoir en parler à personne. « J’avais honte« , avoue-t-elle. D’autant qu’elle travaille toujours a quelques bureaux de lui, mais « de peur que ça commence à jaser », elle ne peut que l’ignorer. Pourtant, dans le même temps, un ouragan balaye sa vie. “J’avais beaucoup de mal avec les endroits de mon corps qui avait été touchés”, explicite-t-elle.
“Très souvent, on dit que la sexualité, ça ne regarde pas les autres, il y a déjà un tabou. Et un deuxième vient s’ajouter avec l’agression ou le viol. Les non-dits s’empilent et la honte ne peut être dissipée”, acquiesce Amélie Séguin.
Un silence qui se fige d’autant plus lorsque l’on ne parvient pas à mettre les mots sur le crime qu’on a subi.
« Mon corps s’est fermé »
Clara a aujourd’hui 24 ans. Quand elle avait 19 ans, cela faisait trois ans qu’elle était en couple avec son premier amour. “On s’est rencontré au lycée, c’est avec lui que j’ai fait ma première fois”, explicite la jeune femme.
Sur les trois années de relation, c’est les montagnes russes : ils se séparent, puis se rabibochent. Plus le temps passe et plus Clara se rend compte de l’emprise que le jeune homme a sur elle. Après une énième rupture, elle accepte de le voir pour s’expliquer. Là, il la force à avoir des rapports sexuels.
“J’étais comme sortie de mon corps à ce moment-là, mais je n’ai pas réalisé tout de suite qu’il n’avait pas le droit de faire ça. On était en couple, mais je n’en avais pas envie”, continue-t-elle.
Tout comme Justine, Clara explique avoir culpabilisé. C’est seulement après une discussion avec sa mère, quelques mois plus tard, qu’elle comprend qu’elle a été violée. “C’était choquant, mais j’étais aussi soulagée de pouvoir enfin comprendre”.
Mais, alors qu’elle est « heureuse en couple », elle n’arrive plus à avoir de rapports. “Du jour au lendemain, c’est comme si mon corps s’était fermé. Même sous la douche, j’avais du mal à me savonner, ou à me regarder dans le miroir”.
« Au delà de mettre des mots sur ce qu’on a subi, admettre qu’on est responsable de rien est primordial. Sans ça, on ne pourra pas se reconnecter à sa sexualité parce que la différence entre agression et relation sexuelle n’est parfois pas intégrée », explicite Amélie Séguin.
D’abord réapprendre, seule, à s’aimer de nouveau
Pour Justine, c’est un accompagnement psy qui lui a permis de se « réconcilier » avec son corps, qu’elle jugeait comme « un objet » qui ne lui appartenait plus. Et notre experte le confirme, apprendre à s’aimer à nouveau passe surtout par la psyché.
« Ma psychologue est aussi spécialisée en sexologie. C’était la seule personne avec qui je pouvais parler de mes blocages librement, alors, quand elle a commencé à aborder des mots encore tabous comme les caresses solitaires et la masturbation, j’ai bien réagi », confie-t-elle.
J’avais comme des flashs de gestes ou de mots qui me faisaient replonger dans l’agression.
« C’est d’abord parler de son corps. Puis, on va s’exposer à soi, se regarder, se toucher et progressivement avancer dans la vie sexuelle, chacun.e a son rythme. De manière générale, connaître son corps, c’est primordial pour avoir une vie sexuelle épanouie et être à l’aise avec les mots et les gestes. C’est d’abord un travail solitaire, même s’il y a un partenaire dans la boucle”, complète Amélie Séguin.
Mais quand celui de Justine y entre, les choses se corsent. « Toute seule ça allait, mais avec mon compagnon de l’époque il a fallu du temps, parce que j’avais comme des flashs de gestes ou de mots qui me faisaient replonger dans l’agression », se remémore-t-elle.
Redéfinir le plaisir à deux
Alors qu’elle comprend qu’elle a été la victime d’un viol, Clara « coupe les ponts » avec sa sexualité. Un changement que son petit-ami ne comprend pas.
« Je ne voulais pas lui dire, de peur qu’il me trouve sale, je n’avais pas encore totalement intégrée que je n’avais rien à me reprocher dans l’histoire ». Epaulée par sa mère, la jeune femme décide de consulter. Et si les mots sont salvateurs au fil du temps, elle arrive, petit à petit, à s’ouvrir à son compagnon.
« Le partenaire au courant ne doit pas s’offusquer et le prendre pour lui. Cette réaction n’est pas en lien avec lui mais avec les souvenirs de sa partenaire. Il peut exprimer qu’il ne comprend pas. Mais ça peut être bien qu’il comprenne ce qu’est l’état de stress post-traumatique », indique Amélie Séguin.
Pour ça, le dialogue, ou la consultation à deux peut aider. « Je demande au compagnon de venir pour lui expliquer les choses, en plus de lui donner des conseils, comme être dans l’empathie. Et je leur demande de communiquer et d’être patient, on a besoin qu’ils fonctionnent ensemble, pour le bien de la patiente », poursuit-elle.
Oui, c’est un travail d’abord individuel, mais il est important que le partenaire s’investissent.
Et au-delà de la communication, le fait d’avoir un « pilier » a aussi aidé Clara. « On faisait certains exercices ensemble et surtout, on mettait cartes sur tables nos limites et nos envies. Cela nous a forcé à nous mettre à nu et le voir aussi vulnérable que moi nous a remis sur le même pied d’égalité« .
« Oui, c’est un travail d’abord individuel, mais il est important que le partenaire s’investisse. Notamment parce qu’on va mettre en place des exercices ou alors des périodes où il va falloir ralentir la fréquence des rapports sexuels. Il faut que celui qui accompagne puisse comprendre ce qu’il se passe », ajoute la psychologue.
De son côté, Marine nous confie entamer une nouvelle thérapie, pour « se délester de ses derniers démons », qui gangrènent son intimité, alors qu’elle “pense être passée outre sur les autres plans”. “Ce que j’aimerais, c’est connaître ce que c’est de faire l’amour, pour de vrai. Déjà, rien qu’avec moi-même, pour enfin me sentir maîtresse de mon corps dans son entièreté”, souffle-t-elle.
- Pourquoi il serait bon de démocratiser la discussion post-sexe
- Violences sexuelles et cancel culture : qui annule réellement qui ?
*Tous les prénoms ont été changés
Source: Lire L’Article Complet