- Amélie Nothomb a déjà figuré dans deux sélections du Goncourt, en 1999 pour « Stupeur et tremblements », et en 2007 pour « Ni d’Ève ni d’Adam », sans jamais l’obtenir.
- Dans « Soif », l’auteure se met dans la peau de Jésus juste avant sa crucifixion.
- Le 28e roman d’Amélie Nothomb figure parmi les meilleures ventes de livres depuis sa sortie en librairie, à la fin du mois d’août.
Deux fois sélectionnée, jamais récompensée. Après Stupeur et tremblements en 1999 et Ni d’Ève ni d’Adam en 2007,
Amélie Nothomb pourrait enfin décrocher le Goncourt, le plus convoité des prix littéraires, avec Soif (Albin Michel), qui raconte la Passion du Christ du point de vue de Jésus auquel l’auteure a confié le rôle du narrateur.
L’anagramme parfaite de « Soif » n’est pas la « foi », le thème du livre, mais les « fois », comme toutes celles où Amélie Nothomb a rêvé de remporter le prix Goncourt, cette récompense qui élèverait enfin cette romancière populaire et singulière au rang d’auteure respectée. Sans être dans la tête d’Amélie Nothomb, ni sous son beau chapeau, on est sûr qu’elle y croit. Et 20 Minutes aussi, pour au moins six raisons.
1- « Soif » est le roman de sa vie
Jésus a toujours obsédé Amélie Nothomb, dans sa vie depuis son enfance, comme dans son œuvre. Le site ActuaLitté rappelle quelques citations dans ses récits les plus autobiographiques : « Figure d’identification, avec qui elle se sent « une connivence profonde […], car [elle] étai [t] sûre de comprendre la révolte qui l’animait » (Métaphysique des tubes, 2000), Jésus est aussi un modèle : « Récapitulons : petite je voulais devenir Dieu. Très vite, je compris que c’était trop demander et je mis un peu d’eau bénite dans mon vin de messe : je serais Jésus. » (Stupeur et tremblements, 1999). »
Il était donc logique, voire inévitable, que la romancière de 53 ans finisse par lui consacrer un livre. « C’est le roman de ma vie », lance-t-elle lors de la présentation de rentrée littéraire des éditions Albin Michel. En tout cas son roman le plus dense, le plus complexe et le plus abouti. « Cela fait 50 ans que j’avais envie d’écrire cette histoire », rappelle Amélie Nothomb dans
toutes les interviews données depuis la rentrée. Quand elle était enfant, « Jésus était mon grand copain, mon meilleur ami, mon ami imaginaire ». Puis adolescente : « Quand j’ai compris que la souffrance, c’était pour moi aussi, alors oui, j’ai éprouvé le besoin de parler de Jésus ».
2-Amélie Nothomb prend des libertés mais n’invente rien
Aucun spoiler à craindre : on sait d’avance que Soif s’achèvera par la mort de son héros… « L’avantage de cette certitude, c’est que je peux accorder mon attention à ce qui le mérite : les détails », annonce d’emblée Jésus au début du roman. Et c’est par le biais des anecdotes que Soif échappe à la simple redite d’une histoire archiconnue. Pour Amélie Nothomb, Jésus est d’abord un être de chair et de sang. Le désir qu’il éprouve pour Marie-Madeleine, la boue qui le fait vaciller quand il doit traîner sa croix, la soif qui lui donne l’impression d’être vivant et le sursis de quelques heures que lui offre l’auteure, entre sa condamnation et son exécution, pour achever son récit… « La nuit d’où j’écris n’existe pas, dit Jésus déns le livre. Les Évangiles sont formels ». Ces libertés apportent au récit une dimension concrète et au personnage une incarnation bienvenue : Jésus est capable de vivre, de souffrir et d’aimer au contraire de son père, qui l’a fait à son image, mais avec de l’amour une idée spirituelle, certes absolue, mais abstraite.
3-Un sujet d’actualité traité sans tabou
Amélie Nothomb évoque, avec une grande tendresse, l’éducation de Jésus, ses valeurs, sa sexualité… Elle franchit ainsi une forme de tabou tacite, et pointe des préoccupations d’actualité. « Je n’ai pas écrit ce livre dans le but de scandaliser qui que ce soit, confie-t-elle à la RTBF, la télévision belge. J’ai écrit ce livre pour ne plus me déchirer intérieurement avec cette question du sacrifice du Christ présenté comme nécessaire. C’est une question qui, à mon avis, rend malade une grande partie de notre civilisation. Nous vivons encore dans une civilisation du sacrifice et du martyre, nous le voyons tous les jours, et pas seulement chez les chrétiens. Comment peut-on nous présenter la notion du martyre comme une valeur ? C’est une question terriblement grave et j’ai essayé d’y répondre en posant la question à la première personne, en mettant Jésus sur la croix. Soyons tout à fait clairs : je ne suis pas folle au point de me prendre pour Jésus. Ce que j’ai vraiment voulu, c’est l’accompagner aussi près que possible, quand il est sur la croix. »
4-Amélie Nothomb signe un vrai et beau roman
Concentrée en 160 pages plus denses qu’à l’accoutumée, la matière de cet Evangile selon Sainte-Amélie Nothomb n’est pas à prendre à la légère. « La lecture, fait dire la romancière à Jésus, est une attention calme, patiente, un déchiffrement réfléchi » : une définition qui sied à ce roman qui traite moins du sacrifice que du don de soi. Cette fois, le champagne, si cher à Amélie Nothomb, a cédé la place à l’eau claire, bien plus à même d’étancher la soif évoquée en titre. Le fait qu’elle donne de Jésus Christ l’image d’un homme plus humain que divin, après tout pourquoi pas : Charles Péguy n’avait pas agi autrement dans Le Mystère de la charité de Jeanne d’Arc, ni Paul Claudel dans L’Annonce faite à Marie… Autres chefs-d’œuvre qu’Amélie Nothomb a du lire et relire avant d’écrire le sien.
5-Une critique enthousiaste et des lecteurs au rendez-vous
Le soin apporté aux détails, les nuances et la délicatesse dans le traitement du récit concourent sans doute à l’enthousiasme des critiques qu’on a pu lire dans la presse. Concernant Amélie Nothomb,
cela n’a pas toujours été le cas. De même que son succès auprès des lecteurs. Tiré à 180.000 exemplaires, Soif est le
seul roman qui figure depuis la rentrée dans le Top 20 des
ventes de livres.
6- Une auteure, une vraie
L’ultime raison qui nous pousserait à parier un petit billet sur Amélie Nothomb est le fait qu’elle est la seule auteure féminine parmi les quatre finalistes. Même si la littérature est l’un des moins misogynes de tous les milieux artistiques et si le Goncourt a récompensé trois femmes (Marie NDiaye, Lydie Salvayre et Leila Slimani) lors de ses dix dernières éditions, cela fait toujours (du) bien de voir une romancière se hisser au-dessus d’une mêlée de finalistes dominée par les hommes, tous prix littéraires confondus.
Source: Lire L’Article Complet