Les Français.e.s avaient bon espoir de rejoindre leurs voisins espagnols et autrichiens en allongeant le délai légal pour un avortement à quatorze semaines mais ils se sont heurtés au pouvoir politique qui en a décidé autrement.
L’IVG, pas une priorité politique
« Eh bien vous, il n’y a que la Maison des femmes qui va vous accepter ! » Combien sont-elles, ces femmes laissées sans solution parce qu’elles ont dépassé le délai légal de douze semaines de grossesse ? Faute de moyens, elles ne pourront pas aller avorter comme trois à cinq mille Françaises chaque année, en Angleterre ou aux Pays-Bas où l’IVG se pratique jusqu’à vingt-deux semaines.
Certaines se précipitent donc à la Maison des Femmes à Saint-Denis, fondée par la gynécologue obstétricienne Ghada Hatem. Cette dernière n’a pas de statistiques mais une logistique éprouvée : « Je suis obligée d’activer le dispositif “avortement pour motif médico-psychosocial”. J’ai heureusement mis en place une organisation pour le faire en trois jours, quand d’autres structures mettent trois semaines, ce qui est inacceptable. Ces femmes viennent parfois de loin, sans rendez-vous et chaque jour compte, on y arrive en bossant la nuit s’il le faut, mais le mieux serait de se partager le boulot ! »
Ghada Hatem avoue être dépitée après s’être mobilisée pendant plus d’un an avec des médecins, des politiques, des militantes du Planning familial1 pour allonger le délai légal de l’IVG de deux semaines face aux aléas de la crise sanitaire. « J’espère qu’Olivier Véran et d’autres seront un peu courageux et feront des propositions qui ont du sens… »
Quand une femme est en galère, la réponse n’est pas de lui appuyer sur la tête pour qu’elle se noie.
Si le 8 octobre 2020, les parlementaires ont voté en première lecture en faveur de l’allongement du délai légal sur fond de débats houleux, le 17 février dernier, en deuxième lecture, ils ont manqué singulièrement de courage : le groupe socialiste a retiré la proposition de loi d’Albane Gaillot, députée du Val-de-Marne (ex-LREM, sans étiquette) face aux 423 amendements déposés par la droite. « Depuis nous sommes en stand-by, déplore la députée. J’en appelle à la responsabilité du gouvernement pour se saisir de ce sujet comme il l’a fait pour la proposition de loi sécurité globale jugée prioritaire. La santé des femmes est prioritaire, l’avortement aussi. L’opinion publique est favorable à l’allongement des délais, alors allons-y ! »
Selon un récent sondage2, 93 % des Français.e.s sont attaché.e.s au droit à l’avortement, et 88 % soutiennent l’allongement du délai à quatorze semaines.
Le recul de l’Europe et une pression toujours plus forte des anti-choix
« Il faut vraiment marteler que ces grossesses en dépassement de délai ne sont que des grossesses à problèmes, ce ne sont jamais des petites-bourgeoises qui avortent pour partir en vacances aux Seychelles. Quand une femme est en galère, la réponse n’est pas de lui appuyer sur la tête pour qu’elle se noie », dénonce Ghada Hatem, que les atermoiements des politiques, sensibles aux pressions d’une frange d’électeurs d’extrême droite, exaspèrent.
Ces anti-choix ont hélas des appuis au sein même du Parlement européen. Comme le réseau Agenda Europe, dont le manifeste « Restaurer l’ordre naturel », publié en 2018, ne fait pas mystère de ses objectifs.
« Organisés avec des moyens et différentes stratégies selon les pays, ils s’attaquent au droit à l’avortement, à la contraception, à l’euthanasie, au divorce et aux droits des personnes LGBTI, analyse Véronique Séhier, membre du groupe international au Planning familial. Ils ont bien manœuvré en Pologne, qui projette de se retirer de la Convention d’Istanbul. On y parle d’égalité et de genre, c’est incompatible avec leur projet de contrôler le corps et la sexualité des femmes. »
L’heure est donc à la mobilisation des féministes sur le continent. En France, où l’on vient de célébrer en fanfare les 50 ans du « Manifeste des 343 », « le gouvernement a hélas fait de l’allongement du délai de l’IVG un problème sanitaire conjoncturel et non structurel. Aux candidats à la présidentielle d’en faire un engagement », exhorte Albane Gaillot.
1 – Pétition sur Chanrge.org.
2 – Kantar Public pour la Fondation des femmes et la Mutuelle générale de l’Éducation nationale.
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