Plus de 100 ans avant les Jeux de Paris 2024, première olympiade paritaire de l’histoire, une Française portait déjà ce combat d’égalité et de justice dans le sport. Son nom ? Alice Milliat.
Cette Nantaise, née en mai 1884, a fait de la participation des femmes aux Jeux olympiques, et plus généralement la reconnaissance du sport féminin, son cheval de bataille. Face aux nombreux refus du CIO à l’époque et aux sorties sexistes auxquelles elle a dû faire face, elle organisera les premiers Jeux Mondiaux Féminins à Paris en 1922, nommés à l’époque les Jeux olympiques Féminins.
Le sport, un coup de foudre inattendu
Pourtant, rien ne prédestinait cette jeune femme, fille d’épiciers à embrasser une carrière sportive. “Peu assidue à ces activités sportives au cours de sa jeunesse, c’est à Londres que la jeune femme découvre le sport et se prend de passion notamment pour l’aviron”, raconte Ouest France.
En effet, à tout juste 19 ans, Alice Milliat quitte sa Bretagne natale pour l’Angleterre, où elle devient préceptrice dans une famille aisée. “Elle parle couramment anglais, mais apprend également d’autres langues, entre trois et sept selon les sources. Peu après son arrivée à Londres, elle rencontre Joseph Milliat, un employé de commerce, fils d’un coiffeur et Nantais comme elle. Le couple se marie en juillet 1904 au consulat de France”, poursuit le quotidien régional.
Trois ans plus tard, Alice Milliat perd sa mère et retourne donc à Nantes à cette occasion. Nouveau malheur quelques mois plus tard : c’est son jeune époux qui décède, la laissant veuve à seulement 24 ans. Elle part alors à Paris, portée par l’envie de rebondir après ces deuils et galvanisée par tout ce qu’elle a appris lors de son expérience londonienne. En effet, de l’autre-coté de la Manche, la jeune femme s’est découvert un véritable amour du sport et une conscience féministe aiguisée, façonnée par les suffragettes anglaises et leurs discours sur l’égalité femme-homme.
Des premiers pas dans les institutions sportives
Quelques années plus tard, elle se rapproche du Fémina Sport, l’un des premiers clubs féminins de l’Hexagone créé en 1912 par Pierre Payssé, ancien champion du monde de gymnastique, afin de poursuivre sa pratique de l’aviron, bien que l’institution n’en propose pas encore.
En 2015, elle est élue présidente de ce club pionnier. “Sous son impulsion, le Fémina Sport diversifie ses activités. Outre l’aviron, le club propose maintenant aux jeunes femmes de pratiquer l’athlétisme, le basket-ball, le football ou encore la barrette, une version adaptée du rugby”, retrace Ouest-France.
Très vite, ses aspirations vont se heurter aux visions sexistes des dirigeants d’antan qui refusent que les femmes pratiquent certaines disciplines. “Elle fait partie des fondatrices de la Fédération des Sociétés Féminines Sportives de France (FSFSF) en 1917. Elle en deviendra d’ailleurs la Présidente dès 1919”, précise TV5.Monde dans un portrait de la pionnière.
C’est cette fédération qui créera par exemple le premier championnat de France de Football féminin en 1919 ou encore le premier championnat de France d’athlétisme ouvert aux femmes.
La reconnaissance du sport féminin, le combat d’une vie
“Devant l’immobilisme des fédérations sportives à inclure des femmes dans le monde du sport, Alice Milliat voit plus grand et fonde en 1921 la Fédération sportive féminine internationale”, relate le site de la Fondation Alice Milliat, institution engagée pour le sport féminin européen et pour la reconnaissance de cette femme d’exception.
“Le sport féminin a sa place dans la vie sociale au même titre que le sport masculin”, défend ainsi Alice Milliat en mai 1917. Les années suivantes, “elle fait de la participation des femmes aux Jeux Olympiques son plus grand combat et devant les multiples refus du Comité International Olympique (CIO) de les intégrer aux compétitions, elle décide d’organiser des compétitions féminines”, poursuit le site de la fondation éponyme.
Les années suivantes, vont ainsi voir le jour “le premier meeting international féminin a lieu à Monte-Carlo” (1921), puis “la première édition des Jeux Mondiaux Féminins à Paris” (1922), nommés à l’époque les Jeux Olympiques Féminins. « La compétition réunit 65 athlètes. Derrière cette première organisation, il y a beaucoup de réactions misogynes, notamment dans la presse internationale. Le Comité international olympique n’est pas content. Ces J.O. féminins perdent le droit de s’appeler « olympiques » parce que le CIO dépose le mot pour en être propriétaire », raconte Radio France.
Quatre autres éditions – rebaptisées Jeux Mondiaux donc – seront organisées entre 1926 et 1934. La dernière, à Londres en 1934, attirera plus de 6000 spectateurs chaque jour.
Un succès en demi-teinte, puisque bien que le CIO abdique et autorise ensuite les femmes à concourir à certaines épreuves des JO modernes, notamment à l’athlétisme, il profitera de l’occasion pour mettre les fédérations sous tutelle… d’hommes.
“La Fédération sportive féminine internationale est par exemple absorbée par la Fédération internationale d’athlétisme et s’éteint. Alice Milliat se retire alors mais nous a laissé un profond héritage, fondateur du sport féminin”, évoque le site de la fondation.
Un nom effacé mais un héritage centenaire
Le temps passe et le nom d’Alice Milliat disparaît dans les limbes de l’histoire. “C’est à la fin des années 80 que la handballeuse Béatrice Barbusse ressort son nom, à l’occasion de son mémoire de DEA en sociologie”, explique France TV Info. “Un mémoire de recherche sur le sport de haut niveau au féminin. Et là, je découvre Alice Milliat, je découvre cette femme, raconte Béatrice Barbusse au média national. Je regarde dans le dictionnaire, elle n’y est pas. Je pose des questions autour de moi à des gens qui sont dans le sport, personne ne la connaît. La femme grâce à laquelle nous pouvons, nous les femmes, participer aux Jeux olympiques ! Je découvre ça, je découvre également qu’elle a été complètement oubliée, complètement ignorée, qu’elle est enterrée à Nantes et qu’elle n’a même pas de pierre tombale”.
Il faudra ensuite attendre plus de 30 ans, pour que son nom soit de nouveau évoqué en haut-lieu, là encore par Béatrice Barbusse qui, lors de la première édition es 24 heures du sport féminin, appelle “les instances olympiques françaises à reconnaître Alice Milliat”.
Enfin, en 2019, Emmanuelle Bonnet-Ouladj, administratrice du Comité National Olympique et Sportif Français (CNOSF) et de l’Agence Nationale du Sport (ANS), va porter à son tour cette mission de reconnaissance. “J’ai saisi l’occasion de l’attribution des Jeux olympiques et paralympiques 20024 à Paris pour proposer au conseil d’administration du CNOSF qui a suivi qu’une statue, ou en tous cas une œuvre d’art, puisse lui être dédiée. Et je savais que Denis Masseglia [le président du CNOSF] ne pouvait pas refuser puisqu’en 2024, nous avons une promesse de Jeux inclusifs avec, pour la première fois, une parité entre les athlètes hommes et femmes. Denis Masseglia a accepté et m’a confié la responsabilité d’un groupe de travail”, a-t-elle confié à son tour à France TV Info.
Depuis, des initiatives – encore trop rares – oeuvrent pour diffuser le nom d’Alice Milliat et faire connaître son combat pour les femmes et leur droit fondamental à pratiquer le sport, tous les sports. “Certaines municipalités lui rendent à leur façon hommage, en nommant des rues ou gymnases à son nom (Nantes, Bordeaux, Sainte Luce sur Loire…). Le Département de Loire-Atlantique compte désormais une « Maison des Sports – Alice Milliat », un symbole fort dans la reconnaissance de cette femme actrice de l’histoire du sport”, cite par exemple la Fondation éponyme sur son site.
Aussi, au niveau des nouvelles infrastructures pour Paris 2024, l’Arena 2 qui doit être construite à Porte de la Chapelle et accueillir le temps de la compétition les épreuves olympiques de badminton et de gymnastique rythmique arborera son nom. “Le 24 juillet 2020, le Conseil municipal de Paris a choisi – à l’unanimité – le nom de ce futur équipement olympique, qui portera le nom d’Alice Milliat. C’est la première fois qu’une femme donne son nom à un équipement olympique”, a ainsi relayé TV5Monde.
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