Affaire DSK : Chambre 2806, une démonstration implacable de la culture du viol à la française

Disponible sur Netflix, la mini-série documentaire Chambre 2806, réalisée par Jalil Lespert pour l’agence CAPA, revient sur les scandales sexuels, et de violences sexuelles supposées, qui ont visé Dominique Strauss-Kahn depuis la fin des années 2000, à l’affaire du Carlton, à Lille, et avant elle, l’affaire du Sofitel, en 2011, et le séisme politique et médiatique qu’ils ont entraîné.

L’affaire Nafissatou Diallo avait sonné le glas de la carrière politique de celui qui était alors président du Fonds Monétaire International. Au grand dam de la gauche française, qui le rêvait président de la République en 2012.

DSK, le « séducteur »

Dans toutes ces procédures, l’ancien homme politique, devenu consultant, a été relaxé. Il a toujours nié tout rapport sexuel non-consenti, se cachant derrière la réputation d’un homme « libertin », quand il ne crie pas au « complot » sur le plateau de Claire Chazal. 

Près de dix ans plus tard, cette rhétorique est encore ancrée chez plusieurs de ses proches ou anciens proches, interrogés dans Chambre 2806. On sent chez certains un regret de ce qui aurait pu avoir lieu, si l’Histoire avait été différente. Et des convictions qui n’ont pas été ébranlées par le mouvement #MeToo. 

La rhétorique n’a pas bougé : ils présentent DSK comme un « séducteur » dont « l’amour des femmes » était « connu de tous ». Les clichés typiques de la culture du viol s’enchaînent dans un bingo de l’horreur, confondant violences sexuelles et moeurs libertines, viol et sexualité. 

Ces interventions désespérantes, d’un autre temps, contrastent durement avec les témoignages poignants de Nafissatou Diallo, qui accuse DSK de l’avoir violée au Sofitel, Tristane Banon, qui affirme qu’il a tenté de la violer à Paris dans les années 2000, et Mounia R., qui l’accuse de viol à Lille en 2011. 

Les déclarations les plus dommageables sont émises par des pontes du Parti socialiste : Jack Lang et Elisabeth Guigou.

Bingo de la culture du viol 

« L’amour n’est pas un complot du diable. L’amour appartient aux être humains. [Dominique Strauss-Kahn, ndr] est peut-être plus spécialement porté vers les choses de l’amour. Et alors ? Et alors ? Un président de la République doit-il être un homme sans sensualité ? », demande ainsi face caméra Jack Lang, en souriant.

Qu’y a-t-il de sensuel dans des accusations de viols, dans les larmes de Tristane Banon, de Nafissatou Diallo et de Mounia R. ? On cherche encore.

De son côté, Elisabeth Guigou interroge : « Pourquoi [DSK] aurait-il besoin de le faire ? », c’est-à-dire, « de violer » ? « C’est un homme charmant, brillant, intelligent, il peut être drôle par moment », complète-t-elle, assurant plus tard qu’il n’a « jamais eu » de geste déplacé envers elle.

C’est un homme charmant, brillant, intelligent, il peut être drôle par moment.

En résumé : un violeur ne peut être qu’un homme immonde, repoussant, qui n’a pas de sexualité en-dehors du viol, et viole toutes les femmes qu’il croise. Bingo. 

Ces propos très désinformés sur la réalité des violences sexuelles et des agresseurs, ont d’autant plus choqué qu’Elisabeth Guigou vient d’être nommée à la tête d’une commission sur l’inceste et les violences sexuelles faites aux enfants. 

DSK, symbole de la gauloiserie so française ?

Ces déclarations démontrent aussi le fossé culturel et politique entre la France et les États-Unis sur la question des violences sexuelles. Car la réputation « sulfureuse » revendiquée par DSK s’était accompagnée de l’exaltation de la séduction « à la française », des deux côtés de l’Atlantique.

Rappelons qu’en 2011, le viol présumé de Nafissatou Diallo avait été qualifié de « troussage de domestique » par le défunt Jean-François Kahn, directeur de la rédaction de Marianne, qui regrettait les conséquences politiques de l’affaire. Une expression qui a marqué.

Face au documentaire, on finit par se dire que si l’affaire avait eu lieu en France, elle n’aurait sans doute pas eu le même retentissement, voire, aurait été étouffée. Le fait que DSK ait été arrêté revêt un caractère exceptionnel, tant les violences sexuelles sont banalisées, encore plus quand elles se mêlent à des questions de race et de classe sociale.

On remarque d’ailleurs que la dimension raciale et classiste – une femme de ménage noire, immigrée, parlant mal l’anglais, face à un vieil homme blanc, riche, et l’un des plus puissants au monde – est soulevée par les Américains interrogés, jamais par les Français.

L’émotion et la colère de Nafissatou Diallo

Nafissatou Diallo a ainsi été soutenue aussi bien par des organisations féministes qu’anti-racistes, et par le syndicat des employés de l’hôtellerie, auquel elle appartenait. Ces soutiens complémentaires illustraient son triple désavantage : de genre, d’origine, et de milieu social. 

Toute l’attention était sur moi, jamais sur lui

À l’opposé, la plupart des intervenants américains, renseignés sur le sujet, soutiennent Nafissatou Diallo, et apportent un contre-point à l’issue du procès. DSK avait conclu un accord financier avec son accusatrice, relaxé sur l’unique base des doutes envers sa fiabilité. « Toute l’attention était sur moi, jamais sur lui », s’indigne avec beaucoup d’émotion celle dont la vie a été décortiquée au peigne fin, à la recherche d’incohérences pour discréditer son témoignage.

Dans l’épisode final, où Michael Osgood, ancien chef de police adjoint à New York, rappelle d’ailleurs que « chaque victime d’agression sexuelle réagit différemment » : « Certaines se taisent pendant des années. D’autres non. Certaines pleurent, d’autres non. […] Certaines rapportent en détail ce qui s’est passé, d’autres parlent petit à petit. C’est complexe. On ne peut se fier au comportement d’une personne pour valider ou non son témoignage. »

Enfin, l’oeil toujours saillant de la grande reporter du Monde Raphaëlle Bacqué, offre un décryptage précis et salvateur. Un recul que les médias et politiques français n’ont pas eu à l’époque, ne s’inquiétant que du sort de DSK.

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Cirque médiatique et politique

On revoit Ségolène Royal dire gravement qu’il faut « respecter la dignité de Dominique Strauss-Kahn », et cette déclaration illuminée de Jean-François Cambadélis, devant le siège du PS rue de Solférino : « Avec ses proches, nous ne pouvons pas croire à sa culpabilité, et il sera bientôt au milieu de nous. » Le PS a des allures de culte illuminé, attendant le retour de son messie.

Chambre 2806 confronte aussi les médias français à leur traitement complaisant des affaires DSK. Quelques années plus tôt, Tristane Banon, jeune journaliste et autrice, avait affirmé, lors d’une émission de Thierry Ardisson, avoir échappé à une tentative de viol de la part de l’économiste.

La séquence est glaçante. Tristane Banon raconte de manière presque légère la scène où elle se serait défendue contre DSK, comme une anecdote amusante. Le présentateur rit de son récit, disant « J’adore ! ». Autour de la table, les invités réagissent peu.

Je ne pense pas, très honnêtement, qu’il y aurait #MeToo s’il n’y avait pas eu Banon et Nafissatou Diallo

Aujourd’hui, Ardisson affirme qu’il s’était réjouit, à l’époque, du « buzz » que cette révélation allait lui apporter. « Le libertinage, les soupers fins, cela fait partie de la culture », affirme-t-il aussi. Autre moment bingo.

En revoyant ces images, Tristane Banon mesure le chemin parcouru, et explique avoir « joué à l’idiote », comme « beaucoup de femmes quand elles sont mal à l’aise ». 

Lorsque l’affaire Sofitel éclate, elle décide de porter plainte, et devient, « malgré elle », un symbole de la lutte contre les violences sexuelles, et l’impunité des agresseurs. Elle se retrouve aussi dans le viseur de grands médias, qui la somment d’expliquer pourquoi elle n’a pas poursuivi DSK plus tôt. Des interviews qui paraissent, là aussi, lunaires, vues depuis 2020.

« Je ne pense pas, très honnêtement, qu’il y aurait #MeToo s’il n’y avait pas eu Banon et Nafissatou Diallo », conclut la romancière. « Ça donne un peu de sens à tout ce que j’ai fait ».

Dominique Strauss-Kahn a quant à lui refusé de participer à Chambre 2806, et a annoncé « revenir sur l’ensemble de [son] histoire personnelle et professionnelle » dans un prochain documentaire, en 2021.

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