Cette accordéoniste aux cheveux de feu aurait eu 100 ans. Elle a régné sur les bals musette pendant 70 ans, passant de l’art sonique et vieilles bretelles à l’icône des années 80.
À l’annonce de la mort d’Yvette Horner, c’est comme si était tombé un monument de la culture populaire, à peine esquinté par les 12 kilos de son accordéon, ses soixante-dix ans de carrière, ses 125 disques enregistrés (dont 30 millions vendus) qui regorgent dans les brocantes et vide-greniers. La France des années 50 et 60, du « p’tit vin blanc », de la Grande Boucle et du bal musette, porté par une poignée de vedettes : Jean Ségurel, André Verchuren, Aimable et elle. La seule femme dans un milieu où les « chauffe Marcel ! » étaient légion.
Elle mêle ses notes à celles de Samson François, Jac Berrocal, Boy George, Quincy Jones…
La jeunesse yé-yé est alors saoulée et le chanteur Antoine veut l’enterrer dans ses élucubrations en 1966. « L’autre jour, j’écoute la radio en me réveillant / C’était Yvette Horner qui jouait de l’accordéon / Ton accordéon me fatigue, Yvette / Si tu jouais plutôt de la clarinette ». Raté. Vingt ans plus tard, Antoine reprend la mer, alors qu’Yvette fait toujours un malheur aux pistons, survit aux modes, relookée en bleu, blanc, rouge par le couturier Jean-Paul Gaultier pour le bal du bicentenaire de la prise de la Bastille.
Elle accède au statut d’icône gay, reine de la Nuit Europride devant 100 000 personnes sur la pelouse de Reuilly en 1997, avant de devenir fée, deux ans plus tard, dans le Casse-Noisette de Maurice Béjart. Née à Tarbes dans les Hautes-Pyrénées le 22 septembre 1922, Yvette Horner s’éveille à la musique grâce aux concerts du Théâtre des nouveautés, propriété de sa famille. Elle présente des dispositions pour le piano, est auréolée d’un premier prix au conservatoire de Toulouse à l’âge de 11 ans. Mais sa mère la contraint à jouer d’un instrument moins cher et où la concurrence est moins vive : l’accordéon. « J’en ai pleuré pendant trois ans », avoue-t-elle.
Mascotte du Tour de France
Musicienne hors pair, elle remporte la Coupe du monde de l’accordéon à 25 ans, première femme inscrite au palmarès, avec « 56,5 points d’avance sur les autres », un an à peine après avoir donné son premier concert à Paris. Elle commence les tournées. En 1950, elle remporte le grand prix international d’accordéon de Paris et le grand prix du disque de l’académie Charles-Cros pour son album Jardin secret d’Yvette Horner. Mais c’est le Tour de France qui la propulse auprès du grand public à partir de 1952. Une idée de son mari René Droesch, l’ancien footballeur des Girondins de Bordeaux, qui renonce à sa carrière de sportif professionnel pour suivre son accordéoniste d’épouse. Pendant onze éditions, dans les années Louison Bobet, Jacques Anquetil et Raymond Poulidor, aussi célèbre que les champions cyclistes, elle donne de sa personne. Rare fille embarquée, miss du désir, elle se tient perchée, coiffée d’un sombrero, sur une voiture de la caravane publicitaire. Un véritable calvaire : l’instrument lui scie les épaules et lui massacre le dos. Mais « Vévette » ne laisse rien paraître. Ses doigts agiles courent sur les touches et ses bras actionnent le soufflet. En contrepartie, elle gagne les faveurs de la France dite d’en bas. Les Disques d’or lui permettent d’acquérir une maison à Nogent-sur-Marne, célèbre pour sa décoration tout en accordéon, de la cheminée où des santons qui jouent du piano à bretelles composent une crèche éclairée à l’année, jusqu’à la forme des poignées de porte, en passant par la piscine.
Exécuter tous les soirs La Java bleue ou Ah ! le petit vin blanc pour faire guincher le populo ne lui suffit plus. À une époque où les barrières disciplinaires sont difficilement franchissables, elle mêle ses notes à celles du pianiste classique Samson François, puis à celles du trompettiste de free-jazz Jac Berrocal et reprendra même Summertime avec Boy George en 1994. Mais déjà en 1977, elle dompte sa peur de l’avion et se rend à Nashville, capitale de la musique country, pour collaborer avec l’harmoniciste Charlie McCoy. Quand son mari meurt en 1986, elle se retrouve seule. Injustement étiquetée ringarde, elle donne envie à Yves Mourousi et Jean-Paul Gaultier de la sortir du vase clos rétrograde de « Mireille Mathieu aimable de l’accordéon » où elle est cantonnée.
Yvette cocardière
Un an auparavant, en effet, sa rencontre avec le couturier Jean-Paul Gaultier lui est providentielle, elle deviendra l’une de ses égéries. L’artiste troque sa chevelure noire pour une crinière de feu et revient sur le devant de la scène avec des tenues extravagantes dont la fameuse robe bouffante tricolore à paillettes ou le tutu blanc XXL.
Après avoir sillonné pendant quarante ans la « douce France », Vévette habite désormais les années Mitterrand, en étant de tous les défis, dont celui du bicentenaire de la Révolution où elle joue le 13 juillet à la Bastille avec l’Orchestre national de jazz sous la direction de Quincy Jones. En 1990, mise en scène par Yves Mourousi, toujours habillée par Jean-Paul Gaultier, elle mène une revue au Casino de Paris. Elle joue Casse-Noisette au Châtelet, interprète David Bowie, devient même l’icône de la France d’« en haut ». En 2005, elle publie son autobiographie Le Biscuit dans la poche.
En 2011, elle donne son dernier concert… Puis elle s’éteint le 11 juin 2018, à l’âge de 95 ans, des suites d’une vie bien remplie, la France en bandoulière.
Dominique PARRAVANO
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