À l’heure où la campagne présidentielle entame sa dernière ligne droite, Gala.fr recueille les souvenirs de journalistes et personnalités politiques pour qui ces périodes électorales n’ont aucun secret. Voici ceux d’Apolline de Malherbe, matinalière star de RMC.
Elle fait partie des intervieweuses les plus en vue de cette campagne. Plus de 10 ans après ses débuts sur BFMTV en tant que reporter, Apolline de Malherbe n’est aujourd’hui plus à présenter : c’est en figure de l’info que la journaliste de 41 ans vit cette présidentielle si particulière, entre une guerre en Ukraine qui a tout changé et un Emmanuel Macron plus président que candidat. Aux commandes d' »Apolline Matin » (6h-8h30) et de « Questions de confiance » (8h30-9h), où son ton incisif bouscule toujours autant ses invités, la matinalière au planning chargé a tout de même trouvé le temps d’évoquer avec nous ses souvenirs de campagne les plus marquants. Face-à-face tendu avec Alain Juppé, discours interminable de François Hollande… Celle qui a succédé à Jean-Jacques Bourdin en 2020 sur RMC nous révèle quelques secrets. Avec le franc-parler qu’on lui connaît.
Gala.fr : Quel serait votre meilleur souvenir de campagne ?
Apolline de Malherbe : J’ai toujours du mal à dire « meilleur » ou « pire », comme si on était à un spectacle. Je ne veux avoir l’air d’être spectatrice d’un jeu de cirque. J’ai beaucoup de respect pour les politiques, pour leur abnégation et le mal qu’ils se donnent. Il y a quelque chose d’un marathon au sens sportif. On dort moins, on mange plus… On court partout et on ne sait jamais quelle heure il est !
Alors, quel moment vous a le plus marquée ?
En 2012, j’ai vécu ma première campagne en tant que reporter en charge du suivi de François Hollande pour BFMTV. Je me souviens notamment d’un voyage en Guadeloupe, vers février ou mars, donc au creux de la pluie parisienne. On se disait que pour une fois, alors qu’on bossait comme des dingues, on irait dans un endroit où il faisait très beau. Sauf qu’on arrive là-bas et… on ne voit pas le soleil !
Ce n’était pas de la faute de François Hollande quand même ?
En fait, Fitch a dégradé la note de la France lorsque l’on était dans l’avion. Donc il ne veut pas donner l’impression qu’il est au soleil pendant que c’est la crise. Il a un peu honte d’être là-bas, alors il va surjouer le côté « je ne veux pas voir le soleil » et on se retrouve à uniquement aller dans des salles fermées sans fenêtres parce qu’il ne faut surtout pas avoir l’air d’être dans des paysages de cartes postales. Et le seul moment où il fait enfin une déambulation sur la plage et dans les rues… c’est la nuit. Vraiment, on n’a pas vu le soleil ! Je me souviens m’être levée très tôt avec le décalage horaire pour me baigner toute seule à 5h quand même. C’était le seul moment où l’on avait un peu de liberté, parce qu’une campagne, c’est ultra minuté.
« J’ai pris 5 kilos durant la campagne 2012 »
Vous avez parlé de marathon, c’est si dur que ça une campagne ?
En 2007, je ne voyais mes enfants que quand je pouvais pendant 6 mois. On partait à 5h du mat’, on revenait… Vous n’avez jamais le temps de vous asseoir pour manger ! Vous mangez des sandwichs. D’ailleurs, pour être assez honnête, j’ai pris 5 kilos pendant cette campagne. Parce que j’ai découvert le sandwich américain…
Comment ?
Souvent, dans les réunions du PS, ils ne mangeaient que ça. Ce sont des baguettes, avec à l’intérieur des frites et un steak. C’est le casse-croûte du socialiste ! Donc dans toutes les réunions, dans tous les coins de France, et bah on mangeait ce qu’il y avait. Et en général, c’était ce sandwich américain.
Quelle serait l’interview dont vous êtes la plus fière ?
J’ai participé au grand débat de la droite durant la primaire 2017 sur BFMTV. J’étais en charge des questions de sécurité face à François Fillon, Nicolas Sarkozy, Alain Juppé… Je me souviens avoir énormément bossé ce jour-là. Toutes ces interviews, vous les bossez comme si vous prépariez vos examens d’études. J’avais vraiment mangé tous les programmes. J’avais étudié celui d’Alain Juppé et il n’y avait quasiment rien sur la sécurité. En l’interrogeant, je me souviens m’être dit qu’un truc n’allait pas. Qu’il n’avait pas senti qu’il y avait quand même une question de sécurité dans cette campagne. Alors qu’il faisait la une de tous les journaux, que c’était « plié ». Je crois que j’avais bien bossé.
Ça a été tendu ?
Oui, il avait été un peu désagréable quand je lui ai dit que je n’avais pas trouvé grand-chose dans son programme. Je me souviens de ce moment de tension, de la sensation physique et du regard d’Alain Juppé. Le plateau était en forme d’arène et j’étais debout face aux candidats, il y avait aussi Ruth Elkrief et Laurence Ferrari. Je suis arrivée pour faire 20 minutes de zoom sur les questions de sécurité et j’étais aussi assez émue.
Pourquoi ?
Parce que j’étais enceinte et je me disais que j’allais mettre un enfant au monde dans ce monde-là. Ce qui se joue dans ces moments de campagne, ce sont des choses qui comptent ensuite pour l’avenir qu’on va leur donner.
Vous avez réussi à cacher vos émotions ?
Au moment où je suis arrivée, j’ai eu un peu les larmes aux yeux et je me suis dit « faut pas que ça se voit sinon je vais avoir l’air ridicule ».
Cela vous arrive encore aujourd’hui ?
En ce moment, c’est très dur oui. Il y a des moments où l’on se dit que l’on doit garder une forme de dignité et de gravité. Mais en fait, on est parfois submergé aussi par l’émotion. Sur l’Ukraine, on a beau donner l’info, on la vit aussi.
Alain Juppé est le candidat qui vous a donné le plus de mal ?
Peut-être. Quand il vous regarde avec un regard noir… Vous êtes en direct, vous êtes enceinte… Il y a un truc qui se passe. Ça vous marque.
Vous avez reparlé de ce moment avec lui ?
Non, mais son équipe n’était pas ravie je crois !
La « colère froide » de Marine Le Pen
Avec Marine Le Pen, ça a parfois été tendu aussi.
Oui, il y a eu un moment très fort également avec Marine Le Pen. Mais c’était pendant la campagne des européennes. Elle commençait à se présenter comme la candidate antisystème et moi je lui ai demandé si au fond le système ce n’était pas les élites qui se reproduisent, exactement comme dans son parti où l’on est chef de père en fille. Et c’est à ce moment-là qu’elle a été assez en colère. Une colère froide. Mais encore une fois, c’était le signe que j’avais probablement touché juste.
https://youtube.com/watch?v=AzA7G3yORPw%3Frel%3D0%26showinfo%3D1
Durant la campagne, l’attitude de Gérald Darmanin lors de votre interview a beaucoup fait parler. Vous lui répondriez de la même manière aujourd’hui ?
Vous savez, ce sont des moments très immédiats. Je bosse beaucoup et en même temps, ce que je fais est assez intuitif. Donc je ne sais pas, je ne peux pas répondre à cette question. Ce qui est sûr, c’est que ça n’a laissé personne indifférent.
En 2017, vous étiez en congé maternité pour la majeure partie de la campagne. Comment vous avez vécu cette période ?
Oui, à partir de janvier j’ai suivi ça devant ma télé. Ce qui ne m’arrivait jamais. Mais les studios ne m’ont pas trop manqués, parce que l’important c’est la vie quand même !
Cela devait tout de même être spécial d’être spectatrice des débats cette fois.
C’est vrai que c’est toujours un peu bizarre, parce que d’habitude on bosse. C’est marrant aussi parce que cette année-là, j’avais un peu déculpabilisé car Léa Salamé, Nathalie Schuck, une très bonne journaliste du Point, et moi, nous nous sommes retrouvées toutes les trois en congé maternité pile à ce moment-là.
« Déculpabilisée », à ce point ?
Oui, on culpabilise un peu quand même ! Même si dans notre hiérarchie des priorités, le boulot c’est important mais ce n’est pas tout quand même.
« Emmanuel Macron rechigne à faire campagne »
Vous avez déjà commis une grosse gaffe pendant une interview ?
On est un peu dans une course contre la montre, donc ça arrive. Il arrive parfois de dire des choses, puis de se dire qu’on aurait pu les affiner. Mais ça demande aussi beaucoup d’exigence sur soi-même. Moi, c’est ce que j’ai. J’aime travailler sans filet. En direct. On est humains donc avec ce que ça peut apporter de meilleur et de moins bon. Mais au moins on ne triche pas.
Je crois que vous avez un jour dit « bonjour Benoist Apparu » à Benoît Hamon…
C’est vrai, et une fois Benoist Apparu a dit « Apolline de Lamerde » donc je crois qu’il s’était bien vengé ! (Rires) C’était de bonne guerre on va dire !
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Une punchline qui vous a marquée ?
Pour tout vous dire je trouve que c’est un vrai problème ce mot de « punchline », qui est apparu il n’y a pas très longtemps et ce n’est pas ce qu’on a fait de mieux. Quand on regarde cette campagne, ils ont tous envie de parler sous forme de slogan. Et ça manque follement de naturel. Quand il y a des punchline en général, ce n’est pas très bon signe. Parce que ça veut dire qu’ils ne sont pas naturels. Et que l’on n’arrive pas à les interroger de manière spontanée, donc j’essaye de les oublier.
Quel grand meeting vous a marquée ?
En 2012, le dernier jour de la campagne a vraiment été intéressant. Le vendredi de la 2e semaine de l’entre-deux-tours, lorsque la campagne s’arrêtait officiellement à minuit. François Hollande avait décidé de faire deux meetings ce jour-là, un à Forbach et l’autre à Périgueux où j’étais. C’était en plein air, il est là sur son espèce d’estrade et en fait il continue, il continue… 22h, 22h30, 23h, 23h30… François Hollande regarde sa montre et dit « il me reste une demi-heure ! » Je me dis que ce n’est pas possible ! Et il continue… À 23h45, il dit « et il me reste 15 minutes ! » En fait, jusqu’à 23h59, c’est-à-dire jusqu’à la dernière seconde, il a continué à faire campagne. En se disant qu’il pouvait peut-être convaincre encore une personne à la fin.
Ça lui a plutôt réussi !
Oui, quel contraste avec le meeting de Nicolas Sarkozy qui était plié et rangé à 14h… Il avait décidé de ne faire qu’un seul meeting à midi, aux Sables d’Olonne. Il avait toujours dit qu’il fallait toujours quoi qu’il arrive qu’il puisse rentrer dormir chez lui, donc ça l’a beaucoup privé de meetings dans toute la France parce que la plupart du temps il faisait des meetings à la mi-journée. Ensuite, on ne l’avait plus revu, il est rentré chez lui et n’a pas utilisé son temps jusqu’au bout. Il y a une grande part d’envie. Il faut vraiment aller jusqu’au bout et le chercher avec les dents. Ça m’avait beaucoup frappée. Une campagne, c’est montrer qu’on a envie, c’est aller vraiment chercher les voix des Français, même si on est épuisé. Et je ne peux pas m’empêcher de penser à ces moments-là quand Emmanuel Macron rechigne à faire campagne aujourd’hui. Alors certes, il dit qu’il n’en a pas besoin pour être élu… Mais je crois qu’il devrait davantage tenir compte de ça.
Vous trouvez qu’Emmanuel Macron n’a pas assez envie ?
Je ne sais pas, mais il ne montre pas assez aux Français qu’il est prêt à se donner du mal. À retrousser les manches, à aller dans l’arène, à parcourir la France, à être capable d’entre leur joie et leur révolte… Vous l’avez fait il y a 5 ans mais les Français ne sont pas les mêmes aujourd’hui. Et il n’est pas le même non plus. Je ne crois pas que l’on doive mépriser le terrain, que l’on soit politique ou journaliste. Emmanuel Macron ne devrait jamais oublier qu’une présidentielle, c’est un peu comme une fable de La Fontaine, on n’a rien inventé. Ce n’est pas parce que vous êtes le lièvre, que tout va bien, que vous courrez vite, que vous êtes moderne et jeune, qu’il faut que se dire que c’est gagné. En fait, Il faut faire le même effort que la tortue qui ne lâche jamais l’affaire !
Emmanuel Macron va venir dans « Questions de confiance » ?
Il s’est engagé à le faire, donc on verra bien (depuis notre interview, Apolline de Malherbe a déploré à l’antenne qu’Emmanuel Macron soit le seul candidat à ne pas avoir jugé bon de venir dans son émission « pour l’instant« , ndlr)
Nicolas Sarkozy n’avait pas assez envie en 2012 ?
Les intentions de vote ne sont pas les mêmes pour Macron, mais c’est un peu pareil. Quand vous avez été à l’Élysée pendant 5 ans, vous n’avez peut-être plus envie d’aller sur les marchés, de traverser la France dans tous les sens. Moi je pense que c’est une erreur. Les Français ils ont aussi besoin qu’on leur dise « je vous aime, je suis prêt à prendre le temps pour vous« .
Un autre souvenir marquant de cette campagne ?
Oui, on avait inventé un concept qui s’appelait « une journée avec » sur BFMTV. On suivait les candidats à plusieurs reprises dans la journée, en direct. J’avais interviewé François Hollande au petit-déjeuner avec ses équipes, puis dans le train. C’était très vivant, génial. Mais avec des manières de faire toujours un peu à l’arrache. Du coup, je m’étais acheté un sac à dos par exemple. Spécialement pour la campagne. Je ne pouvais plus me balader sans mon sac et des bottines plates, vous ne pouvez pas suivre une campagne si vous n’êtes pas capable de courir et de dégainer à l’arrache. Il n’y a vraiment rien de comparable à être reporter sur le terrain. J’arrivais des États-Unis, je revenais de trois ans où j’avais été correspondante à Washington… Je n’ai jamais eu de meilleurs souvenirs que sur le terrain. Si on pouvait être à la fois présentatrice, reporter et éditorialiste, pour moi, c’est l’idéal absolu. Même si aujourd’hui, avec les auditeurs de RMC, c’est le terrain qui vient à moi.
Crédits photos : Domine Jerome/ABACA
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