Depuis la sortie en 2018 de son tube planétaire, Old Time Road, le musicien américain, qui vient de sortir son premier album Montero, s’emploie à bousculer l’Amérique puritaine à coups d’images fortes et de coups (marketing) audacieux. Portrait.
Pour annoncer la sortie de son premier album, Montero, le 17 septembre, Lil Nas X a eu une idée toute simple : scénariser la chose comme un jeune parent s’apprêtant à accueilir son nouveau-né, en postant sur Instagram quelques photos façon baby shower avec gâteaux, cadeaux, bonbons et…un joli ventre rond d’homme «enceint». Quelques semaines plus tard, le musicien dévoilait le clip de That’s what I want où, caréné dans un maillot (rose) de joueur de football américain, il rejoignait un coéquipier dans les vestiaires pour une troisième mi-temps torride, avant de finir en robe de mariée dans une église.
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Maternité, religion, et même sport tout-puissant : en quelques mois, le rappeur de 22 ans s’est fait une spécialité de pulvériser de sacro-saintes institutions. Endossant son rôle d’égérie d’un monde nouveau, tout en se mettant bien volontiers l’ancien à dos.
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Expert ès viralité
S’il maîtrise aussi bien le pouvoir des images, c’est que Lil Nas X est tombé dedans très jeune. Montero Lamar Hill (son vrai nom, inspiré de la voiture dont rêvait sa mère, une Mitsubishi Montero) est né en 1999 dans une cité populaire de la banlieue d’Atlanta. Il y grandit, entouré de ses cinq frères et sœurs aînés, élevé par sa mère et son arrière-grand-mère. Ses parents divorcent lorsqu’il a 6 ans : trois ans plus tard, leur père obtient la garde de la fratrie après que son ex-compagne a sombré dans la drogue. Direction Lithia Springs, une ville plus cossue, où Montero, désorienté, a du mal à s’adapter : pour canaliser l’énergie de son petit dernier, son père, chanteur de gospel, l’emmène de plus en plus fréquement à l’église. Le garçon y découvre la musique et le charme baroque des angelots et de l’imagerie biblique qu’il utilisera plus tard sur ses pochettes et dans ses clips. Mais aussi, une dissonnance avec ses premières attirances : Montero aime les garçons, ce ce qui le plonge dans des abîmes de honte et de douloureuses questions. Il avouera même avoir songé au suicide avant de s’assumer pleinement, vers l’âge de 16 ans. À la place, il se réfugie derrière un écran.
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Là, l’adolescent apprend à maîtriser les réseaux sociaux, autres techniques de sorcier pour booster la viralité d’un tweet ou de mèmes qu’il fabrique à la chaîne. Après avoir étudié l’informatique à l’université, ce fan de Nicki Minaj (il lui a dédié plusieurs comptes sur Twitter) décide de se tourner vers la musique. Et adopte un pseudonyme en hommage à Nas, l’un de ses rappeurs fétiches. Seul dans sa chambre, il compose, écrit, expérimente. Et élabore, un beau jour, le morceau Old Town Road à partir d’une boucle rythmique achetée une poignée de dollars sur Internet. Le titre, qui mêle un banjo très tradi à un beat trap, est diffusé le 3 décembre 2018.
Hip-hop ou country?
Old Town Road devient vite viral grâce à sa diffusion sur Tik Tok : bientôt, ce sont les enfants qui s’amusent à partager des chorégraphies sur cette drôle d’histoire de cow-boy vadrouillant sur un cheval (qui parle aussi de tromper sa chérie, l’estomac plein de «lean», mélange de soda et de sirop à la codéine). Le morceau entre dans l’histoire en battant le longueur de longévité (19 semaines) en tête des charts américains. Et, déjà, fait polémique : en mars, Billboard, le média qui gère les classements de ventes et de streaming de disques, retitre la chanson de sa section «country», estimant que musicalement, elle ne répond pas aux canons du genre. Un argument taxé de racisme par les fans de l’artiste, comme le relaie ici CNN, et vite balayé par un remix auquel participe activement Billy Ray Cyrus, star de la country américaine : la présence de ce dernier ouvre à Lil Nas X les portes d’un public plus large et lui permet de battre le record, jadis détenu par Drake, du titre le plus streamé de l’histoire des États-Unis. Aujourd’hui, Old Town Road totalise plus d’un milliard d’écoutes sur Spotify.
En vidéo, le clip de Old Town Road, de Lil Nas X, avec Billy Ray Cyrus
C’est justement avec Billy Ray (et sa fille, une certaine Miley) que Lil Nas X monte sur la scène du festival de Glastonbury le 30 juin 2019, et en profite, quelques heures plus tard, pour faire son coming-out sur Twitter (après l’avoir fait auprès de sa famille quelques mois plus tôt). Il devient, après Frank Ocean, l’un des premiers artistes noirs évoluant dans le milieu hip-hop à revendiquer son homosexualité. Et s’attire les foudres d’une partie de la communauté rap, qui ne jure que par les signes de virilité les plus évidents (violence, filles dénudées et argent). À tel point qu’en septembre 2021, lorsque Lil Nas X figure dans la liste des 100 personnalités les plus influentes de l’année du magazine Time, un rappeur plus «conscient», Kid Kudi, prend sa défense, soulignant que Lil Nas X est en train de «briser (…) le nuage homophobe qui plane sur le hip-hop» : «Avoir un homme gay (…) qui fait cela, battre des records, c’est énorme pour nous et pour l’excellence noire. La façon dont il n’a pas peur de mettre les gens mal à l’aise est tellement rock’n’roll. C’est une vraie rock star.»
Marketing et provocation
Car entre temps, Lil Nas X a peut-être commis son plus grand coup d’éclat. Le 26 mars 2021 sort le titre Montero (call me by your name), une chanson qui parle du désir d’un homme pour un autre, assorti d’un clip qui sent littéralement le soufre : on y voit le musicien descendre aux enfers, administrer une séance de lap-dance langoureuse à Satan en personne, avant de le tuer et de se coiffer de ses cornes. Lil Nas X ne s’arrête pas là : quelques jours plus tard, il lance, en collaboration avec le collectif artistique américain MSCH, une collection exclusive de baskets (666 paires, le chiffre du diable, pour être précis), des Nike customisées contenant chacune une goutte de sang humain (celui de membres du collectif, pas le sien), pour la modique somme de 1.018 dollars la paire (en référence au passage de la Bible Luc chapitre 10, verset 18 qui dit : «J’ai vu Satan tomber du ciel comme un éclair»).
La « Satan Shoes » de Lil Nas X et du collectif new-yorkais MSCHF.
La fameuse goutte est celle qui fait déborder le vase du marketing (gentiment) provocateur : Nike intente un procès, et l’Amérique puritaine pousse des cris d’orfraie. Lil Nas X ne se laisse pas démonter. À la gouverneure du Dakota du Sud, Kristi Noem, qui déclare sur Twitter que «ce qui est “exclusif”, c’est l’âme divine de nos enfants» et qu’il va falloir «se battre pour l’âme de notre nation», il réplique : «Vous êtes gouverneure et tout et vous êtes là à twitter sur de satanées chaussures. Faites votre boulot!» Et quand un autre rappeur, Joyner Lucas, déplore que le clip puisse choquer les enfants, il répond : «J’ai littéralement chanté sur le lean et l’adultère dans Old Town Road. Tu as décidé de laisser tes enfants l’écouter. Tu n’as qu’à t’en prendre à toi-même.»
La mode comme symbole
Lil Nas X ne se démonte jamais. Même quand, alors qu’il interprète son nouveau tube sur le plateau du «Saturday Night Live», son pantalon en cuir craque en pleine démonstration de pole-dance : le chanteur finit sa performance la main sur son entrejambe, sourire coquin aux lèvres. Et s’affiche en jupe lorsqu’il revient quelques jours plus tard sur l’épisode au Tonight Show de Jimmy Fallon. Car pour Lil Nas X, la mode se joue aussi des genres et constitue l’une des plus belles armes de ses revendications queer. Tissu holographique, imprimés serpent, santiags fluorescentes, harnais rose siglé Versace (ayant nécessité, paraît-il, 700 heures de travail)… Tout va à Lil Nas X, jusqu’à la crinoline (portée aux BET Awards en juin) et à la traîne à paillettes couleurs lilas (aux MTV Video Music Awards). Des looks signés Hodo Musa, sa styliste. Née en Somalie, cette dernière a grandi en Suède où sa famille s’est réfugiée quand a éclaté la guerre civile dans son pays. Comme lui, elle s’est imposée seule, par la force de ses idées. Ses inspirations pour le chanteur : Prince et Grace Jones, deux stars noires qui elles aussi en leur temps, chamboulèrent la culture populaire, et la société.
Lil Nas X en tailleur à traîne couleur lilas sur le tapis rouge des MTV VMA 2021. (New York, le 12 septembre 2021.)
Image, vêtement, symboles : chez Lil Nas X, tout est mêlé. La preuve au gala du Met, le lieu par excellence des looks les plus extravagants. Le musicien est arrivé presque entièrement dissimulé par une cape digne d’un couronnement royal, que deux assistants, pas moins, lui ont ôté. Le vêtement dissimulait une armure rutilante et dorée, dont il s’est ensuite débarrassé pour dévoiler une combinaison moulante, ornée de broderies pailletées.
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L’explication de cet effeuillage signé Versace (outre le fait d’avoir capté trois fois plus longtemps l’attention des photographes) ? Symboliser le parcours d’un artiste qui s’est peu à peu libéré de carapaces intimes et d’interdits séculaires pour être profondément lui-même et se montrer tel quel, sans compromis. «Cette année, j’ai vraiment la sensation d’avoir fait mon coming-out, a-t-il déclaré au Vogue américain. Tout cela menait à qui je suis.» Pour changer le monde et la pop, à tout prix.
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