Cette figure de la IIIe République connut une carrière politique d’une rare longévité. Pétri de liberté et de justice, ce patriote mena la France à la victoire de 1918…
Le 11 novembre 1918, les Français n’ont d’yeux que pour Georges Clemenceau, le sauveur de la Patrie. Dans le Panthéon de la IIIe République, il occupe une place de premier plan. Celui qui se définissait comme « un mélange d’anarchiste et de conservateur » n’a pas été un politique comme les autres. Un homme d’État à l’âme ardente dont la vie a été sous-tendue par une haute idée de la liberté et de la justice, ses idéaux de jeunesse.
Du carabin aux maroquins
Né en Vendée le 28 septembre 1841, à Mouilleron-en-Pareds, il est le deuxième enfant d’une fratrie de trois garçons et trois filles. Ses ascendants paternels sont médecins. La voie semble toute tracée. C’est compter sans le tempérament frondeur de son père républicain qui, lui-même médecin, fut tour à tour un opposant virulent à Charles X, Louis-Philippe et Louis Napoléon Bonaparte. En 1858, à la suite de l’attentat contre l’Empereur, des rafles ont lieu dans les milieux républicains. C’est alors que le père est mis aux fers sous les yeux de son fils. Le petit Georges va garder pour l’Empire une haine profonde. Biberonné à l’anticléricalisme et la dévotion républicaine de son père, il malmène ses maîtres fondus dans le moule du catéchisme impérial.
À l’âge de 17 ans, il opte pour la médecine mais se révèle un étudiant médiocre et dissipé. Carabin à Nantes puis à Paris, il crée le journal révolutionnaire, Le Travail. En février 1862, un appel à une manifestation pour le quatorzième anniversaire de la proclamation de la IIe République le conduit en prison où il passe deux mois. À 24 ans, il est titulaire de son diplôme de docteur en médecine. Il décide alors de partir à la découverte de la démocratie américaine. Il donne des cours dans un collège de jeunes filles où il tombe sous le charme d’une de ses élèves. Le 20 juin 1869, il l’épouse civilement à New York. Puis rentrent tous les deux en France.
De retour à Paris, il délivre ses premières prescriptions dans son dispensaire à Montmartre. Le 5 septembre 1870, alors qu’est institué le gouvernement de Défense nationale, François Arago, maire de Paris et ami de son père, le nomme maire de Montmartre. Le 8 février 1871, il est élu député de Paris. Après l’annexion de l’Alsace-Lorraine par la Prusse, il assiste à la folie meurtrière qui s’empare des Fédérés qui fusillent les généraux Lecomte et Thomas, venus sur ordre de Thiers reprendre les canons de Montmartre, symboles de la résistance des Parisiens. Il est expulsé de sa mairie et démissionne de son mandat de député.
Après la Commune, il reprend du service dans son dispensaire. Sensible à la condition ouvrière, il établit un programme sur la base de réformes sociales, humanitaires, politiques et religieuses pour les élections à la Chambre des députés du 20 février 1876 : instruction primaire obligatoire, gratuite et laïque, service militaire pour tous, abolition de la peine de mort, révision de l’assiette de l’impôt, séparation de l’Église et de l’État, suppression du Sénat et de la fonction de président de la République… Obtenant son deuxième fauteuil de député, il devient une figure éminente des républicains radicaux. Ses positions virulentes dans son journal La Justice, qu’il fonde en 1880, et ses philippiques à l’Assemblée lui valent des inimitiés farouches. L’inflexible opposant se forge une réputation de « tombeur de ministères » après avoir renversé tour à tour les gouvernements Ferry, Gambetta, Freycinet.
“Homme libre” puis “enchaîné”
Des accusations de corruption dans le scandale de Panama en 1893 et de compromission avec Cornélius Herz, un escroc qui l’a aidé à financer La Justice, lui font perdre son siège de député du Var. Se consacrant alors à l’écriture, il se pose en défenseur acharné du capitaine Dreyfus, publiant le J’accuse de Zola dans L’Aurore où il est chef du service politique.
En mars 1906, la victoire du parti radical le propulse au ministère de l’Intérieur du gouvernement Sarrien. Son chef de cabinet, Émile Buré, le surnomme « le Tigre », après avoir assisté à une de ses colères envers un préfet. En octobre 1906, Sarrien étant malade, il accède enfin à la présidence du Conseil, à 65 ans ! L’agitation sociale l’empêche de réaliser son programme. Sa politique de répression, notamment envers les vignerons du Midi en 1907 et les mineurs du Pas-de-Calais en 1908, lui vaut le surnom de « briseur de grèves ». Parallèlement, il crée le premier ministère du Travail et de la Prévoyance sociale, établit le dimanche comme jour de repos et instaure un impôt progressif sur le revenu. Sa réforme de la police aboutit à la création des fameuses Brigades du Tigre, de la Mondaine, des fichiers de police criminelle et de l’Identité judiciaire. Le “Briseur de grèves” crée le premier ministère du Travail et établit le dimanche comme jour de repos.
Clemenceau perd la présidence du Conseil en 1909. En mai 1913, il lance son journal, L’Homme libre, suspendu un mois après la déclaration de guerre, car trop critique envers l’état-major. Avant de renaître sous le titre L’Homme enchaîné.
Le “Père la Victoire”
Président de la commission de l’Armée et de la commission des Affaires étrangères au Sénat depuis novembre 1915, il refuse toute paix de compromis. Poincaré fait appel à lui le 16 novembre 1917 pour le ministère de la Guerre et la présidence du Conseil. Clemenceau critique la façon dont est menée la guerre.
Bridgeman Images – Georges Clemenceau se rend dans les tranchées en septembre 1917 pour soutenir les poilus.
L’opinion publique le réclame. Le 17 novembre 1917, Clemenceau constitue son gouvernement et prend le ministère de la Guerre. À 76 ans, le Tigre ne ménage pas ses efforts et rend visite aux poilus. Sa popularité crève tous les plafonds. Il veut conduire ses soldats à « l’ivresse de la victoire ». Le 11 novembre 1918, celui que l’on surnomme le « Père la Victoire » prononce le discours de sa vie : « La France, hier soldat de dieu, aujourd’hui soldat de l’humanité, sera toujours le soldat de l’idéal. »
Bridgeman Images – Défenseur acharné du capitaine Dreyfus, il fait publier le “J’accuse” de Zola.
Plébiscité pour briguer la présidence de la République en janvier 1920, il est devancé par Paul Deschanel. Il tire alors sa révérence. Vaincu par une crise d’urémie, il rend les armes le 24 novembre 1929. Sa dernière volonté : qu’on dépose dans son cercueil des fleurs dont l’avaient honoré les soldats de 1914.
“Le Tigre et le Président”
Ce film retrace les luttes politiques entre Paul Deschanel, un idéaliste qui veut changer le pays, et Georges Clemenceau qui lui concède l’élection présidentielle en 1920. Inspiré de faits réels méconnus, ce long-métrage réhabilite ce personnage poétique, grâce à deux acteurs investis avec gourmandise : André Dussollier dans le costume de Clemenceau, et Jacques Gamblin, dans celui de Deschanel.
Dominique PARRAVANO
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