En lionne épanouie, Mélanie Thierry dévore les rôles, de Spike Lee au prochain Toledano
Elle ne regarde jamais de séries mais en a tourné deux coup sur coup pour Arte : « No Man’s Land », sur des combattantes kurdes en Syrie, qui sortira en octobre, et « En thérapie », de Nakache et Toledano, qu’elle a finie quinze jours avant le confinement et qui est programmée pour la fin de l’année. Elle est belle comme un cœur mais ne supporte pas qu’on le lui dise. On la prend régulièrement pour une autre, ce qui l’amuse ; mais quand on l’arrête dans la rue pour la féliciter, son premier réflexe est de botter en touche. « Je ne comprends pas pourquoi, mais chaque fois qu’on me fait un compliment, je n’y crois pas. Je prends toujours ça pour de la flatterie. »
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Elle a 38 ans et, sans artifices, en fait dix de moins. Quand d’autres se vautrent dans un narcissisme douloureux, Mélanie Thierry, elle, ne cherche pas à plaire et n’a de cesse d’essayer d’échapper à son image pour tenter d’aller vers des choses plus profondes. « On me trouve souvent antipathique, imbuvable, voire détestable, et même assez brusque, parfois. Je sais que ça me fait du tort. Depuis que je suis mère, j’essaie de m’améliorer. » Elle se froisse comme du papier de soie et se dérobe. Il lui a fallu beaucoup de temps, dit-elle, pour se débarrasser de sa timidité. Lumineuse, ni extravagante ni exubérante, encore moins exhibitionniste, mais pudique et réservée, elle est dans la vraie vie une femme facile à aimer.
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Quand j’ai commencé dans ce métier, j’avais 16 ans. Je ne donnais pas cher de ma peau
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Histoire de s’amuser, pour décrocher dans « Da 5 Bloods. Frères de sang » le rôle d’Hedy Bouvier, une baroudeuse démineuse sur fond de guerre au Vietnam, elle s’est fait « un look à coucher dehors ». Elle avait pris soin d’apporter de petits accessoires d’aventurière qui ont été pour elle autant de béquilles, une casquette, des lunettes, et un paquet de tabac à rouler pour avoir quelque chose à faire avec ses mains. Si elle s’est souvent sentie très vulnérable face à Spike Lee, qui, dit-elle, dégage une incroyable autorité naturelle, elle se souvient en revanche de ces deux mois de tournage en Thaïlande comme de moments aussi intenses que joyeux. Pour cause de confinement, c’est sur son ordinateur qu’elle a visionné le film pour la première fois. « J’aurais, bien sûr, préféré le voir dans la fièvre cannoise. Mais moi qui déteste les tapis rouges, être chez moi, allongée sur mon canapé, pas maquillée, en tee-shirt et en jean avec une coupe de champagne à la main a été un vrai bonheur ! »
Mélanie crève l’écran. Elle n’appartient pas à cette race de comédiennes pour qui jouer est une vocation, un besoin, et qui jurent avoir eu le feu sacré dès le berceau. « C’est l’évolution de ma vie qui a créé la nécessité. J’ai longtemps trouvé indécent d’étaler mes émotions face à la caméra. Comme je ne viens pas d’une famille d’artistes, j’avais l’impression de ne pas être légitime et de faire tache. » Les années passant, elle a enfin le sentiment d’être à sa place. L’engouement des critiques pour sa magnifique prestation en Marguerite Duras dans « La douleur », qui lui a valu une nomination aux César, y est pour beaucoup. « Quand j’ai commencé dans ce métier, j’avais 16 ans. Je ne donnais pas cher de ma peau. Richard Berry m’a dit un jour une chose qui reste gravée dans ma tête : “Méfie-toi, Mélanie. Aujourd’hui, tu es jeune et belle, la caméra t’adore. Mais, un jour, tout ça va disparaître. Alors travaille !” »
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Peut-être que, comme dit Houellebecq, tout va revenir en pire. Mais moi, je veux y croire
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Elle regrette de ne pas avoir fait de grandes études et craint, parce qu’elle a trop souvent dit, d’avoir blessé ses parents, qu’elle adore. Elle connaît l’importance du travail mais, pour elle, la vie passe avant tout. « J’essaie d’être une bonne amie, une bonne mère et une bonne épouse. Il paraît qu’on ne s’ennuie pas avec moi. C’est en tout cas ce que mon mari semble penser, puisque nous sommes toujours ensemble au bout de dix-huit ans ! » Son mari, c’est le chanteur Raphael. D’elle, il dit qu’elle est « une geisha combative ». « J’avais 20 ans et lui 25 quand nous nous sommes connus. On a grandi et évolué ensemble. On est tellement liés que, l’un sans l’autre, on a l’impression d’avoir un membre en moins. » Discrets, ils s’affichent rarement ensemble. « C’est peut-être le secret de notre longévité. » Elle avoue ne pas avoir une vision idyllique de l’amour et se voit davantage en paysanne, les pieds solidement sur terre en toutes circonstances, qu’en grande romantique.
Inévitablement, le sujet du confinement vient sur la table. « Cette période a été pour nous une expérience unique et très épanouissante. Nous sommes très unis. On s’aime, on rit beaucoup et on a, je dois dire, vécu des moments merveilleux. Même si l’école a manqué cruellement à mes deux garçons, je les trouve encore plus épanouis qu’avant. On a surtout eu la chance qu’il n’y ait pas de casse autour de nous. Tous les matins, en allant faire mon jogging, j’ai réalisé, devant tous ces balcons fleuris, à quel point les gens ressentaient le besoin de revenir à la nature. » Si elle évite de se poser trop de questions sur ce futur en clair-obscur, elle aime imaginer que ce temps à l’arrêt, où le ciel s’est vidé de ses avions, où l’on pouvait croiser des renards au Père-Lachaise et un sanglier sur la Croisette, va pousser les gens à se réinventer. « Peut-être que, comme dit Houellebecq, tout va revenir en pire. Mais moi, je veux y croire. »
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J’ai une conscience politique mais pas une âme militante
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Sollicitée, comme toutes les actrices, pour défendre des causes variées, elle est prudente et garde ses distances. « J’ai une conscience politique mais pas une âme militante. A l’école, je n’ai jamais levé le doigt pour aller au tableau, parce que j’étais pétrifiée. Je ne vais pas lever la main, maintenant, pour donner des mots d’ordre ou dire ce que je pense. Les personnages que je joue dans les films parlent pour moi. Aujourd’hui, dès qu’on l’ouvre, on s’en prend plein la tête. Cela dit, je trouve très courageux que d’autres le fassent. » Si elle est, évidemment, pour que la parole des femmes se libère, et si elle trouve que le combat féministe est juste, elle n’en pense pas moins qu’il serait préférable, parfois, de prendre un peu de recul. « Je suis quelqu’un de très réservé. A priori, tout ce qui engendre des excès me dérange. »
Sa seule certitude, aujourd’hui ? Celle de passer en famille, comme tous les ans, le réveillon de la Saint-Sylvestre dans la petite maison du bord de mer qui ressemble à un château écossais. Tout le monde portera le kilt : « Je suis très attachée aux fantômes et j’adore me déguiser ! »
Son actu : « Da 5 Bloods », de Spike Lee, sort le 12 juin sur Netflix.
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