Jean-Michel Othoniel : "J’ai travaillé avec des verriers qui soufflent le verre comme il y a plus de 2000 ans"

À Paris, son exposition «Le Théorème de Narcisse» enchante le Petit Palais. Mais c’est en Inde, chez les maîtres verriers de l’Uttar Pradesh, que l’œuvre du sculpteur-poète a pris sa source. Voyage au pays des briques-symboles et des bulles de magie.

Pendant huit ans, Jean-Michel Othoniel a rêvé d’Inde, mais le pays se refusait à lui. «Très tôt, j’ai voulu travailler avec les verriers indiens, sans succès», raconte l’artiste à l’affiche actuellement au Petit Palais, à Paris, avec l’exposition Le Théorème de Narcisse. «Je n’avais pas de contacts. J’ai cherché un village de verriers, mais je n’avais pas d’accès, je ne parlais pas la langue et, eux, aucune autre à part l’hindi. Ces verriers travaillent dans des petits ateliers artisanaux qui ne reçoivent pas d’invité et ils ne comprenaient pas ce qu’un artiste viendrait faire avec eux. Je voulais également m’assurer que l’atelier avec lequel je travaillerais n’emploie pas d’enfants, ce qui est souvent le cas.»

En vidéo, en création avec Jean-Michel Othoniel

Finalement, c’est en 2010, grâce à l’ambassade de France à Delhi, qu’une porte s’ouvre dans une petite ville de l’Uttar Pradesh, Firozabad, non loin du Taj Mahal. C’est encore une épopée de s’y rendre. Il n’y a ni train, ni avion, et il faut faire appel à un chauffeur, car «conduire sur les routes indiennes relève du suicide», plaisante à peine l’artiste. Il n’y a pas non plus d’hôtel où séjourner pendant deux mois. Qu’à cela ne tienne : après négociations, Jean-Michel Othoniel dormira finalement au poste de police, avec l’accord du commissariat local !

Vision spirituelle

«Je voulais travailler avec ces verriers qui soufflent le verre comme il y a plus de deux mille ans, avec des pigments naturels, des impuretés. Ils ont leur propre savoir-faire, qui reste inconnu pour nous. Pour eux, le verre tient aussi de la spiritualité. Ils ont une vision de ce matériau qui est différente de la nôtre, beaucoup plus féerique, liée à l’architecture, au mobilier. Les grands maharajas faisaient réaliser des chandeliers extraordinaires, des fauteuils en verre. Le verre indien est onirique et merveilleux. Il est lié au bijou, aux copies de pierres précieuses. À Firozabad, on voit des gens assis sur des piles de faux diamants, de faux rubis, de fausses émeraudes réalisés pour les mariages ou les fêtes.» C’est ce qui permet à ces entreprises de vivre. Sans cette culture du bijou, des bracelets que les frères et les sœurs s’offrent mutuellement une fois par an, ou encore les sept bracelets de verre que portent les femmes, conformément à la tradition, les verriers indiens auraient disparu, emportés à leur tour par la concurrence chinoise.

L’exposition « Le Théorème du Narcisse » de Jean-Michel Othoniel au Petit Palais. (Paris, le 2 octobre 2021.)

Jean-Michel Othoniel a donc débarqué là-bas avec son verrier, Matteo Gonet. Les deux hommes découvrent un monde qui n’a pas bougé depuis des centaines d’années. Les cannes de soufflage sont primitives, il faut donc beaucoup plus de souffle aux artisans pour les utiliser. «C’est un métier très beau mais très dur, qui demande beaucoup d’énergie, et également de pouvoir résister non seulement à la chaleur du verre mais aussi à celle du pays.» Un climat tellement éprouvant que Jean-Michel Othoniel est tombé malade et qu’il en porte, aujourd’hui encore, les séquelles. «Mais, avec ce travail, nous étions dans une grande communion», insiste-t-il.

Briques oniriques

«Ici, le verre est proche de l’univers du conte, explique l’artiste. Je voulais créer à Firozabad quelque chose qu’il m’aurait été impossible de réaliser nulle part ailleurs, une œuvre inspirée de la culture, qui soit le reflet du pays.» Jean-Michel Othoniel remarque des piles de briques le long des routes d’Inde, partout où il va. «J’ai compris que les Indiens achetaient leur maison brique par brique avant de pouvoir la construire. Cela m’a beaucoup ému parce que ce désir, nous l’avons tous, où que nous soyons. Ces piles de briques, ce sont des piles d’espoir, de rêve. Avec le verrier, nous nous sommes dit : “Nous allons souffler une brique !” Souffler un cube, c’est une opération très difficile. Il a fallu créer un moule pour recevoir la brique de verre et la réaliser dans les couleurs de l’Inde – ambre, bleu turquoise, jaune safran… «Ce sont comme des lingots de rêve.» Pour réaliser l’exposition du Petit Palais, il a fallu réaliser 10 000 briques de verre, «c’est-à-dire 10 000 souffles d’homme», explique l’artiste avec poésie.

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«La brique a construit des civilisations, mais celle que j’ai créée est fragile. Elle doit être enchâssée de manière invisible, comme les pierres précieuses, dans une structure invisible. La Rivière, dans le sous-sol du Petit Palais, est un assemblage de 2 000 briques d’une couleur spécifique, le firozi blue. C’est aussi le bleu de notre berceau européen, souligne Jean-Michel Othoniel. Il existe de la Méditerranée à Firozabad. Ensuite, c’est le bleu céladon, avec de l’oxyde de cuivre. Le firozi blue, c’est la couleur de notre culture indo-européenne, c’est elle qui nous relie.»

«Le Théorème de Narcisse», jusqu’au 2 janvier 2022, au Petit Palais, à Paris. petitpalais.paris.fr

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