INTERVIEW – Enora Malagré atteinte d’endométriose : « La maladie m’a pris mon corps »

Jusqu’au 13 mars, se déroule la semaine de prévention sur l’endométriose, l’occasion de parler de cette maladie dont souffre une femme sur dix dans le monde. Depuis douze ans, Enora Malagré est atteinte de cette maladie gynécologique longtemps ignorée. Après s’être confiée dans un livre intitulé Le cri du ventre, elle continue de briser le tabou. Rencontre.

L’endométriose touche 2,5 millions de femmes en France. Longtemps oubliée, cette maladie gynécologique est un énième combat que les femmes portent à bras-le-corps. Atteinte depuis douze ans, Enora Malagré est devenue l’une des porte-parole de cette maladie, actuellement incurable. À l’occasion de la semaine de prévention sur l’endométriose qui se termine ce dimanche 13 mars, la marraine de l’association Info Endométriose, a accepté de parler de la méconnaissance de la maladie auprès du grand public et du manque de recherche dans le monde médical.

Gala.fr : Vous êtes atteinte d’endométriose depuis douze ans, comment a évolué votre rapport à votre corps ?

Enora Malagré : Le rapport à mon corps après douze ans de maladie est désastreux. Douze ans d’endométriose ça laisse des séquelles profondes aussi bien physiques que psychologiques. Comme il n’y a pas de traitement qui fonctionne sur moi, mon corps a été déformé par les nombreux médicaments. J’ai pris énormément de poids, j’ai perdu mes cheveux… À 41 ans, je ne me reconnais pas vraiment. Je n’ai plus grand-chose à voir avec la jeune fille insouciante que j’étais qui a découvert la maladie.

Gala.fr : Et psychologiquement, comment allez-vous ?

Enora Malagré : Quant aux ravages psychologiques, je ne vous en parle même pas. Tout ça s’accompagne d’une perte de confiance en soi et socialement, les rapports sont très différents. Moi qui étais très sûre de moi et très légère, je suis devenue très craintive et assez sombre. La maladie m’a beaucoup pris. Elle m’a pris mon corps et toute la confiance que j’avais.

Gala.fr : Êtes-vous en colère contre votre corps ?

Enora Malagré : Ce n’est pas de la colère, c’est plus profond que ça. La colère, ça pourrait s’apaiser. Mon corps, je le rejette. C’est plutôt une forme de dégoût et de profonde tristesse. Après oui, je suis en colère d’être malade. Je me demande pourquoi moi.

Gala.fr : Comment vit-on avec l’endométriose ?

Enora Malagré : Ce n’est pas vraiment vivre. On va dire que c’est plus de la survie qu’autre chose. Comme c’est une maladie très handicapante, on vit a minima. On est fatiguée tout le temps. On a mal en permanence. On a tendance à se désocialiser.

https://www.instagram.com/p/Cau4I8vK-fs/

A post shared by Enora Malagré (@enoramalagre)

Gala.fr : Comment se manifestent vos crises d’endométriose ?

Enora Malagré : Ça vous frappe à des moments inopportuns : en plein rencard, en entretien d’embauche… Parfois, j’ai eu des crises en direct à la télévision. Il n’y a pas de préavis. Elles débarquent comme ça même si on commence à connaître les signes avant-coureurs. Ce qui est assez rare, c’est que je n’arrive pas à marcher quand j’ai des crises. Parfois, je suis obligée de m’aider d’une canne. À 41 ans, c’est assez traumatisant.

Gala.fr : Après des années à souffrir, avez-vous trouvé un traitement qui vous convient ?

Enora Malagré : Il n’y a aucun traitement qui guérit l’endométriose donc j’enchaîne les traitements qui ne fonctionnent pas. Je fais des allers-retours entre la pilule en continu et puis rien du tout. En ce moment, j’en ai un peu marre de la chimie. Je me rends compte qu’on est énormément de femmes à rejeter les traitements alors j’explore les médecines parallèles. Et d’ailleurs, je ne vous cache pas que ça m’aide.

Gala.fr : L’endométriose provoque l’infertilité. C’est votre cas. Vous avez abordé la possibilité d’avoir recours à l’adoption, où en êtes-vous dans votre démarche ?

Enora Malagré : Envisager une autre façon d’être maman, c’est toujours dans ma tête. C’est compliqué d’en parler. J’ai toujours envie de pleurer quand j’évoque ce sujet… C’est le grand drame de ma vie de ne pas être mère. Je me réveille tous les matins avec cette tristesse-là. Ça a détruit un peu ma vie. Il faut encore que je me répare.

Gala.fr : Subissez-vous l’injonction d’avoir des enfants ?

Enora Malagré : Je la subis. “Pourquoi tu n’as pas d’enfants”, c’est une réflexion récurrente. Mais à chaque fois qu’on me pose cette question, je me refais tout le chemin de mes échecs pour devenir mère. J’en ai vraiment ras le bol des injonctions.

>> Amel Bent, Meghan Markle, Adriana Karembeu…Découvrez ces 20 célébrités qui ont brisé le tabou de la fausse couche

Gala.fr : Quand est-il des remarques misogynes ?

Enora Malagré : Ce qui nous terrasse est de silencier notre douleur. Être considérée comme une femme faible, je l’ai vécu. Mais quand j’ai mis un mot sur ma maladie, ça m’a donné un peu plus de force pour répondre. Même si j’avais du mal à dire le terme, je répondais : “Bon, tu es gentil, mais j’ai une maladie chronique.”

Gala.fr : Malgré vous, vous êtes devenue une porte-parole de ce combat. Avez-vous l’impression de jouer un rôle important ?

Enora Malagré : À mon très modeste niveau, j’ai l’impression d’aider un peu. Je ne suis pas seule. Imany aussi fait un travail formidable pour faire entendre la maladie. Il y a aussi les différentes associations, je pense notamment à Info Endométriose dont je suis la marraine. Collectivement, on a réussi à ce qu’on en parle. Le problème, c’est qu’il n’y a pas assez de sous pour la recherche. Il y a encore beaucoup à faire.

https://www.instagram.com/p/Ca14R2cKa16/

A post shared by Enora Malagré (@enoramalagre)

« Je m’engage pour les générations futures »

Gala.fr : Il faut près de sept ans pour émettre un diagnostic. Aujourd’hui, le gouvernement renforce la formation initiale des professionnels de santé. Qu’en pensez-vous ?

Enora Malagré : Pour l’instant, il ne se passe rien. Mais effectivement, il est temps que nos jeunes médecins soient formés à l’endométriose. Le dialogue entre les patients et les médecins est aussi très important. On a eu du mal, mais avec le temps, le dialogue s’installe. On n’est pas sur les confrontations qu’on a connues avant.

Gala.fr : Le gouvernement se positionne sur le sujet, c’est un bon début non ?

Enora Malagré : On attend les actions. Mais c’est toujours pareil… On connaît le problème des politiques, ils parlent beaucoup. Parfois, on a envie de baisser les bras, mais il faut être optimiste. Actuellement, je crois que nous sommes sur un joli chemin avec, par exemple, les 25 millions qui sont proposés pour la recherche médicale. À force de faire du bruit, je pense qu’on a enfin été écouté.

« C’est normal que tu aies mal, tu as tes règles ».
Non, ce n’est pas normal. La douleur n’est pas « un mauvais moment à passer », on ne peut pas lui demander d’être sage.
Aujourd’hui, le combat s’intensifie et je lance la Stratégie nationale de lutte contre l’#Endometriose. pic.twitter.com/w6grce9rAC

Gala.fr : Selon une étude menée par Heroic Santé, une personne atteinte d’endométriose dépense 150 euros par mois pour se soigner. Cette somme vous choque-t-elle ?

Enora Malagré : Oui, bien sûr. Cette somme me choque. Il y a des statuts de remboursement qu’il faut changer. C’est important.

Gala.fr : Et discutons du test salivaire…

Enora Malagré : Cette histoire de test pourrait changer la vie des femmes. Mais déjà, il n’est pas breveté. Et même s’il est breveté, dans un premier temps, il coûtera environ 400 euros. Vous imaginez ? Personne ne pourra se le payer. Il va falloir se battre aussi pour que ce soit remboursé. Ça reste des petites fenêtres d’espoir quand même.

Gala.fr : Avez-vous l’espoir qu’un traitement puisse enfin guérir l’endométriose ?

Enora Malagré : Je vous le dis très sincèrement, je pense que je serais morte quand ça arrivera. J’ai tendance à dire que c’est un peu foutu pour moi. Alors, je m’engage pour les générations futures. Je rêve que la jeune génération ne subisse pas l’errance médicale et l’indifférence qu’on a pu vivre.

Crédits photos : ABACA

Autour de

Source: Lire L’Article Complet