Dans un livre poignant que beaucoup auraient tenté de censurer, la maman d’Aurore dévoile pour la première fois sa terrible vérité sur son histoire avec l’acteur…
La ressemblance entre Aurore Drossart et Yves Montand a toujours été des plus frappantes. Mais cette histoire de filiation n’a cessé de faire couler l’encre et d’échauffer les esprits. D’abord reconnue comme fille du chanteur en 1994, Aurore sera reléguée au rang d’illégitime après une exhumation du corps de son père en 1998. Mais, il était impossible que les choses en restent là.
Pour la toute première fois, Anne, la mère d’Aurore, que l’acteur a tant aimée il y a cinquante ans et avec laquelle il aurait vécu deux années de passion aussi folle que réciproque, se livre sans détour. Dans Yves Montand, cette enfant qui te tendait les bras, paru aux éditions de L’Archipel, elle raconte tout. À quel point elle a adoré la star de La Folie des grandeurs (1971) et comment elle en est venue à le détester. Avec cette question toujours présente, trente-cinq ans plus tard : « Comment peut-on faire preuve d’autant de mépris et de méchanceté vis-à-vis d’une enfant qui recherche juste son père ? »
France Dimanche : Après tant d’années, pourquoi choisir d’écrire votre histoire maintenant ?
Anne Drossart : Oh, mais ce n’est pas nouveau ! Ce livre était écrit depuis très longtemps, mais on m’a empêchée de le sortir. Dès 1994 très exactement, date à laquelle Aurore, ma fille, a été, après deux ans d’enquête pénale et cinq ans de procès, reconnue officiellement comme l’enfant de Montand. Plusieurs éditeurs m’avaient à l’époque contactée, et même fait des avances financières, pour finalement se dégonfler. Puis en 1998, au moment de l’exhumation du corps de Montand, rebelote, certains m’ont à nouveau approchée et, par je ne sais quel mystère, ont aussi fait marche arrière. Mais, animée depuis toutes ces années par le souhait de révéler ma vérité, poussée par Aurore qui reste meurtrie par cette terrible injustice et certainement aussi parce que je viens de faire deux AVC, j’ai pensé qu’il était vraiment temps. J’ai écrit le dernier chapitre, jusqu’à aujourd’hui, et espère de tout cœur que les gens comprendront enfin ce qu’il s’est réellement passé.
“Son exhumation a été une vraie mascarade !”
FD : Deux AVC ?
AD : Oui, un double en 2017, et un autre en 2021. Dieu merci, je ne m’en sors pas trop mal, même si je dois désormais prendre des médicaments à vie. Et moi qui avais l’habitude de faire des kilomètres à pied, eh bien aujourd’hui je me contente de quelques pas dans le jardin.
FD : En 1994, Aurore était officiellement reconnue comme la fille légitime de Montand…
AD : Oui, après une enquête menée par la brigade financière, avec des gens droits et honnêtes, ce qui dénotait beaucoup de tout ce qu’on a pu voir par la suite en matière de mensonges, coups bas, hypocrisie, dissimulations… Il y a plein de noms que je n’ai malheureusement pas pu citer, mais on comprend bien de qui je parle en lisant mon livre. Malgré d’énormes pressions, beaucoup ont quand même eu le cran de témoigner de ma relation avec Montand, je ne les remercierai jamais assez.
FD : Vous dites qu’il a tout envisagé pour vous faire taire…
AD : Et même de me faire tuer ! En me fracassant le crâne ou en tentant de m’écraser avec une voiture. Mais ses hommes de main ne s’attendaient pas à tomber sur une nana qui allait les braquer avec un flingue en pleine rue. J’avais quand même dû prendre un garde du corps pour Aurore, qui était petite et avait peur. Moi, on ne m’effraie pas comme ça, même si, avec des amis, on était contraints de faire des rondes jour et nuit autour de la maison.
FD : Puis en 1998, l’exhumation du corps de Montand occasionne un vrai retournement…
AD : En effet. Le plus dingue est qu’on nous ait attribué la demande de cette exhumation. Mais Aurore ayant été reconnue comme la fille de Montand en 1994, pourquoi aurions-nous fait ça ? Ça n’a pas de sens ! Non, ce sont Catherine Allégret, fille de Simone Signoret adoptée sur le tard par Montand, et Carole Amiel, sa dernière compagne, qui, alors qu’elles se détestent et se déchirent pour trois sous, s’étaient unies afin d’orchestrer cette macabre opération, ce dans le but d’évincer par tous les moyens Aurore de l’héritage. Mais tout ça n’a été que machination !
“Nous avons reçu des messages monstrueux, disant qu’elle devait se suicider et sa saleté de mère aussi !”
FD : Ah bon, mais pourquoi ?
AD : Ça s’est fait de nuit, devant une tombe, dont on ne sait même pas si c’était la bonne, face à un cercueil déjà descellé et donc une dépouille qui n’était certainement pas celle de Montand. Avec un procureur et des légistes qui ne portaient aucune protection, ni gants, ni charlotte, ni combinaison, qui postillonnaient et fumaient au-dessus du cadavre. Donc, je vous laisse imaginer le sérieux de tout ça. À sa mort, Montand avait soi-disant subi une thanatopraxie, c’est-à-dire un soin de conservation. Comme Dalí qui, lorsqu’on a ouvert son cercueil il n’y a pas si longtemps, là aussi pour des histoires d’héritage, était quasi intact. En tout cas, c’était lui. Alors que pour Montand, nous n’avons découvert qu’un simple squelette qui pouvait être celui de n’importe qui. Bref, mais le plus odieux est que, pour tout le monde, nous sommes les horribles bonnes femmes qui avions demandé cette exhumation. Mais non, il faut que les gens comprennent que non ! Car, avec Aurore, nous avons reçu des messages monstrueux, disant qu’elle devait se suicider et sa saleté de mère aussi. Des horreurs !
“En tenant Aurore dans ses bras, j’ai pourtant cru qu’il craquerait…”
FD : La disparition brutale d’Yves Montand, le 9 novembre 1991, a tout bouleversé ?
©DC
AD : Oui, car moi j’ai attaqué Montand vivant, pas mort ! Lorsqu’en 1988, il se réjouissait d’être papa pour la première fois de Valentin. En entendant ça, Aurore, qui avait 13 ans à l’époque, m’a dit : « Mais maman, tu ne vas quand même pas laisser dire ça ? ! » Et si j’ai attendu de 1975 – naissance d’Aurore – à 1988, c’est parce que je gardais le secret espoir que les choses se fassent naturellement. Qu’en recroisant Montand avec ma fille, avec sa fille, il se passerait quelque chose. C’est d’ailleurs pour ça que j’ai intitulé mon livre : Cette enfant qui te tendait les bras. J’avais la naïveté de penser qu’en la voyant, en la prenant dans ses bras – puisque c’est arrivé ! –, en se rendant compte à quel point elle lui ressemblait, il finirait par craquer. À Rome, par exemple, alors qu’il tournait Le Grand Escogriffe (de Claude Pinoteau, 1976) et que j’y faisais des photos, nous nous sommes retrouvés dans le même hôtel. Aurore avait environ six mois, et nous déjeunions tous les trois quasiment tous les jours. Mais non, c’était bien mal le connaître !
“Simone m’avait confié que si elle devait adopter tous les enfants de Montand, elle en aurait 40 !”
FD : Vous avez même rencontré son épouse…
AD : Oui, à cette occasion, Simone m’avait dit : « Si j’avais dû adopter les enfants de Montand, j’en aurais au moins 40 ! » Cette femme a supporté tant de choses. J’ai eu beaucoup de pitié pour elle, au point d’ailleurs qu’on a même pleuré toutes les deux un jour au téléphone. Je ne connais pas beaucoup de femmes qui accepteraient tout ce qu’elle a accepté. Mais elle était très amoureuse. Moi aussi je l’étais, mais je n’avais que 20 ans, et combien de fois je suis allée le retrouver avec l’envie de le jeter. Mais dès que j’étais devant lui, je craquais.
FD : Aujourd’hui, en 2023, où en êtes-vous de cette bataille ?
©julien de fontenay/france dimanche
AD : Bien malheureusement, le jugement de 1998 qui a fait suite à l’exhumation est venu balayer celui de 1994. Donc Aurore n’est plus reconnue comme la fille de Montand. C’est pourquoi notre souhait aujourd’hui est de dire la vérité, que les gens sachent. Ras-le-bol de ce tissu de mensonges et d’ignominies. L’injustice est tellement horrible et on a trop souffert.
FD : Vous parlez d’autres enfants…
AD : Oui, il a eu un fils, Vincent, avec Francette Vernillat [1937-2019, ndlr], une actrice spécialisée dans le doublage. Elle ne lui avait jamais dit que Montand était son père, jusqu’à ce qu’il ait 19 ans et lui dise qu’il souhaitait être comédien. Là, de peur qu’il l’apprenne par quelqu’un d’autre, car c’était un secret de polichinelle dans le métier, elle a préféré tout lui avouer. De ce fait, le gamin a voulu rencontrer son père, lequel lui a dit qu’il était hors de question qu’il le reconnaisse, et que s’il voulait faire du cinéma, peut-être l’aiderait-il. Ce qu’il n’a évidemment jamais fait.
FD : Avez-vous jamais regretté d’avoir un jour croisé la route de Montand ?
AD : Si, bien sûr. Et en même temps, je n’aurais pas eu Aurore. C’est mon seul enfant, et je ne sais pas du tout si j’aurais pu en avoir un autre après. Donc, pour ça, non. Mais pour tout le reste, oui. Comment pouvions-nous imaginer une seconde l’enfer que nous allions vivre ? Moi qui étais sûre que cette petite fille serait blonde avec des yeux clairs comme je l’étais. Mais non, raté, puisqu’elle a la tête de son père.
FD : Comment vivez-vous cette ressemblance justement ?
AD : Pas très bien. Aux côtés d’Aurore, j’avais l’impression de continuer à vivre avec Montand. Et plus elle grandissait, plus elle lui ressemblait. Pour sa part, ce n’est pas lui ressembler qu’elle vit mal, c’est le fait d’avoir toujours été rejetée, privée de son père. J’ai pourtant tout essayé. Un jour, où on s’est recroisés à La Colombe d’Or à Saint-Paul-de-Vence, je la lui ai collée dans les bras, et là j’ai encore cru que ça allait le faire. Il a posé sur elle un regard si tendre… Mais non, il a rapidement repris le masque de l’indifférence.
FD : Si vous aviez su tout ce qui vous attendait, auriez-vous fait autrement ?
AD : Je n’aurais pas imaginé une seconde que ça puisse se passer ainsi. Aurore a très mal vécu le décès de Montand, écrivant dans son journal : « Montand est mort, mon père est mort ! » Tant qu’il était vivant, elle gardait espoir. Elle se disait qu’en vieillissant il prendrait peut-être conscience de certaines choses et accepterait sa main tendue. Jamais nous n’avons cherché la guerre. Et malgré sa disparition, Aurore a encore tenté un rapprochement en envoyant des fleurs et un petit mot à Carole Amiel et à Valentin. Mais là aussi, qu’indifférence et mépris.
FD : Qu’attendez-vous de la sortie de ce livre ?
AD : Que les gens sachent enfin la vérité ! Qu’ils comprennent que ce n’est pas l’ADN qui a parlé, comme on l’a dit en 1998, mais bien les faussaires. À l’aide de preuves, je démonte toutes leurs manigances.
FD : Si tout ça avait lieu aujourd’hui…
AD : À trois reprises, Montand a été convoqué pour donner son sang, il n’est jamais venu… Et pour cause. Aujourd’hui, les choses seraient bien différentes, car refuser de se soumettre à un test ADN incite les juges à conclure à « un aveu tacite de paternité ». Vous ne voulez pas donner votre sang, eh bien vous êtes le père ! Tout ça se passerait maintenant, on n’en serait pas là.
FD : Pensez-vous que vos récents pépins de santé découlent de ce long combat ?
AD : Très nettement. Quand on se remémore tout ce qu’on a enduré pendant près de trente-cinq ans, ce n’est pas vraiment étonnant. Tant d’années qui ont foutu ma vie en l’air ! Physiquement, financièrement, j’y ai laissé pas mal de plumes.
FD : Vous qui étiez très chanceuse aux jeux, pourquoi ne pas avoir continué ?
AD : Parce qu’après avoir gagné énormément d’argent en 1977, j’ai décidé d’arrêter, je ne le sentais plus. Et je devais élever Aurore, toute seule, donc je ne pouvais pas me permettre de faire n’importe quoi. Et de risquer de me retrouver ruinée.
FD : Comment va Aurore aujourd’hui ?
AD : Elle est depuis dix ans avec son chéri, qui la rend très heureuse et la sécurise, chose dont elle avait grand besoin. Un problème d’endométriose l’empêche d’être maman, et par conséquent moi, d’être grand-mère, ce qui m’attriste beaucoup car j’aurais adoré. Son souci de santé n’est à mon sens pas la seule cause de son échec. Ceux avec son père, l’abandon, le rejet, ces années de combat n’ont rien arrangé. Mais bon, c’est comme ça, elle a aujourd’hui 47 ans et s’est fait une raison. Moi, ça restera mon grand regret.
FD : Que ressentez-vous en repensant à Montand et vous ?
AD : Je n’avais que 20 ans, j’étais très jeune, mais lui en avait 54 ! Ce n’était plus un gamin. À cet âge, on sait ce que l’on fait, et surtout ce que l’on risque lorsqu’on ne se protège pas. Et puis, ça n’a pas été juste le coup d’un soir entre deux portes, comme certain(e) s l’ont trop souvent insinué, mais bien une jolie histoire qui a duré deux ans. Deux années durant lesquelles, à aucun moment Montand n’a montré qu’il fallait faire attention, qu’il ne voulait surtout pas de ça, et n’a cherché à prendre toutes les précautions nécessaires pour éviter que cela n’arrive. Il était inconscient, tant pis pour lui. Or, moi, je n’ai pas fait exprès de tomber enceinte. Tant que Montand était vivant, il était évident qu’Aurore serait reconnue comme sa fille, ce qu’elle a d’ailleurs été. Mais à partir du moment où il est mort, ça n’a été qu’un enchaînement de mensonges et d’abjections. Je ne pensais cependant pas qu’on puisse avoir autant de haine et méchanceté vis-à-vis d’une enfant qui est juste en quête d’un père.
À lire…
Yves Montand, cette enfant qui te tendait les bras, d’Anne Drossart, éd. de L’Archipel, 21 €.
Source: Lire L’Article Complet