Anne Goscinny est l’héritière de l’œuvre de son père, René Goscinny. De sa mémoire. Alors, elle veille, supervise et raconte l’histoire du scénariste comme dans le film d’animation, Le petit Nicolas – Qu’est-ce qu’on attend pour faire la fête, en salles le mercredi 12 octobre. Pour Gala, elle feuillette avec émotion son album souvenir.
Lorsqu’on a grandi en lisant les aventures d’Astérix, de Lucky Luke, d’Iznogoud ou du Petit Nicolas, difficile de ne pas avoir des étoiles plein les yeux quand on pénètre dans les bureaux parisiens de la maison d’édition qu’Anne Goscinny a fondée avec son mari, Aymar du Chatenet, en 2004. Un énorme Obélix trône au fond du couloir, des statuettes, des affiches, des objets de décoration à l’effigie de tous les personnages créés par René Goscinny. Des centaines de mètres de rayonnages de bibliothèques remplis d’albums rappellent la richesse de l’univers du créateur génial, parti trop tôt, en 1977, à 51 ans. Anne n’avait que 9 ans à l’époque. Depuis, elle est devenue la gardienne de la mémoire de son papa. Lorsqu’elle n’écrit pas elle-même des romans – le dernier, Romance (Grasset) est paru en juin, et le 7e volume de la série Le monde de Lucrèce (Gallimard Jeunesse), le 1er septembre –, elle veille sur l’œuvre paternelle et même la raconte. Comme dans Le petit Nicolas, qu’est-ce qu’on attend pour faire la fête (en salles le mercredi 12 octobre, un formidable film d’animation sur l’histoire de Goscinny et du dessinateur Sempé. Pour l’occasion, elle nous a ouvert les archives de son père et partagé ses secrets de famille.
GALA : Quelle émotion avez-vous ressentie en voyant votre père revivre sous forme de personnage animé ?
ANNE GOSCINNY : En fait, avant de le voir sur un écran, j’ai commencé par l’écrire. Je me suis donc retrouvée à animer verbalement mon père, je l’ai fait parler et en quelque sorte, je l’ai dirigé. Symboliquement, c’est très fort, et finalement assez joli. Grâce à ce film, il est passé du statut de personne à celui de personnage. Pour un homme qui en a créé des milliers, en devenir un lui-même, c’est une jolie façon de boucler la boucle.
GALA : Est-ce que vous considérez le Petit Nicolas comme un petit frère ?
A. G. : Mon lien avec ce personnage évolue avec l’âge. C’est le seul que j’ai découvert alors que mon père était encore vivant. Il a pu m’entendre rire lorsque je lisais ses histoires. Je m’imaginais même qu’il me racontait ses souvenirs d’enfance. Après cette étape d’identification entre mon père et le Petit Nicolas, en grandissant, je l’ai vu comme un frère de papier, comme le sont aussi Astérix, Lucky Luke, Iznogoud… Par la suite, en devenant mère, je me suis rendue compte que je devenais une maman, portant sur lui un œil plus tendre et maternel. Et si vous m’interrogez dans vingt ans, j’en aurai 74, je vous dirai alors que je m’identifie à sa grand-mère. J’espère avoir plein de petits-enfants, et comme elle, sortir de mon sac tout un tas de bonbons et de jouets !
GALA : Comment avez-vous écrit l’histoire ?
A. G. : On a fait un travail très précis de recherche dans les archives et dans l’abondante correspondance de mon père… Et puis il y a mes souvenirs. Moi seule sais les mots qu’il aurait dû employer et les gestes qu’il aurait pu faire. J’ai l’oreille absolue de son œuvre.
GALA : Comment est-ce possible alors que vous n’aviez que 9 ans lorsqu’il est décédé ?
A. G. : Ma mère lui a survécu pendant presque dix-sept ans, donc jusqu’à l’âge de 25 ans, elle m’a beaucoup parlé de lui. Il existe aussi énormément d’archives télévisuelles qui m’ont permis de ne jamais cesser d’entendre sa voix.
GALA : Vous souvenez-vous de la dernière fois où vous l’avez vu ?
A. G. : Cette image reste gravée en moi. Il était 9 heures du matin, je prenais mon petit déjeuner dans la cuisine. Il partait pour son rendez-vous avec son cardiologue qui devait lui faire réaliser ce test d’effort qui lui a été fatal. Il m’a dit «À tout à l’heure mon petit chat!», je lui ai répondu «À tout à l’heure papa ». Je le vois encore comme s’il était devant moi.
GALA : Au-delà de cet instant précis, quels souvenirs gardez-vous de lui ?
A. G. : On est tous les deux, on marche dans notre quartier, on va acheter des cornichons, il adorait ça. Ce sont des sensations aussi, ma petite main dans sa grande main. Il y a des événements précis, bien sûr, mais qui sont difficiles à raconter. J’en ai fait un livre, Le bruit des clés.
GALA : Vous êtes-il arrivé, inconsciemment, de vous forger des souvenirs à travers ceux de personnes qui l’ont connu plus longtemps ?
A. G. : Vous mettez le doigt sur ce qu’il y a de plus difficile. On me parle tellement de lui que parfois je ne fais plus la différence entre les moments que j’ai vécus avec lui et ceux qui m’ont été racontés. Grandir avec cette absence, c’est agréger ses propres souvenirs à ceux des autres.
GALA : Pensez-vous avoir fait le deuil de votre père ?
A. G. : J’ai fait mieux, j’ai fait le deuil du deuil. C’est déjà un choc horrible de perdre ses deux parents très jeune, pourquoi est-ce qu’il faudrait les enterrer une seconde fois en les oubliant. Je vis sans eux, je suis tombée amoureuse, j’ai fait des enfants, j’ai des copains, je rigole, j’ai cessé d’essayer de développer cette blessure. Maintenant, j’arrive à la regarder en face. Plutôt que faire comme si elle n’existait pas, je l’apprivoise. Chacun sa technique.
GALA : Vous êtes la gardienne de la mémoire de René Goscinny, est-ce un rôle parfois lourd à porter ?
A. G. : Lourd non. Le nom de mon père est toujours synonyme de rire, de sourire, de souvenirs de lecture. Les plus beaux témoignages que je peux recevoir, c’est quand on me dit : « J’ai appris à aimer lire grâce à ton père. ». Grâce à lui, les enfants se rendent compte que les mots ne sont pas des ennemis, mais qu’on peut s’amuser follement avec eux.
GALA : Avez-vous transmis cette histoire familiale à vos enfants, Simon et Salomé, âgés de 21 et 19 ans ?
A. G. : Contrairement à beaucoup d’enfants qui n’ont pas eu la chance de connaître leurs grands-parents, les miens ont pu voir et entendre leur grand-père parler grâce à des reportages à la télévision. Un jour, Simon, quand il avait 7 ou 8 ans, a dit à un de ses copains: «Tu sais, mon grand- père est mort, mais c’est pas grave, il est rigolo quand même. » L’image de mes enfants lisant un Petit Nicolas, un Astérix ou un Lucky Luke et riant des calembours trouvés par mon père, c’est merveilleux. Simon et Salomé ne pleurent pas, ils rient. Je sais que parfois ma tristesse est palpable, mais je m’emploie à ce qu’ils chérissent à leur tour la mémoire de mes parents.
Alain Chabat, la voix de son père
« Peu de gens sont dépositaires de l’esprit et de l’humour de mon père. Alain en fait partie, il existe une vraie filiation entre eux. Dans ma vie, je regrette que mon père n’ait pas connu quatre personnes : mon mari, mon fils Simon, ma fille Salomé et Alain. Quand on a réfléchi à l’acteur qui pourrait doubler mon père, j’ai proposé Alain. Le doublage est d’autant plus juste que l’esprit est incarné, avant même un timbre de voix. Alain a dit oui tout de suite. Ç’a été une émotion immense. » confie Anne Goscinny.
Avec Sempé, une confiance inaltérable
« Au-delà de l’immense admiration que je lui portais, je n’avais pas un lien filial, mais de confiance et de grande amitié avec Sempé. Je ne l’ai jamais pris pour un humoriste ni un poète, mais pour un philosophe. Quand est née l’idée de ce film du Petit Nicolas, je lui en ai parlé et il m’a dit la phrase la plus belle et la plus terrifiante qui soit : “Je te fais confiance.” J’avais sur les épaules la mémoire de mon père qu’il ne fallait pas abîmer et la confiance de Jean-Jacques qu’il ne fallait pas trahir. J’ai donc été d’une extrême vigilance. » nous explique la fille de René Goscinny.
Cet entretien est à retrouver dans Gala N°1531, disponible ce jeudi 13 octobre.
Crédits photos : © Jean-Philippe Baltel
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