Fran Drescher : une syndicaliste d’enfer

L’égérie de la série à succès des années 90, Une nounou d’enfer est à la tête du syndicat des acteurs à Hollywood. Elle mène, à 65 ans, une grève historique qui secoue l’ industrie du cinéma. Portrait.

Sa voix n’a pas changé. Elle a toujours ce petit quelque chose de gouailleur qui fit les beaux jours de la série télé Une nounou d’enfer, de 1993 à 1999. A l’époque, l’Amérique découvre, à travers cette fiction piquante, la beauté brune trentenaire native du Queens, couronnée Miss New York Teenager à 16 ans. Ex-coiffeuse puis spécialiste de petits rôles, elle harcèle alors un producteur de CBS avec son idée originale : mettre en scène une célibataire excentrique et populaire, fille d’une envahissante mère juive, qui devient gouvernante des enfants d’un producteur de théâtre BCBG, lequel ne peut s’empêcher de lui trouver du charme…

On connaît la suite, à savoir un Golden Globe, un American Comedy Award et un Emmy Award. Depuis, d’autres auraient disparu du paysage. Pas elle, qui amuse alors l’Amérique de son propre personnage, toujours à part. Deux parents ashkénazes aux métiers florissants – une mère organisatrice de mariages et un père ingénieur naval -, des velléités estudiantines qui se terminent par un diplôme en esthétique. Un mari, Peter Marc Jacobson, rencontré à l’âge de 15 ans, qui fera son coming out gay après dix-huit ans d’union. Logiquement, un divorce, trois ans plus tard, après une tentative de cohabitation chaotique. Mais aussi, un lot d’horreurs. Comme ce viol enduré en 1985, à 28 ans, en compagnie d’une amie, sous la menace d’une arme, ou ce cancer en 2000, à 43 ans, avec ablation de l’utérus après deux années de symptômes non diagnostiqués.

Aux Etats-Unis, Fran Drescher est une combattante, l’une de ces femmes dont la biographie Enter Whining, parue en 1995 (éd. HarperCollins), s’est arrachée. Une figure « inspirationnelle » comme on dit, à laquelle ses pairs ont confié, en 2021, les prestigieuses rênes du syndicat des acteurs, le SAG-AFTRA (Screen Actors Guild-American Federation of Television and Radio Artists) qui ronronnait depuis quelque temps. Créé en 1933 pour faire cesser l’exploitation des comédiens à Hollywood, il aura vu passer à sa tête des noms aussi prestigieux que ceux de James Cagney, Robert Montgomery, Ronald Reagan ou Charlton Heston. Ces dernières années, le syndicat œuvrait doucement mais sûrement à la féminisation des métiers et des récompenses dans l’industrie du divertissement. Sous la direction de Fran Dres cher, il affronte sa plus grande crise depuis 1960 – année de grève majeure – puisque, cette fois, les acteurs rejoignent les scénaristes dans leur lutte pour la revalorisation des salaires, face aux menaces de l’intelligence artificielle et à la toute-puissance des plateformes de streaming. Celles-ci, il faut dire, ont changé la donne dans le métier en bouleversant le traditionnel circuit de distribution, rendant les recettes plus opaques et les possibilités de rediffusion, infinies.

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Depuis le 14 juillet, début de la grève, sur les plateaux de télévision, les réseaux sociaux ou en meeting, Fran Drescher, légèrement maquillée, vêtue « pratique » de baskets, d’un gilet à fermeture Eclair et d’un pantalon trois-quarts, est partout. Poing dressé et verbe haut, elle affronte avec morgue le puissant patron des studios Disney, Bob Iger, qui a qualifié ses attentes d’« irréalistes ». « Mais qui représente ce monsieur richissime ? », a-t-elle répliqué en direct sur l’un des piquets de grève où elle passe ses journées, et dont les lieux sont stratégiquement choisis. Les locaux d’Amazon, de Sunset Studios, de Netflix, de Fox, de Warner Bros., de Paramount, de NBCUniversal et de Disney en Californie sont, en effet, tous pris d’assaut depuis quelques jours par des syndicalistes qui ne lâchent plus leurs pancartes.

Fran Drescher ne plaisante pas. Derrière elle, celle qui n’a jamais eu d’enfant compte 160 000 personnes syndiquées parmi lesquelles des noms prestigieux comme Jennifer Lawrence, Ben Stiller ou Meryl Streep. Interrogée, Fran, vue en Italie le 10 juillet posant en robe de soirée avec Kim Kardashian, explique ne pas travailler pour une poignée de privilégiés. « Moi je ne milite pas pour le 1 % de ce métier qui s’en sort. Mais pour les 99 % qui se demandent comment ils vont pouvoir mettre du pain sur la table, payer leur loyer, et survivre quand on ne les rémunère qu’une journée de tournage pour exploiter leur image numérique à l’infini. […] Si nous ne nous levons pas maintenant, nous risquons tous d’être remplacés par des machines et de grandes entreprises qui se préoccupent davantage de Wall Street que de vous et de votre famille. » Son but ? Obtenir des conditions de négociations satisfaisantes. Et pour celle qui incarna si brillamment l’Amérique laborieuse et populaire, le rôle est sur mesure.

Ce portrait est à retrouver dans le Gala N°1572, disponible dans les kiosques ce jeudi 27 juillet 2023, mais également sur Prismashop.

Crédits photos : Agence / Bestimage

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