Florian Zeller : “Je n’imaginais pas vivre ce moment sans mon épouse, Marine”

Interview.- Fierté et émotion pour l’auteur français passé à la réalisation, dont le film The Father a reçu deux Oscars. Retour sur cette soirée qui récompensait un récit universel, porté par Anthony Hopkins et Olivia Colman. Interview sur le vif. Et hommage à son épouse l’actrice Marine Delterme.

Le 25 avril 2021. Le cinéma américain fête la 93e édition des Oscars, de façon inédite et singulière. Restrictions sanitaires obligent, les nommés étrangers suivent la soirée en smoking devant des écrans depuis leur terre natale. Parmi eux, l’auteur Florian Zeller est nommé six fois pour son premier film The Father (distribué par Orange Studio), adapté de sa pièce aux trois Molières, Le Père.

Ce soir-là, il attend les résultats dans une salle de projection parisienne, vêtu d’un smoking Dior, en compagnie de sa femme, l’actrice Marine Delterme, et des autres nommés français. Dès le début des festivités, son nom sort de l’enveloppe : Oscar du scénario original. «C’était surréaliste et libérateur. J’ai pu passer la soirée délivré de l’angoisse.» La fin de l’histoire est tout aussi heureuse : son acteur Anthony Hopkins décroche la statuette pour son rôle d’octogénaire qui, atteint d’une maladie dégénérative, perd peu à peu ses repères sous les yeux de sa fille (Olivia Colman), également désorientée de voir ce père tant aimé lui échapper.

En vidéo, « The Father », la bande-annonce

L’expérience est bouleversante, immersive. Un tour de force d’autant plus impressionnant que cette plongée dans un esprit labyrinthique n’entrave en rien l’émotion. Au contraire. Le cinéma rend visible l’invisible et donne à voir ce que le malade traverse, sans être lui-même en mesure de l’exprimer.

Reconnu internationalement grâce à ses textes joués dans le monde entier, Florian Zeller s’impose d’emblée comme un grand réalisateur et directeur d’acteurs. Son deuxième film, adapté de sa pièce Le Fils, est d’ailleurs sur les rails : Hugh Jackman y jouera un père qui, alors que sa femme est enceinte, tente de redonner le goût de vivre à son adolescent, né d’un premier mariage. La version cinéma de La Mère, dernier volet de sa trilogie théâtrale, n’est pas encore envisagée. «C’est une chance incroyable de faire du cinéma. Il faut en avoir conscience. Je ne veux pas la gâcher en me dispersant.» Interview.

Madame Figaro. – Le 25 avril, dans quel état d’esprit étiez-vous avant la cérémonie ?
Florian Zeller.
– Les Oscars sont un rendez-vous symbolique et puissant : il y avait certes de l’excitation mais aussi de la nervosité. Mais, pour être sincère, j’étais déjà reconnaissant d’avoir obtenu six nominations. C’était suffisamment extraordinaire pour que je n’éprouve que de la gratitude. Cela dit, on se prend inévitablement au jeu. On espère et dès lors, on s’expose à toutes les émotions, la déception y compris.

Ce qui n’a pas été le cas pour vous ?
Quand j’ai gagné pour le scénario original, le moment a été d’une intensité incroyable. C’était une joie assez abstraite, sans conscience réelle de ce que cela implique mais chargée de la mythologie que porte cette statuette. Cette joie a été décuplée quand Anthony Hopkins a gagné à son tour. Il était pré-écrit que Chadwick Boseman l’emporterait à titre posthume, et je comprenais pourquoi : c’était un grand acteur qui, parti trop jeune, incarnait quelque chose de fort à ce moment particulier de l’Histoire américaine. Anthony, alors au pays de Galles, n’était d’ailleurs pas présent virtuellement lors de la cérémonie. Il dormait car rien ne laissait croire qu’il l’aurait. Jusqu’à ce coup de théâtre.

Que vous a-t-il dit en vous appelant à son réveil, au petit matin ?
Il était extraordinairement bouleversé, plus que je ne l’aurais pensé. J’ai senti une émotion profonde dans sa voix, qui me traverse encore aujourd’hui.

Avec qui avez-vous pu partager cette joie le soir même ?
Avec Yorgos Lamprinos, le monteur du film qui lui aussi était nommé et qui est devenu mon ami à la faveur de cette collaboration. Et avec mon épouse Marine (Delterme, NDLR ). Je n’imaginais pas vivre ce moment sans elle. J’ai écrit ce scénario en 2016 et, pendant cinq ans, elle a vécu ce film à mes côtés. Ce n’était pas une promenade de santé. Il est difficile de monter un premier long-métrage dans une langue qui n’est pas la vôtre et dans un pays, l’Angleterre, qui n’a pas le même système d’aide que le nôtre. En allant sur cet autre territoire, j’ai mesuré à quel point nous sommes le pays du cinéma, à quel point les auteurs y sont soutenus. Malgré mon casting, j’ai cru à de nombreuses reprises que nous n’y arriverions pas. Ce film a existé de haute lutte.

Le succès international de la pièce ne vous a-t-il pas aidé ?
Dans une certaine mesure. Grâce à la pièce, Robert Hirsch, pour qui je l’avais écrite, avait obtenu le Molière ; Kenneth Cranham, le Laurence Olivier Award et Frank Langella, le Tony Award. Le scénario est arrivé dans les mains d’Anthony, précédé d’une rumeur favorable. Mais il y avait aussi chez lui la volonté d’explorer des émotions inédites. À 83 ans, alors qu’il pourrait se reposer sur ses lauriers, je le trouve courageux d’être allé dans un endroit en prise directe avec ses peurs et son propre sentiment de mortalité : c’est l’acte de foi d’un artiste.

Florian Zeller répond, chez lui, à une interview après son sacre hollywoodien.

Ce film est né du désir de travailler avec lui…
Son visage s’imposait à moi de façon quasi non négociable et, tant qu’il ne mavait pas dit non, je m’autorisais à y croire. Non seulement je le considère comme le plus grand acteur du monde, mais j’avais la conviction qu’il y aurait une connexion singulière entre lui et ce rôle. À travers ses films, je percevais Anthony comme l’homme de l’extrême maîtrise. Voir cet acteur, qui nous est si familier, devenir un autre, perdre le contrôle et aller vers plus de vulnérabilité me semblait être le miroir de ce que peuvent vivre les familles quand leur proche devient cet autre qu’elles ne reconnaissent pas.

Cette expérience, vous l’avez vécue ?
Quand j’ai eu 15 ans, ma chère grand-mère a commencé à souffrir de démence sénile. J’ai vécu ce sentiment d’impuissance et de désolation face à la maladie, j’ai compris que l’amour ne suffit pas toujours. Mais, ici, mon désir n’était pas de raconter mon histoire mais de partager ces émotions communes à beaucoup. Je crois d’ailleurs que le cinéma et le théâtre existent pour nous rappeler qu’on fait partie d’un tout, d’une humanité. Explorer ses peurs et bonheurs avec d’autres spectateurs a quelque chose de cathartique mais aussi de réconfortant.

Aviez-vous toujours rêvé de cinéma ?
Je n’avais pas le rêve de faire un film, mais de faire ce film. Mon désir s’est cristallisé autour de ce texte et de références très fortes comme Mulholland Drive, de David Lynch, qui ressemble à un puzzle dont il manquera toujours une pièce, qui implique le spectateur et l’oblige à travailler avec son inconscient. Ce type de narration a eu une grande influence sur mon écriture théâtrale et, en transposant Le Père au cinéma, j’espérais explorer cette dimension.

Un premier clap avec une légende du cinéma, est-ce angoissant ?
Anthony est en effet intimidant et, quand il n’est pas content, les murs tremblent. Mais si l’on rentre dans ce territoire qu’est l’intimidation, on ne peut pas diriger un comédien. La préparation permet de trouver sa petite musique avec les acteurs, dans la complicité comme le rapport de force. Au début, Anthony m’a un peu testé pour voir qui j’étais mais, dans l’ensemble, tout s’est passé de façon très joyeuse.

Et comment votre choix s’est-il porté sur Olivia Colman ?
Je lui voue une admiration sans bornes depuis longtemps. Je l’ai découverte dans les séries et films anglais, Broadchurch par exemple, et j’étais allé à Londres juste pour la voir sur scène. Elle est l’une des plus grandes actrices anglaises et j’ai eu la chance de ne pas avoir à me battre pour qu’elle fasse le film. Elle rêvait de tourner avec Anthony. Leur relation père-fille à l’écran est une évidence. Dès le premier jour, elle le regardait avec ses grands yeux pleins d’admiration et d’amour. Olivia a une singularité : elle est aussi merveilleuse qu’elle en a l’air. C’est la femme la plus humble, généreuse et gentille que je connaisse et son Oscar n’y a rien changé. Quand elle est sur un plateau, chacun présente la meilleure version de lui-même. La gentillesse, ça contamine.

Sentez-vous déjà les répercussions du succès de The Father sur votre carrière ?
Ce qui s’est passé m’a aidé à monter The Son, que je vais tourner avec Laura Dern et Hugh Jackman. Il y a quelque chose de Hugh qui fait écho à cette histoire et qui donne beaucoup de sens à notre collaboration. Depuis The Father, j’ai aussi reçu pas mal de propositions des États-Unis, mais rien qui ne m’ait encore détourné de mon propre désir.

The Father, de Florian Zeller. Sortie le 26 mai.

Source: Lire L’Article Complet

Florian Zeller : “Je n’imaginais pas vivre ce moment sans mon épouse, Marine”

Interview.- Fierté et émotion pour l’auteur français passé à la réalisation, dont le film The Father a reçu deux Oscars. Retour sur cette soirée qui récompensait un récit universel, porté par Anthony Hopkins et Olivia Colman. Interview sur le vif. Et hommage à son épouse l’actrice Marine Delterme.

Le 25 avril 2021. Le cinéma américain fête la 93e édition des Oscars, de façon inédite et singulière. Restrictions sanitaires obligent, les nommés étrangers suivent la soirée en smoking devant des écrans depuis leur terre natale. Parmi eux, l’auteur Florian Zeller est nommé six fois pour son premier film The Father (distribué par Orange Studio), adapté de sa pièce aux trois Molières, Le Père.

Ce soir-là, il attend les résultats dans une salle de projection parisienne, vêtu d’un smoking Dior, en compagnie de sa femme, l’actrice Marine Delterme, et des autres nommés français. Dès le début des festivités, son nom sort de l’enveloppe : Oscar du scénario original. «C’était surréaliste et libérateur. J’ai pu passer la soirée délivré de l’angoisse.» La fin de l’histoire est tout aussi heureuse : son acteur Anthony Hopkins décroche la statuette pour son rôle d’octogénaire qui, atteint d’une maladie dégénérative, perd peu à peu ses repères sous les yeux de sa fille (Olivia Colman), également désorientée de voir ce père tant aimé lui échapper.

En vidéo, « The Father », la bande-annonce

L’expérience est bouleversante, immersive. Un tour de force d’autant plus impressionnant que cette plongée dans un esprit labyrinthique n’entrave en rien l’émotion. Au contraire. Le cinéma rend visible l’invisible et donne à voir ce que le malade traverse, sans être lui-même en mesure de l’exprimer.

Reconnu internationalement grâce à ses textes joués dans le monde entier, Florian Zeller s’impose d’emblée comme un grand réalisateur et directeur d’acteurs. Son deuxième film, adapté de sa pièce Le Fils, est d’ailleurs sur les rails : Hugh Jackman y jouera un père qui, alors que sa femme est enceinte, tente de redonner le goût de vivre à son adolescent, né d’un premier mariage. La version cinéma de La Mère, dernier volet de sa trilogie théâtrale, n’est pas encore envisagée. «C’est une chance incroyable de faire du cinéma. Il faut en avoir conscience. Je ne veux pas la gâcher en me dispersant.» Interview.

Madame Figaro. – Le 25 avril, dans quel état d’esprit étiez-vous avant la cérémonie ?
Florian Zeller.
– Les Oscars sont un rendez-vous symbolique et puissant : il y avait certes de l’excitation mais aussi de la nervosité. Mais, pour être sincère, j’étais déjà reconnaissant d’avoir obtenu six nominations. C’était suffisamment extraordinaire pour que je n’éprouve que de la gratitude. Cela dit, on se prend inévitablement au jeu. On espère et dès lors, on s’expose à toutes les émotions, la déception y compris.

Ce qui n’a pas été le cas pour vous ?
Quand j’ai gagné pour le scénario original, le moment a été d’une intensité incroyable. C’était une joie assez abstraite, sans conscience réelle de ce que cela implique mais chargée de la mythologie que porte cette statuette. Cette joie a été décuplée quand Anthony Hopkins a gagné à son tour. Il était pré-écrit que Chadwick Boseman l’emporterait à titre posthume, et je comprenais pourquoi : c’était un grand acteur qui, parti trop jeune, incarnait quelque chose de fort à ce moment particulier de l’Histoire américaine. Anthony, alors au pays de Galles, n’était d’ailleurs pas présent virtuellement lors de la cérémonie. Il dormait car rien ne laissait croire qu’il l’aurait. Jusqu’à ce coup de théâtre.

Que vous a-t-il dit en vous appelant à son réveil, au petit matin ?
Il était extraordinairement bouleversé, plus que je ne l’aurais pensé. J’ai senti une émotion profonde dans sa voix, qui me traverse encore aujourd’hui.

Avec qui avez-vous pu partager cette joie le soir même ?
Avec Yorgos Lamprinos, le monteur du film qui lui aussi était nommé et qui est devenu mon ami à la faveur de cette collaboration. Et avec mon épouse Marine (Delterme, NDLR ). Je n’imaginais pas vivre ce moment sans elle. J’ai écrit ce scénario en 2016 et, pendant cinq ans, elle a vécu ce film à mes côtés. Ce n’était pas une promenade de santé. Il est difficile de monter un premier long-métrage dans une langue qui n’est pas la vôtre et dans un pays, l’Angleterre, qui n’a pas le même système d’aide que le nôtre. En allant sur cet autre territoire, j’ai mesuré à quel point nous sommes le pays du cinéma, à quel point les auteurs y sont soutenus. Malgré mon casting, j’ai cru à de nombreuses reprises que nous n’y arriverions pas. Ce film a existé de haute lutte.

Le succès international de la pièce ne vous a-t-il pas aidé ?
Dans une certaine mesure. Grâce à la pièce, Robert Hirsch, pour qui je l’avais écrite, avait obtenu le Molière ; Kenneth Cranham, le Laurence Olivier Award et Frank Langella, le Tony Award. Le scénario est arrivé dans les mains d’Anthony, précédé d’une rumeur favorable. Mais il y avait aussi chez lui la volonté d’explorer des émotions inédites. À 83 ans, alors qu’il pourrait se reposer sur ses lauriers, je le trouve courageux d’être allé dans un endroit en prise directe avec ses peurs et son propre sentiment de mortalité : c’est l’acte de foi d’un artiste.

Florian Zeller répond, chez lui, à une interview après son sacre hollywoodien.

Ce film est né du désir de travailler avec lui…
Son visage s’imposait à moi de façon quasi non négociable et, tant qu’il ne mavait pas dit non, je m’autorisais à y croire. Non seulement je le considère comme le plus grand acteur du monde, mais j’avais la conviction qu’il y aurait une connexion singulière entre lui et ce rôle. À travers ses films, je percevais Anthony comme l’homme de l’extrême maîtrise. Voir cet acteur, qui nous est si familier, devenir un autre, perdre le contrôle et aller vers plus de vulnérabilité me semblait être le miroir de ce que peuvent vivre les familles quand leur proche devient cet autre qu’elles ne reconnaissent pas.

Cette expérience, vous l’avez vécue ?
Quand j’ai eu 15 ans, ma chère grand-mère a commencé à souffrir de démence sénile. J’ai vécu ce sentiment d’impuissance et de désolation face à la maladie, j’ai compris que l’amour ne suffit pas toujours. Mais, ici, mon désir n’était pas de raconter mon histoire mais de partager ces émotions communes à beaucoup. Je crois d’ailleurs que le cinéma et le théâtre existent pour nous rappeler qu’on fait partie d’un tout, d’une humanité. Explorer ses peurs et bonheurs avec d’autres spectateurs a quelque chose de cathartique mais aussi de réconfortant.

Aviez-vous toujours rêvé de cinéma ?
Je n’avais pas le rêve de faire un film, mais de faire ce film. Mon désir s’est cristallisé autour de ce texte et de références très fortes comme Mulholland Drive, de David Lynch, qui ressemble à un puzzle dont il manquera toujours une pièce, qui implique le spectateur et l’oblige à travailler avec son inconscient. Ce type de narration a eu une grande influence sur mon écriture théâtrale et, en transposant Le Père au cinéma, j’espérais explorer cette dimension.

Un premier clap avec une légende du cinéma, est-ce angoissant ?
Anthony est en effet intimidant et, quand il n’est pas content, les murs tremblent. Mais si l’on rentre dans ce territoire qu’est l’intimidation, on ne peut pas diriger un comédien. La préparation permet de trouver sa petite musique avec les acteurs, dans la complicité comme le rapport de force. Au début, Anthony m’a un peu testé pour voir qui j’étais mais, dans l’ensemble, tout s’est passé de façon très joyeuse.

Et comment votre choix s’est-il porté sur Olivia Colman ?
Je lui voue une admiration sans bornes depuis longtemps. Je l’ai découverte dans les séries et films anglais, Broadchurch par exemple, et j’étais allé à Londres juste pour la voir sur scène. Elle est l’une des plus grandes actrices anglaises et j’ai eu la chance de ne pas avoir à me battre pour qu’elle fasse le film. Elle rêvait de tourner avec Anthony. Leur relation père-fille à l’écran est une évidence. Dès le premier jour, elle le regardait avec ses grands yeux pleins d’admiration et d’amour. Olivia a une singularité : elle est aussi merveilleuse qu’elle en a l’air. C’est la femme la plus humble, généreuse et gentille que je connaisse et son Oscar n’y a rien changé. Quand elle est sur un plateau, chacun présente la meilleure version de lui-même. La gentillesse, ça contamine.

Sentez-vous déjà les répercussions du succès de The Father sur votre carrière ?
Ce qui s’est passé m’a aidé à monter The Son, que je vais tourner avec Laura Dern et Hugh Jackman. Il y a quelque chose de Hugh qui fait écho à cette histoire et qui donne beaucoup de sens à notre collaboration. Depuis The Father, j’ai aussi reçu pas mal de propositions des États-Unis, mais rien qui ne m’ait encore détourné de mon propre désir.

The Father, de Florian Zeller. Sortie le 26 mai.

Source: Lire L’Article Complet