EXCLU – Mylène Farmer : « Je ne me sens ni star ni antistar »

Mylène Farmer s’est imposée comme la chanteuse préférée des Français. Depuis bientôt quatre décennies, l’artiste, à la une du numéro 1500 du magazine Gala en kiosques ce jeudi 10 mars, est surtout à part dans l’industrie du spectacle. Rare, secrète, fidèle à elle-même et ses rêves. Instinct de survie, intégrité absolue. Le public ne se trompe pas. Sa sincérité est désarmante. Entretien exclusif.

Mylène Farmer est toujours une drôle d’apparition, une sorte de mirage. Comme un vœu qui se réalise et un instant fugace, insaisissable, à la fois. Parce qu’elle est aussi rare que désirée, aussi excentrique qu’incontournable depuis ses débuts, il y a bientôt quarante ans, son nom et son visage étaient une évidence pour incarner notre numéro 1500. Elle a dit oui dans un de ces élans de générosité qui la caractérisent, pour peu que vous ayez gagné sa confiance. Amusée, sans doute, de faire irruption dans le réel, alors qu’on la croit envolée sous d’autres cieux, plongée dans d’autres songes. Il faut se méfier des silences de Mylène. Ils sont généralement féconds d’un monde fou, spectaculaire, qui veut naître. En ce début 2022, elle prépare en effet sa prochaine tournée, Nevermore. Titre mystérieux, qu’aucune nouvelle chanson n’élucide encore. Près de 400 000 billets ont pourtant déjà été vendus. L’effet Farmer.

Sur notre shooting, elle est cette même force centrifuge, pendant près de six heures. Coiffeur, maquilleuse, styliste s’agitent autour d’elle. D’un grand calme, elle valide, interroge, ose aussi. Garder son jean ? L’idée la déconcerte un court instant, mais le vêtement révèle une autre facette de sa personnalité, sa vraie simplicité, derrière les artifices de la célébrité. Le photographe Marcel Hartmann, qui lui a présenté notre concept « coulisses d’un shooting » quelques jours plus tôt, chez elle, dans l’Ouest parisien, est témoin du temps et de l’attention qu’elle sait accorder à ses fans. Aucune malice quand Mylène apparaît encore, simplement vêtue d’une veste dévoilant son jeu de jambes. Elle rougit presque des regards qu’elle provoque. Mais – instant de grâce ! – on ne touche à rien. L’humour s’invite aussi sur notre séance, avec une Mylène gantée, gobelet à la main, en peignoir. Parodie de l’âge d’or hollywoodien, des movie sets, lieux d’effervescence et de transformations glamour.

Quand on la retrouve quinze jours plus tard, à la mi-février, c’est à la vérité nue qu’on invite Mylène. On a pu juger, à travers quelques mails échangés ces dernières années, qu’elle n’est pas une tricheuse. Qu’elle sait rire, aussi. « L’éternité, c’est long… surtout vers la fin ». Ce trait d’esprit de Woody Allen nous aura détendus en plein confinement. Face à nous, l’icône n’oppose aucun interdit. Il y a des réponses qui fusent, des réflexions suspendues, des silences éloquents. Mylène Farmer observe et écoute le monde autant qu’il la contemple. Puis disparaît. Miraculeuse, c’est peut-être le mot…

Ses débuts : « un mélange de doutes et d’un besoin de singularité immense »

Gala : Dans ce grand bazar qu’est devenue la célébrité, où vous rangez-vous, Mylène ?

Mylène Farmer : Il me semble que la célébrité devrait être le reflet de la reconnaissance d’une œuvre, d’une action, par le public. Pas un culte de la personnalité. Aujourd’hui, on confond la popularité et la célébrité. Je préfère continuer à cheminer pour une reconnaissance de mon travail.

Gala : Star, antistar… Comment vous vivez-vous ?

Mylène Farmer : Je ne me sens ni l’une ni l’autre. Je vis à mon rythme. J’exerce une activité artistique, j’ai des rendez-vous avec le public et une vie de femme entourée de ses animaux et de ses amis.

Gala : Jouons avec l’horloge. Nous sommes à la fin de l’année 1982 : vous êtes brune, vous sortez du Cours Florent, vous vous imposez comme l’évidence pour interpréter la chanson Maman a tort. Quels rêves vous animent ?

Mylène Farmer : Les souvenirs sont flous, mais ce qui me vient à l’esprit, c’est un mélange de doutes et d’un besoin de singularité immense. Très tôt, j’ai eu l’envie de tracer ma route, sans savoir à quoi elle ressemblerait précisément. La musique et la comédie s’entremêlaient… Je revois les visages d’amis aussi…. L’écriture s’est finalement imposée à moi, libératrice.

« J’ai rapidement compris que la notoriété n’était pas synonyme de bonheur »

Gala : Vous adoptez le patronyme de Frances Farmer, star hollywoodienne bipolaire, internée de force, lobotomisée. Pour conjurer le mauvais sort ? Vous pressentez déjà que la célébrité peut carboniser ?

Mylène Farmer : L’histoire de Frances Farmer est complexe. Nous sommes dans les années 30. Elle possède à la fois la beauté et le talent. Tout lui sourit. Et puis, sa vie devient un enfer. Parce qu’elle est une femme qui désobéit dans un monde essentiellement masculin, parce que le système veut la broyer. Son courage et son destin m’ont inspirée. Elle a fini sa vie libre et, je l’espère, apaisée.

Gala : Il y a eu des moments où vous avez senti que vous pourriez basculer ? Qu’est-ce qui vous a retenu de céder à ce grand tourbillon qu’est la célébrité ?

Mylène Farmer : Personne n’est armé pour cela. C’est inattendu. Parfois agréable, souvent brutal. Mais je n’ai pas eu besoin d’opposer une résistance très longtemps. J’ai rapidement compris que la notoriété n’était pas synonyme de bonheur, en ce qui me concerne. C’est effectivement un tourbillon dans lequel on peut se perdre facilement.

Gala : C’est assez fascinant, surtout au milieu des années 80 : vous achetez vite votre liberté, en éditant et en produisant vos chansons. Aujourd’hui encore, vous ne vous bradez pas. Zéro compromis, zéro faux-semblant. Le plan de bataille a toujours été clair ?

Mylène Farmer : J’ai toujours accordé une importance fondamentale à mon indépendance. Avec le temps, j’ai mesuré à quel point il était précieux de pouvoir décider pour soi-même. C’est un sentiment de liberté absolue. Une chance aussi, bien sûr. J’en suis consciente.

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A l’épreuve du temps, Mylène oppose « l’épanouissement qui peut aussi être un atout »

Gala : Les jaloux guettent. Des ennemis, quelques-uns bien connus, ne vous loupent pas. Même plus mal ?

Mylène Farmer : Je ne vois pas de qui vous voulez parler ! (Sourire)

Gala : Etre une femme célèbre exige sans doute d’être deux fois plus forte qu’un homme lambda. Il faut non seulement garder le contrôle de sa vie, mais aussi braver l’épreuve du temps…

Mylène Farmer : Je n’aime pas trop cette opposition homme-femme. Dans mon métier, il faut savoir se réinventer. La routine, l’absence de prises de risque sont bien plus dangereuses que l’épreuve du temps. Cela vaut pour tous les artistes, hommes et femmes. L’épanouissement, qui souvent vient avec le temps, peut aussi être un atout que le public perçoit et apprécie.

Gala : Après notre shooting, nous avons reçu votre sélection de photos. Nous les croyions retouchées, elles ne l’étaient pas. Bluffant. A quelle discipline de fer vous soumettez-vous ?

Mylène Farmer : Je fais très attention à… ne m’imposer aucune discipline !

Gala : Vous n’êtes donc pas votre pire coach ?

Mylène Farmer : Non, non, pas du tout ! Je suis certes d’une nature exigeante, parfois perfectionniste, mais je n’ai pas besoin de me faire violence.

Gala : Imaginons : vous marcheriez à côté de Mylène Farmer, que lui diriez-vous ?

Mylène Farmer : Regarde devant toi.

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Elle avoue une excitation, « celle de surprendre plutôt que dérouter, provoquer plutôt que choquer »

Gala : Vous n’avez ni fan-club ni réseaux sociaux, mais vos textes sont analysés, vos looks sont étudiés, vos sources d’inspiration sont recherchées. N’êtes-vous pas une « influenceuse », dans le fond ?

Mylène Farmer : Absolument pas ! Je n’ai pas cette prétention. Je m’exprime à travers mes textes, en espérant simplement qu’ils toucheront celles et ceux qui les écoutent. C’est une question d’émotion, de peau, de chair et de sang.

Gala : Quel regard portez-vous sur cette génération qui accède à la notoriété, quasi instantanément, en documentant sa vie sur les réseaux sociaux ?

Mylène Farmer : C’est un phénomène générationnel. On prétend vivre un quotidien idéal, envié par une communauté. Mais ce n’est pas la vie. Ça ne me choque pas, mais ça ne m’intéresse pas non plus. Le risque est grand pour ceux qui pensent, à tort, que leur vie ne correspond pas à cette image superficielle de la réalité.

Gala : Nous sommes aujourd’hui dans le culte du « like ». Le risque de déplaire, de proposer des choses inattendues, c’est quelque chose qui peut vous paralyser ? Ou, au contraire, il y a une petite excitation à dérouter ?

Mylène Farmer : Quand on fait ce métier, on prend tous les risques. Y compris celui de déplaire. Je le sais depuis le début. Prendre des risques est un moteur. Il y a bien une excitation, celle de surprendre plutôt que dérouter, de provoquer plutôt que choquer.

« Je ne dirais pas que les gens me connaissent… »

Gala : Vous êtes devenue rousse, mais vous fuyez la surexposition ; vous chantez l’intime dans des salles de milliers de spectateurs ; on vous croit névrosée, vous appréciez les bons mots et ne manquez pas d’humour… Il y a combien de Mylène en vous ?

Mylène Farmer : A priori une seule, et elle est devant vous. Mais laissez-moi consulter les autres ! (Rire)

Gala : Vous avez autant vécu avec la célébrité que sans. Quel sentiment cela vous inspire-t-il ?

Mylène Farmer : (Elle réfléchit) Qu’il reste du chemin à parcourir.

Gala : Je n’adhère pas à l’idée que vous auriez créé un personnage. Ceci dit, Mylène Farmer et Mylène Gautier, c’est un peu Batman et Bruce Wayne, non ? Laquelle des deux protège le plus l’autre ?

Mylène Farmer : Vous posez beaucoup de questions sur la schizophrénie ! Je dois m’inquiéter ? (Rire) Les deux sont indissociables. L’une veille sur l’autre. A moins que ce ne soit le contraire !

Gala : Etre connue de gens qu’on ne connaît pas, comment le vit-on ?

Mylène Farmer : C’est intimement lié au métier que j’exerce, donc je le vis bien. Mais je ne dirais pas pour autant que les gens me connaissent…

Gala : La plupart de vos fans sont non seulement d’une grande fidélité, mais aussi d’un grand respect. Impossible toutefois de ne pas évoquer le drame de 1991, ce standardiste d’Universal tué à bout portant par un homme voulant vous rencontrer. Ce fut un point de rupture pour vous ?

Mylène Farmer : (Elle contient une émotion) Pardonnez-moi, mais je ne souhaite pas parler de cette tragédie.

Gala : Il y a eu un autre « reset » dans votre vie : votre exil en Californie, au milieu des années 90. Qu’avez-vous appris ou redécouvert sur vous durant ces mois américains ?

Mylène Farmer : L’anonymat. Une vie presque trop normale (Sourire)… Là-bas, j’ai obtenu mon permis de conduire et je baignais dans la musique diffusée à la radio…

Gala : Vous vous êtes aussi liée d’amitié avec George Clooney. Le star-system hollywoodien, vu de près, est-ce amusant ou effrayant ?

Mylène Farmer : Je l’ai rencontré lors d’un dîner. Nous avons échangé quelques mots. La soirée était simple, agréable. Nous avons bien ri. Hollywood, c’est plutôt amusant. Mais c’est une autre planète. Les stars américaines ont autant de pouvoir que de responsabilités. George Clooney est un acteur engagé, conscient de son époque.

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Les convives de son dîner de rêve : Lino Ventura, la chorégraphe Crystal Pite et… un alien !

Gala : Vous avez refusé de tourner des films qui vous étaient proposés, et même de chanter en anglais pour mieux vous exporter. Pas de regrets ?

Mylène Farmer : Aucun. C’est ma liberté. Mes choix ont toujours été conscients, donc je suis sereine avec tout ça. J’aime trop les mots pour être infidèle à la langue française. Même s’il m’arrive parfois de glisser dans mes textes quelques expressions sur mesure comme Fuck them all ! (Rire)

Gala : Imaginons que vous pouvez inviter trois stars, vivantes ou disparues, à dîner chez vous. Qui, pourquoi et pour manger quoi ?

Mylène Farmer : D’abord, Lino Ventura pour lui dire qu’il est le sommet de la séduction chez un homme. On se régalerait d’un petit salé aux lentilles. Ensuite, un alien pour négocier qu’il revienne plus souvent sur Terre et qu’il incite l’humanité à lever les yeux vers le ciel. On mangerait des légumes verts, forcément ! (Sourire). Enfin, la chorégraphe Crystal Pite pour lui dire que son œuvre Body and Soul est bouleversante, de toute beauté. Elle, je l’emmènerais chez Guy Savoy pour lui faire découvrir les coquillettes à la truffe et un autre ballet, celui des cuisines.

Gala : Vous êtes la femme de plusieurs records : disques vendus, stades complets… Dans quel domaine restez-vous complètement nulle ?

Mylène Farmer : Les chiffres ! Zéro en maths !

Gala : Je vois des ouvertures intéressantes : le cinéma, ce documentaire dans lequel vous avez donné à voir la préparation de vos concerts de 2019 pour Amazon Prime… Fendre la gangue, c’est pas mal non plus, en fin de compte ?

Mylène Farmer : C’est une question de coups de cœur, de rencontres. De confiance, aussi. Le documentaire a été un exercice difficile, parce qu’il fallait ouvrir un peu la porte de l’intime. Ce n’est pas mon exercice favori. Pudeur oblige. Le cinéma, c’est différent. J’ai toujours aimé profondément le cinéma. Je lis bien sûr les scripts qu’on m’envoie. Il y a des choses intéressantes. J’étudie aussi les projets de séries. Ce format a tellement évolué depuis l’avènement des plateformes. C’est remarquable.

Elle s’avoue sensible aux compliments, « surtout quand ils sont sincères »

Gala : Charles Aznavour a dit un jour que vous étiez « pourrie de talents ». C’est affreusement joli. Restez-vous sensible aux compliments ?

Mylène Farmer : Oui, bien sûr. Quand ils viennent d’aussi grands artistes, mais surtout quand ils sont sincères.

Gala : Vous placez votre prochaine tournée Nevermore, en 2023, sous l’œil d’un corbeau, celui d’Edgar Allan Poe. Lequel a dit « ceux qui rêvent éveillés ont conscience de mille choses qui échappent à ceux qui ne rêvent qu’endormis ». Après quarante ans de carrière, à quoi rêvez-vous encore ?

Mylène Farmer : De la prochaine scène. Je lui accorde une grande importance. Je veux que tout soit prêt. Ces rendez-vous avec le public sont précieux. Ils ponctuent ma vie. Les rêves sont parfois un peu agités quand j’y songe, mais l’émotion reste intacte. J’en rêve endormie et éveillée !

Gala : Imaginons enfin : dans un demi-siècle, on découvre votre « time capsule ». Qu’avez-vous mis dans cette boîte à secrets comme témoignage de votre passage sur Terre ?

Mylène Farmer : Un cœur qui bat encore.

Propos recueillis par Thomas Durand

Retrouvez notre grande interview de Mylène Farmer et nos 9 pages de shooting exclusif par Marcel Hartmann dans le numéro 1500 de Gala, en kiosque ce jeudi 10 mars 2022.

Crédits photos : Marcel Hartmann pour Gala

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