Dans "Fête de Famille", en salles le 4 septembre, Emmanuelle Bercot livre une prestation héroïque sous les traits d’une jeune femme qui, le jour de l’anniversaire de sa mère, sème le boxon auprès des siens. Nous l’avons rencontrée pour ce rôle marquant.
Qu’est-ce qui vous a immédiatement séduite dans ce projet ?
Emmanuelle Bercot : J’aime déjà le travail de Cédric Kahn, dont je connais la filmographie. On me proposait un personnage comme je les affectionne, de ceux qui permettent de performer, d’aller dans les excès, de relever un challenge. Ça me plait quand il y a une sorte de défi sportif, quand ça fait peur. Et puis, jamais je n’aurais pensé avoir la chance de jouer un jour avec Catherine Deneuve. C’était le cadeau de la vie.
Le film de famille est-il un genre de cinéma qui vous plaît ?
Emmanuelle Bercot : Oui ! Je crois que ça intéresse tout le monde. J’aime voir au cinéma ce que je vis dans mon quotidien. C’est quelque chose que j’ai toujours aimé. On se sent moins seul. La famille est en tout cas le plus beau théâtre de dramaturgie et d’émotion. La littérature offre une pléthore d’exemples qui vont dans ce sens. Les autres arts aussi.
Vous avez dirigé Catherine Deneuve à deux reprises, dans Elle s’en va et La Tête Haute. Elle fait partie de votre famille maintenant, non ?
Emmanuelle Bercot : Oui… Je me sens en famille avec elle. J’ai une proximité et une familiarité à son endroit. C’est particulier. Si cet attachement est là et qu’il est si fort, c’est sûrement parce qu’elle fait partie de ma vie depuis que je suis toute petite, à travers ses films. Je n’imaginais pas la rencontrer un jour.
Qu’avez-vous appris de plus précieux à ses côtés ?
Emmanuelle Bercot : C’est une femme qui est très libre dans sa pensée, d’une grande intelligence. Elle est totalement elle-même avant d’être autre chose. Elle n’a pas ce côté postural d’actrice. Elle ne triche pas. Elle a commencé jeune et n’a jamais été pervertie par la célébrité. Sur un plateau de ciné, elle est toujours respectueuse du metteur en scène, qu’elle place en haute estime. Elle bosse main dans la main avec vous. Elle ne se met pas à part. Ce qui compte avant tout, c’est le film.
Cédric Kahn parle de vous comme d’une grande bosseuse…
Emmanuelle Bercot : C’est vrai, je le suis. J’ai été élevée comme ça. J’ai assez peu de goût pour les acteurs qui viennent sur un plateau les doigts dans le nez en pensant qu’ils vont apparaitre et que ça va être magique. Travailler un rôle, c’est toujours un peu abstrait. Cette héroïne que j’incarne devait être bipolaire. Pour autant, je n’ai pas rencontré des personnes qui en souffrent. En revanche, j’ai beaucoup lu. Il faut aussi très bien connaitre son texte, c’est la base, et penser au film avant d’y être…
« Je ne voulais pas être dans l’hystérie ou dans la folie »
Le piège était de ne pas jouer la folie…
Emmanuelle Bercot : Il y a le metteur en scène pour doser ça. Je ne voulais pas être dans l’hystérie ou dans la folie. J’ai juste été le plus sincère possible dans ma façon de ne pas contrôler mes émotions. Il fallait aller vers ses blessures et pas la folie.
Vous deviez être lessivée…
Emmanuelle Bercot : J’apprécie le mot que vous utilisez contrairement à ceux qui disent : « Ce rôle a dû être éprouvant« . Eprouvant ? Non. Epuisant ? Oui ! Quand je pleure 5 minutes dans le film, je pleure en réalité pendant 8h, en essayant de garder sans relâche cette tension. J’appelle ça de l’athlétisme émotionnel. C’est sportif. Il faut maintenir la cocotte-minute à son maximum.
Claire est souvent dans la démesure. Est-ce un trait de caractère que vous partagez avec elle ?
Emmanuelle Bercot : Oui, je le partage… Les gens qui ne maîtrisent pas leurs émotions finissent par en être submergés. Résultat ? Ils vont trop loin, pleurent trop, crient trop fort… On dit alors des choses qui dépassent notre pensée parce qu’on ne peut pas contenir ce que d’autres peuvent. D’ailleurs, vous remarquerez qu’on n’aime pas trop les gens excessifs. Souvent, on les catalogue en disant : « C’est l’hystérique de service« , « Elle est ingérable« … C’est regrettable car parfois on ne peut pas faire autrement.
Qu’y a-t-il de plus déraisonnable chez vous ?
Emmanuelle Bercot : Dans certains domaines, et notamment l’amour, je n’ai aucune limite. Pareil quand je joue. On peut me demander à peu près n’importe quoi.
Vous méfiez-vous des fêtes de famille ?
Emmanuelle Bercot : Oui, énormément. Parce que, comme vous ou beaucoup d’autres, on a tous connu des déjeuners ou des dîners qui partent en sucette, avec des gens qui se barrent ou la grand-mère qui pleure… Moi, j’ai beaucoup de souvenirs comme ça. Je sais que, désormais, beaucoup de gens vont mettre la poussière sous le tapis. Des choses vont bouillonner mais les reproches ne seront pas faits afin d’éviter les crises. On ne dit rien de peur de tout se dire. Du coup, je préfère voir mes amis.
« Je ne parle pas, j’écoute »
Êtes-vous celle qui écoute ou qui parle ?
Emmanuelle Bercot : Ah, c’est très simple : je ne parle pas, j’écoute. Je peux écouter les autres pendant des heures. Les gens m’aiment pour ça. J’aurais pu faire psy d’ailleurs (rires). Toutes les conversations sont des inspirations. Depuis toute petite, je passe ma vie à observer et j’emmagasine des choses. Dans les cafés, je prends des notes. Regarder les autres me permet de jouer et d’écrire.
Une conversation avec un parfait inconnu a-t-elle déjà changé votre vie ?
Emmanuelle Bercot : Très bonne question… La réponse ne sera pas à la hauteur mais je crois qu’une conversation de deux heures avec un inconnu peut davantage nous chambouler que des discussions d’une centaine d’heures avec des amis. Un jour, je disais à Catherine Deneuve que ses équipes de maquillage et de coiffure sont extrêmement sympathiques. Elle m’a répondu : « Je ne travaille qu’avec des gens sympas. La vie est trop courte. » C’était il y a huit ans et, depuis, je ne vois plus les gens qui me tirent vers le bas. Ce jour-là, cette phrase bateau a résonné fortement en moi.
Quel sera votre prochain long-métrage en tant que réalisatrice ?
Emmanuelle Bercot : L’histoire d’une mère qui va perdre son fils d’un cancer. Je veux que ce soit lumineux sur un sujet douloureux. Ça sera avec Catherine Deneuve et Benoit Magimel.
Que peut-on vous souhaiter ?
Emmanuelle Bercot : Je me réveille tous les matins en me disant que je suis privilégiée de faire ce métier. Tout n’est pas arrivé comme ça. J’ai bien galéré. J’ai fait des films qui ont fait deux entrées et d’autre qui ont mieux marché. J’ai gravi la colline en partant du bas. Je n’ai pas atteint des sommets mais je suis quand même chanceuse. Je réussis à faire mes films alors que c’est de plus en plus compliqué. Si les choses peuvent continuer comme ça, ça serait super.
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