Du MuCEM à la Vieille Charité, l’art fait plus que jamais vibrer Marseille

La fête continue dans l’ex-Capitale européenne de la culture, qui accueille cette année la biennale Manifesta. Lumière sur la ville-monde, véritable eldorado de la planète arty.

C’est un dessin de Ben, croisé sur Instagram. Dans les années 1990, l’artiste connu pour ses lettres en noir et blanc représentait un homme disant : «À Marseille, c’est pas Tapie, c’est pas Vigouroux (le maire d’alors, NDLR), c’est pas l’OM qui décide de ce qui est beau ou laid, c’est Pailhas.» Une référence à Roger Pailhas, galeriste marseillais disparu en 2005, qui a longtemps été LA figure de l’art dans la ville. Difficile de ne pas y penser en arpentant les allées d’Art-O-Rama, Foire d’art contemporain qui a lieu depuis 2006.

Sept ans après Marseille capitale européenne de la culture, six mois avant la biennale d’art contemporain Manifesta 13 (1), Marseille est devenue ce dont Pailhas avait toujours rêvé : une ville artistique visitée chaque année par six millions de touristes. «La culture a changé le visage de Marseille, estime Anne-Marie d’Estienne d’Orves, adjointe au maire chargée de ce domaine. On n’a jamais baissé la garde.»

Une ville sublimée par la culture

Située dans le quartier Sainte-Anne, la Cité radieuse (1952), construite sur pilotis, a été conçue par Le Corbusier comme une ville verticale. Depuis 2016, elle est inscrite au patrimoine mondial de l’Unesco.

Depuis 2013, Marseille a transformé l’essai. En 2015, le New York Times la classait dans le top des villes mondiales. Figure de proue et emblème de la transformation de la ville, le MuCEM (Musée des civilisations de l’Europe et de la Méditerranée) s’élève à l’entrée du Vieux-Port. Conçu par l’architecte Rudy Ricciotti, il est aujourd’hui l’un des plus impressionnants musées français, avec son maillage de béton et sa vue à couper le souffle.

Marseille a également œuvré pour rendre ses richesses visibles. Le musée d’histoire a ainsi été doublé, le musée Cantini (bijou d’hôtel particulier en centre-ville, avec une collection d’art moderne réputée) et le Musée des beaux-arts, au sein du palais Longchamp, ont été rénovés. «Ma volonté a été de faire résonner entre eux les musées», explique leur directeur, Xavier Rey. Au cœur du parc Borély, le château a entamé une seconde vie : la bastide néoclassique, cantonnée jusqu’ici à la faïence, accueille également désormais les arts décoratifs et la mode ainsi que l’exposition Man Ray et la mode (en deux volets, à voir aussi au Musée Cantini), jusqu’au 8 mars, avant qu’elle ne vienne à Paris (2).

Connecter les lieux d’exposition

Également à l’affiche de l’exposition Par hasard au Centre de la Vieille Charité, un tableau de Gerhard Richter et une installation de Robert Filliou, “Eins. Un. One…”

L’été prochain, la réouverture du Musée d’Art contemporain (MAC) marquera alors la fin du grand chantier de la culture à Marseille, avec la mise en place d’un parcours entre les institutions. Aujourd’hui, les expositions sont pensées globalement : Sophie Calle a ainsi été montrée dans cinq espaces de la ville quand l’Autrichien Erwin Wurm surfait sur trois lieux, exposant sa Narrow House au centre de la Vieille Charité, sa Fat Mini au Musée Cantini et les One Minute Sculptures – qui l’ont rendu célèbre dans les années 1990 – au Musée des beaux-arts. Idem pour les grandes expositions thématiques, comme Par hasard, réunissant jusqu’au 23 février des artistes qui traversent presque deux siècles, de Pollock à Degas, à la Vieille Charité et à la Friche la Belle de Mai.

L’art circule et, pour la première fois depuis 2013, la fréquentation des musées a retrouvé en 2019 le niveau de cette année faste. «Marseille connaît son moment, selon Cédric Aurelle, commissaire d’exposition récemment installé. Son histoire, sa population, sa sociologie… permettent d’y interroger de vastes enjeux.» Sa place stratégique de grande ville sur la Méditerranée l’a conduite à être choisie par la fondatrice de Manifesta, Hedwig Fijen, pour la prochaine édition : «Nous cherchons des villes représentatives de l’Europe actuelle. La discussion en Europe n’est plus Nord/Sud mais Sud/Sud et Marseille y est au cœur.»

Marseille vibre pour l’art contemporain

Installé à Marseille, le duo artistique Gethan & Myles. Conteurs d’histoires, ils conçoivent leurs œuvres dans une démarche participative, impliquant les habitants et les territoires qui les inspirent dans leur processus créatif.

Il y a trois ans, quand Nicolas Veidig-Favarel ouvre Double V, sa galerie prospective et émergente, dans sa ville natale, il avait déjà le «pressentiment d’une forme d’éveil». Un défi courageux, presque amoureux, car s’il existe ici une poignée de collectionneurs importants et impliqués à l’origine de fondations, comme La Fabrique de Josée et Marc Gensollen (3), ou de lieux d’exposition, comme le Box des Féraud, certains ne jurent encore que par Paris. «En étant ici, explique Nicolas Veidig-Favarel, on se doit d’être le plus visible possible», poursuit ce Marseillais de 29 ans, croisé sur son stand du Salon Galeristes, foire off de la Fiac parisienne. Il préférerait sans doute passer son temps à dénicher des artistes comme Gethan & Myles – elle Irlandaise, lui Anglais -, installés à Marseille depuis 2008. Fin août dernier, lors de la deuxième édition du Salon de photo Polyptyque, le duo exposait une œuvre faite de bijoux vendus au Mont-de-Piété, dont ils avaient retrouvé les propriétaires et recueilli les histoires. Les récits d’Italie, de Corse, du quartier du Panier et un cyanotype du bijou (procédé photographique par lequel on obtient un tirage bleu) formaient l’œuvre sensible. «Leur travail m’a électrocuté, j’ai tout de suite voulu, sans les connaître, les exposer chez moi.» Roger Pailhas aurait fait pareil.

(1) Du 7 juin au 1er novembre. manifesta13.org

(2) Du 9 avril au 26 juillet, au Musée du Luxembourg, à Paris.

(3) 13, rue du Commandant-Rolland, 13008 Marseille.

Xavier Rey, directeur des musées de Marseille

Avant : diplômé de l’ENS et de HEC, Xavier Rey était conservateur et directeur des collections au musée d’Orsay, à Paris, avec le «souhait de se retrouver un jour aux commandes d’un musée».

Pendant : directeur des musées de Marseille depuis février 2017, il lui arrive de pique-niquer le soir sur la plage des Prophètes. Il a réalisé son rêve en grand et il s’en amuse – «Je suis à la tête d’un empire». L’ensemble regroupe 14 institutions, des Arts décoratifs aux Beaux-Arts, en passant par le Musée Cantini, les Arts premiers… «Marseille est la seule ville de France, en dehors de la capitale, à avoir un patrimoine muséal aussi complet.»

Après : une idée pour s’ancrer ? Créer un Prix des musées de Marseille.

Véronique Collard Bovy, codirectrice d’Art-O-Rama

Avant : étudiante en histoire de l’art et aux Beaux-Arts, elle a d’abord été assistante d’un artiste-illustrateur à Paris. En 2001, Véronique a voulu jouer un rôle artistique dans sa ville natale et a créé Fræme ,une structure faisant le pont entre secteur privé et secteur public.

Pendant : depuis 2016, elle codirige la Foire d’art contemporain Art-O-Rama. «L’objectif était que Marseille soit inscrite au calendrier des collectionneurs, et ils sont effectivement au rendez-vous (Belges, Turcs, Anglais…)», se réjouit-elle. Aujourd’hui, Fræme rythme l’année artistique de la ville, en produisant le Printemps de l’art contemporain, les expositions d’été à la Friche la Belle de Mai et Art-O-Rama.

Après : Véronique songe à intégrer des galeries locales, jusque-là exclues, au sein de la Foire, pour faire rayonner le territoire.

Adrien Vescovi, artiste

Avant : formé aux Beaux-Arts, Adrien Vescovi travaille le textile depuis 2010. Il prépare ses tissus, les cuit, les laisse refroidir avant de les exposer à la lumière ou, parfois, aux intempéries. «La lenteur et le labeur font partie de mon travail, explique-t-il. J’insère ma pratique là où je me place.»

Pendant : depuis qu’il a intégré son atelier marseillais, ses toiles ont pris les couleurs de la région – des ocres du Roussillon, d’Italie et du Maroc. L’été dernier, ses territoires ont été exposés au Musée d’art contemporain de Nice et, auparavant, lors du Festival de la mode et de la photographie à Hyères. Dans le cadre de l’exposition Futur, ancien, fugitif. Une scène française, il vient de déployer une œuvre monumentale de 6 mètres sur 10 sous la verrière parisienne du palais de Tokyo.

Après : sa nouvelle lubie ? Tremper ses tissus dans la mer, pour un délavage naturel.

Guide pratique

Avant de partir

À lire : Un voyage Marseille-Rio 1941, d’Adrien Bosc et Olivier Assayas (Stock). L’écrivain et le réalisateur ont refait le voyage d’un bateau parti de Marseille vers la Martinique en 1941, à partir des textes de Jacques Rémy (père d’Olivier Assayas) et des photographies de Germaine Krull.

À écouter : le podcast Cité radieuse ,de Caroline Blindel (podcast.ausha.co). Chaque semaine, elle y reçoit des personnalités liées à Marseille – amoureux de la ville, nouveaux venus, natifs qui l’ont quittée – avec, en fil rouge, leur rapport à cette ville qu’on aime ou qu’on déteste, mais qui ne laisse pas indifférent.

À réserver : une chambre à l’hôtel Les Bords de mer. Au programme : un designer branché et pieds nus croisé au petit-déjeuner, midi et soir la cuisine des sœurs Levha (le Servan et Double Dragon à Paris) et les baigneurs de la plage des Catalans à travers la baie vitrée de la chambre. L’un des hot spots de la ville.
52, corniche Kennedy, 13007 Marseille. lesbordsdemer.com

Les bonnes adresses

Un lieu d’exposition : Le Box
Le fruit de deux collectionneurs, Marie-Hélène et Marc Féraud : elle, élue à la mairie de Marseille, chargée de l’art contemporain ; lui, industriel. Ensemble, dans d’anciens abattoirs au nord de la ville, ils ont créé il y a huit ans un lieu d’exposition, aux airs de White Cube, où ont lieu deux expositions par an, issues de leur collection. François Morellet et le peintre marseillais Gérard Traquandi – plus connu partout ailleurs que dans sa ville natale – y ont eu leur moment.
Visite sur rendez-vous. 765, chemin du Littoral, anse de Saumaty, 13016 Marseille. m-arco.org

Un restaurant : Yima
Près du port, au cœur d’un quartier en pleine mutation – la rue d’Aubagne et ses magasins d’épices -, Yima (contraction de Yema et d’Ima, maman respectivement en arabe et en hébreu) sert une cuisine confortable comme les bras d’une mère méditerranéenne qui, au pied levé, a préparé pour dix des aubergines au tahini et granola salé à tomber ou une shakshouka (poivrons cuits) ponctuée d’un œuf et d’herbes fraîches. L’attente avec thé à la menthe sur le trottoir passe comme ça.
27, rue d’Aubagne, 13001 Marseille. Ouvert le midi du mercredi au dimanche.

La boutique déco : Aussih
Aussih a inventé le concept-store lifestyle qui n’existait pas à Marseille. Située dans le 7e arrondissement, une boutique de décoration, avec accompagnement personnalisé et cantine.
9, rue Chateaubriand, 13007 Marseille. aussih.com

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